Présidents africains : le club des mandats au-delà de la limite constitutionnelle [2/2]

L’appel d’Alpha Condé en direction de la diaspora guinéenne aux Etats-Unis a confirmé sa volonté de vouloir embrayer sur un troisième mandat. Si l’appétence pour le pouvoir explique en partie la volonté du professeur-président, il n’est pas exclu que le président guinéen s’inspire de certains de ses pairs qui ont réussi à passer au-delà de la limite constitutionnelle. Ou encore d’autres chefs d’Etat africains qui se verraient bien prolonger leur bail au Palais. Revue non exhaustive des uns et des autres.
Ibrahima Bayo Jr.
(Crédits : IJB pour LTA (avec Reuters))

Dans le club des chefs d'Etat africains qui souhaitent faire sauter le verrou de la limite constitutionnelle sur leur mandat, certains se sont joué des subtilités juridiques pour obtenir une rallonge. Paul Kagame du Rwanda, Edgar Lungu de la Zambie ou encore Faure Gnassingbé du Togo font partie de ce lot (lire première partie).

Contraints par les circonstances du moment, sous la pression ou de leur volonté propre, d'autres encore ont tout simplement renoncé à une modification de la constitution. Mahamadou Issoufou du Niger, Mohamed Ould Abdelaziz de la Mauritanie l'ont déjà fait sans ambages. La main sur le cœur, Pierre Nkurunziza du Burundi, flanqué du parapluie de Guide Suprême Éternel, Abdel Fattah Al Sissi, aux prises de manifestations réclamant son départ, jurent tous les deux qu'ils feront place à un successeur sans toucher la loi fondamentale.

A la lisière de l'hésitation et du sondage informel en direction de l'opinion publique, il y a aussi le camp de ceux à qui on prête le projet de vouloir rester ou de revenir dans le confort du fauteuil et les dorures du palais. Et certains indices apportent de l'eau au moulin de leurs pourfendeurs.

 Alpha Condé: Un locataire sur le départ en quête d'une rallonge

Le soupçon couvait depuis qu'Alpha Condé avait été désigné en 2017, président en exercice de l'Union africaine (UA). A chaque prise de parole, les membres de la garde rapprochée ont surfé sur la vague pour lancer des ballons d'essai en direction de l'opinion publique guinéenne. Retranché dans la tour du silence du Palais Sékhoutouréya, Alpha Condé cherchait sans doute la parade. Jusqu'à ce jour du 22 septembre 2019. Dans l'enceinte de l'ambassade de Guinée à Washington, le président devise avec des membres de la diaspora en marge de sa visite qu'il voulait pourtant très économique.

« Je vous demande de vous organiser et de vous préparer pour le référendum et les élections. Ce qui veut dire que ceux qui n'ont pas leurs cartes d'électeur doivent commencer à se faire recenser», lance le président guinéen. Les applaudissements et hourras qui noient les froncements de sourcils n'ont pas manqué de faire grincer quelques dents lorsque la vidéo se répand dans la toile guinéenne. Pour les sceptiques, la preuve est faite : élu en 2010, puis réélu en 2015, Alpha Condé ne compte pas quitter le palais au terme de son second mandat comme le lui imposent les articles 27 et 154 de l'actuelle constitution d'une limpidité cristalline sur ce verrou de limitation.

Pour contourner l'écueil à sa volonté de ne pas remettre sa quittance de sortie de Sékhoutouréya, l'ancien opposant a confié à Ibrahima Kassory Fofana, son Premier ministre, la mission de mener des consultations pour sonder le peuple, convoqué en arbitre ultime arbitre sur cette aventure. D'abord pourfendeur un temps des tripatouillages constitutionnels, le président sortant guinéen semble avoir adopté la technique de ceux qu'il aura politiquement combattus pendant plus d'un quart de siècle. En août dernier, son invitation en France au 75e anniversaire du débarquement avait fourni à Emmanuel Macron une occasion de sonder les intentions d'Alpha Condé et de le sensibiliser sur les risques politiques.

Ni la pression des Etats-Unis, ni celle de la rue, encore moins celle d'une opposition décidée à en découdre avec le projet présidentiel ne découragent le président guinéen. Les rancunes accumulées au cours des deux derniers quinquennats ont sans doute endurci le clan au pouvoir à pousser dans le sens d'une prolongation de mandat.

