L’Afrique face à la « seconde révolution » de l’intelligence artificielle

Autrefois discipline du futur, l’intelligence artificielle est devenue une technologie du présent dont se sert de plus en plus l’écosystème économique. Alors les experts constatent une nouvelle révolution après celle d’il y a une décennie, quelle place pour le continent africain dans cette fièvre technologique ? Eléments de réponse.
Ristel Tchounand
(Crédits : DADO RUVIC)

Comprendre les problèmes et les résoudre, tels sont deux des principaux avantages que les experts à travers le monde décernent à l'intelligence artificielle (IA), cette technologie alliant mathématiques et sciences cognitives et qui simule l'intelligence humaine. Crée dans les années 60, on en a peu entendu parler jusqu'à la dernière décennie. Cependant, « il y a huit ans, tout a été révolutionné et aujourd'hui nous sommes en train d'entrer dans la seconde révolution de l'IA », affirme le philosophe des sciences Jean Staune qui a livré une keynote magistrale lors du World Electronics Forum organisé les 17 et 18 avril à Rabat, au Maroc. D'après lui, tous les continents, y compris l'Afrique, ne peuvent échapper à ces changements technologiques, sauf que pour pleinement naviguer dans cette « seconde révolution de l'IA », il faudrait, estime-t-il, « emmener les jeunes générations à en maitriser les contours ».

Entre opportunités et risques ?

Même si elle reste moins répandue qu'en Europe, en Amérique ou en Asie, l'intelligence artificielle fait de plus en plus parler d'elle en Afrique. Au printemps 2019, l'arrivée à Kigali -au Rwanda- de Sophia, le robot humanoïde compté parmi les intervenants du Transform Africa Summit reste gravé dans les mémoires. Depuis lors, on voit émerger des experts parfois très jeunes y compris des femmes africaines. De même, tous les forums et conférences autour digital évoquent automatiquement les sujets liés au développement de l'IA dont se servent déjà de nombreuses entreprises. D'ailleurs un rapport de PricewaterhouseCoopers (PwC) indiquait qu'entre 2019 et 2022, 46% des PDG africains envisageaient de lancer un projet d'IA.

« C'est la recherche de l'efficience, de l'efficacité qui a favorisé la naissance de l'intelligence artificielle », rappelle Brutus Sadou Diakité, d'Orange. « L'être humain est généralement très intelligent, mais ne peut traiter de grandes quantités de données. Après avoir effectué une seule fois un trajet, l'humain pourra difficilement prendre une décision extrêmement précise sur la base de tout ce qu'il a vu en chemin, parce qu'il ne se souvient qu'à peine de 10% », explique-t-il, ajoutant que « l'IA en revanche est une machine ou un logiciel qui a la capacité d'aller fouiller dans l'ensemble des données pour aider à prendre rapidement une décision précise ». Dans le contexte d'accélération du développement socio-économique dans lequel se trouve le continent africain, de telles innovations technologiques « sont utiles », estime cet expert du digital.

Alors qu'un des grands débats autour de l'intelligence artificielle est celui de l'avenir de l'emploi, les avis sont partagés. Sur un continent où le taux moyen de chômage en 2023 est 5,8% selon l'Organisation internationale du travail (OIT), le débat fait encore plus sens. Jean Staune, notamment, évoque plusieurs risques liés à l'actuelle révolution de l'IA dont « le risque qu'une IA, même si elle n'est pas consciente, finisse par remplacer les humains ». « Il y a effectivement une forme d'IA qui commence à arriver. Si elle n'est pas gérée avec responsabilité, elle peut emmener des dégâts, parce que c'est une IA capable elle-même d'aller chercher des informations partout, de les traiter et de prendre des décisions basées sur ses résultats », explique Brutus Diakité.

« Avec des IA sans émotions, pas de peur pour les humains »

Gustavo Montero, expert international et patron d'entreprises dans le domaine de la High Tech, estime que les craintes devraient être nuancées, car dit-il, la probabilité d'une humanisation quasi-complète de l'IA reste « incertaine et si possible très lointaine ». Il va plus loin : « tant qu'on ne peut pas enseigner les émotions à l'IA, j'estime personnellement qu'il n'y a pas grand-chose à craindre au sujet des humains ». Ses arguments : « même si elles ont parfois rendu certaines fonctions inutiles, toutes les vagues d'innovation ont créé de l'emploi, d'une manière ou d'une autre », affirme-t-il, soulignant que le défi est surtout lié à l'éducation. « Les choses pourraient se compliquées si nous gardons la configuration d'aujourd'hui où nous avons un monde éduqué digitalement et un autre qui ne l'est pas. Car, les gens éduqués digitalement pourront aisément naviguer et évoluer dans un monde d'IA, quand cela serait difficile pour les non-éduqués digitalement ».

L'appel récurrent

Si des voix s'élèvent récemment sur le continent évoquant le fait qu'avant de parler de développement de l'intelligence artificielle, il faudrait résoudre une fois pour toutes la problématique de la connectivité, banques, industries et entreprises de services etc réussissent à renforcer l'efficacité de leurs process grace aux solutions d'IA. Mais dans une Afrique qui a démontré sa capacité à réaliser des sauts technologiques, son aptitude à réaliser une révolution de l'IA adaptée à ses réalités socio-économiques n'est-elle pas un champ à explorer, tant par les gouvernements, les entreprises que par l'écosystème Tech ?

Ristel Tchounand

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