Pourtant, s'il veut rester au pouvoir, Alpha Condé devra faire basculer la Guinée dans une nouvelle République. Pour convaincre les puissances étrangères encore réticentes au changement de constitution, Alpha Condé joue la carte de la diversification des partenaires (Chine, Russie) dans les secteurs très stratégiques des mines (alumine, or, fer..) et du gaz. Suffisant pour faire obtenir un sursis au locataire sur le départ ?

Joseph Kabila: l'au revoir du Poutine de l'Afrique

Est-ce le poids du deuil de Laurent Désiré Kabila, son père, dont l'assassinat inopiné lui était imputé par les mauvaises langues ? Ou encore la charge méditative sur ses futures responsabilités à la tête d'un pays rongé par la guerre ? Jusqu'à cette fin de matinée du 26 janvier 2001 à Kinshasa où il prête serment, la main sur le décret-loi rédigé par son père inhumé trois jours plus tôt, personne n'explique le silence de ce jeune homme de 29 ans qui vient de prendre les rênes d'un pays aussi immense que stratégique.Proclamé président le 24 janvier au lendemain des funérailles du patriarche, Joseph Kabila arrive au pouvoir dans la furtivité d'une tragédie au sommet de l'Etat.

Une semaine auparavant, le Palais de marbre à Kinshasa est la scène d'un poignant « parricide ». En pleine audience avec un conseiller, Laurent Désiré Kabila est arrosé de trois balles par un « kadogo », un de ses nombreux enfants-soldats qui ont accompagné son entrée triomphale dans la capitale après la chute du maréchal Mobutu Seseko. Général de brigade alors à la tête de l'armée de terre, Joseph Kabila se trouve à Lubumbashi dans le Katanga. Sous une pluie battante, il embarque à bord d'un avion militaire et rejoint la Clinique Ngaliema où son père est soigné avant d'être évacué au Zimbabwe.

A la réunion de crise consécutive à ce qui n'est pas encore un assassinat, Pierre Victor Mpoyo, l'argentier de la RDC sort le nom de Joseph Kabila, retranché au camp de Tshashi. Ne voulant pas porter la responsabilité de la liquidation du Mzee, Gaëtan Kakudji, son cousin, et d'Eddy Kapend, le numéro 2 du régime, refusent la proposition de lui succéder. Joseph Kabila est désigné pour assurer l'intérim. De Paris à Bruxelles en passant par Washington, les capitales occidentales qui ont tourné casaque, estiment que ce jeune soldat presque glabre qui bafouille pour ses discours, sera plus docile. Complaisant au début, il n'en sera rien par la suite. Joseph Kabila est élu en 2006 puis réélu en 2011, chaque fois en se jouant de la division de l'opposition mais aussi de la constitution sans remontrances fortes.

Malgré la fin officielle de son second mandat, le plus jeune chef d'Etat en exercice en Afrique d'alors va rester deux ans de plus au palais, ce que les Congolais ont baptisé, le « glissement ». A la présidentielle de 2018, la technique se heurte à la pression de la communauté internationale. Un temps, Joseph Kabila avait imaginé un jeu de chaises musicales russes en plaçant sur le fauteuil, un « dauphin » le temps de l'intermittence avant de revenir au pouvoir. Finalement, il va passer la main à Félix Tshisekedi lors de la première transition démocratique pacifique en RDC. Mais les accusations d'inversion des résultats des urnes au profit d'un opposant-marionnette fusent, soutenues par l'Eglise.

« Je préfère ne pas vous dire au revoir, je vous dis à bientôt », lance le président congolais à ses homologues au dernier sommet de la SADC auquel il participe. Auparavant, il a bien rappelé que la constitution congolaise autorisait les mandats par intermittence. Avec une majorité écrasante au Parlement, dans les exécutifs provinciaux, le « Président honoraire » de la RDC sous le dais de sénateur à vie, ronge son frein dans son ranch en attendant la présidentielle de 2023. Le «Poutine de l'Afrique» n'a pas encore fait ses adieux. Il compte bien revenir.

L'Afrique de l'Ouest : une poudrière de scrutins à haut risque

L'Afrique de l'Ouest est assise sur une poudrière de scrutins à haut risque de déstabilisation pour la région la plus intégrée du Continent. En Guinée-Bissau, la présidentielle prévue fin novembre réunit tous les critères d'une crise politique imprévisible dans ce pays connu pour son instabilité politique. A Conakry, chez le voisin, la date présidentielle de 2020 pourrait bien être sacrifiée sur l'autel d'un référendum ou d'un changement de la constitution avalisé par les députés.

En 2020 en Côte d'Ivoire, il faudra bien solder les comptes de la crise post-électorale de 2010, de même que certaines rancunes de chameaux qui remontent à la querelle sur la succession d'Houphouët-Boigny. La même année au Togo, Faure Gnassingbé va jouer la perpétuation du legs de son père, après s'être assuré une confortable majorité dans un Parlement qui lui a réinitialisé en catimini le compteur du nombre de ses mandats.

A couteaux tirés avec son ancien parti, Adama Barrow de la Gambie a décidé de passer outre sa promesse de ne rester au pouvoir que 3 ans avant de remettre son fauteuil en jeu. « Rendez-vous en 2021» semble donc dire le tombeur de Yahya Jammeh. Après sa renonciation à son projet de mandat unique, Patrice Talon du Bénin lui aussi n'a toujours pas dit s'il comptait s'arrêter à 5 ans de bail au Palais de la Marina.

Alassane Ouattara et Macky Sall: le flou dans le brouillard

Au milieu de la cocotte-minute politique ouest-africaine, les seuls cas qui s'entourent d'un flou dans le brouillard sont ceux d'Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire et de Macky Sall au Sénégal. Pour le premier, l'agenda politique a bousculé l'assurance d'une retraite paisible: rupture d'alliance avec le PDCI d'Henri Konan Bédié, brouille avec Guillaume Soro qui a soutenu son arrivée au pouvoir, amnistie de Simone Gbagbo, acquittement retardé de Laurent Gbabgo, son éternel ennemi politique.

Depuis des mois, il plane comme un air de pré-campagne électorale sur le géant économique d'Afrique de l'Ouest. Après le lancement de la machine du RHDP, le président sortant ivoirien a entamé un road show dans le pays, n'hésitant pas à chasser sur les terres de ses concurrents éventuels. Arrivé au pouvoir en 2010, Alassane Dramane Ouattara (ADO) n'a pas fini son second mandat qu'il a déjà révisé la constitution qui fait entrer la Côte d'Ivoire dans la « Troisième République».

Au milieu du tiraillement juridique qui traverse la Côte d'Ivoire, ADO peut-il se présenter à un troisième mandat? Lui hésite, pris de doutes entre son envie de passer le relais à une nouvelle génération et sa volonté d'apaiser le pays en menant une transition pacifique face aux appétences des barons de la revanche politique. L'épilogue de cette telenovela à la trame ivoirienne n'est pas encore connu. C'est que le demi-taiseux ne distille ses circonvolutions qu'avec lésinerie pour brouiller les pistes. Jusqu'à quand ?

Au Sénégal, Macky Sall a clos le débat en se prononçant en faveur d'un respect de la limite à deux. Le chef de l'Etat sénégalais n'a semble-t-il pas voulu répéter le précédent d'Abdoulaye Wade qui s'était présenté à un troisième mandat, sans remporter le scrutin en 2012. Arrivé cette année même au pouvoir, son successeur avait été élu pour un septennat puis réélu en 2019 pour un quinquennat. C'est qu'entre temps, la révision constitutionnelle de 2016 avait ramené la durée à 5 ans. Le premier mandat est-il comptabilisé dans le décompte de la nouvelle loi fondamentale? Pour combler le vide d'une clarification présidentielle, les opposants l'ont rempli de rumeurs sur un troisième mandat.

La prochaine présidentielle prévue pour 2024 est encore loin. Mais les radars détectent déjà des indices à un troisième mandat de Macky Sall. La piste est lancée lorsque, dans un court exercice de vulgarisation de la fonction présidentielle, le site de la Présidence pose une question et glisse cette phrase un peu trop complète. « Le mandat du Président de la République est de cinq ans, renouvelable une fois ». Classique jusqu'à cette précision qui cristallise les doutes. « Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ou l'adoption d'une nouvelle Constitution », complète le site.

Pour compléter le faisceau d'indices, l'on rappelle la mise en place de l'hyper-présidence, justifiée par le « fast-track », cette volonté d'alléger le circuit administratif. Au moment où aucun successeur confirmé n'est encore désigné dans le camp au pouvoir, la question d'une nouvelle entrée en lice de Macky Sall pour éviter la dislocation de son parti est encore plus qu'agitée. A la décharge du maître du Palais de la République, la libération ou le retour annoncé d'opposants change la donne politique sur un troisième mandat. Mais cela ne convainc pas encore les incrédules. Macky Sall a encore 5 ans pour apporter sa réponse du berger à la bergère.

Ibrahima Bayo Jr.

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