« La faiblesse de notre économie et nos querelles politiques freinent Madagascar » (Andry Rajoelina)

ENTRETIEN - Premier producteur de vanille au monde et exportateur de ressources minières telles que le nickel et le cobalt, mais dont le taux de pauvreté reste au-dessus des 70%, Madagascar s’apprête à passer un tournant décisif avec la présidentielle dont les deux tours sont prévus le 16 novembre et le 20 décembre. Candidat à sa propre succession face à une dizaine d’opposants, Andry Rajoelina revient sur la situation économique de la Grande île.
Ristel Tchounand
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE AFRIQUE - A la veille du premier tour de la présidentielle à laquelle vous êtes candidat à votre propre succession, les différents candidats s'activent dans un climat plutôt tendu. Comment abordez-vous cette étape ?

ANDRY RAJOELINA - J'aborde cette étape avec confiance et détermination, ma campagne électorale se déroule à un rythme accéléré en visitant le maximum de districts, afin de partager avec la population ma vision et réaffirmer ma ferme volonté de servir le peuple malagasy. A chacun de mes déplacements je rencontre une foule enthousiaste, convaincue par mes réalisations et qui souhaite que je poursuive le développement de Madagascar et les réformes utiles à l'intérêt général.

Avant d'accéder au pouvoir en 2018, vous promettiez notamment d'améliorer le climat des affaires en créant une banque d'investissement pour réduire le coût du crédit mais aussi de sécuriser les eaux territoriales, de professionnaliser les activités de pêche. Vous envisagiez également la construction d'une raffinerie pétrolière pour tirer parti du potentiel en la matière ou encore de faciliter l'investissement hôtelier... Cinq ans plus tard, qu'en est-il ? Quel bilan dressez-vous ?

D'abord le contexte est important lorsqu'il s'agit de faire le bilan, personne n'a imaginé en 2018 ou en 2019 que le monde allait connaître une crise sanitaire qui a provoqué des bouleversements socio-économiques importants, notamment une récession mondiale évaluée à - 4,4% selon le FMI en 2020. Pour un pays comme Madagascar, où une grande partie de notre économie repose sur des secteurs qui dépendent de l'extérieur comme le tourisme ou les exportations, la crise sanitaire a provoqué une crise économique majeure. La priorité était alors de protéger la population et sauver des vies humaines. En 2021, avec un plan de relance ambitieux marqué par la construction d'infrastructures pour rattraper le retard de développement et un regain des exportations minières à cause de la hausse de la demande mondiale, nous avons connu un taux de croissance de 5,7%.

Concernant les points que vous citez dans votre question, le parlement a voté en 2021 la loi instituant le fonds souverain malagasy. Le fonds investira dans des projets de développement stratégique, prioritaires, rentables et créateurs d'emplois. Il valorisera aussi les ressources naturelles, tels que terrains domaniaux, ressources minières, ressources pétrolières, zones forestières, maritimes, agricoles, industrielles et touristiques, afin qu'elles produisent de la valeur ajoutée pour l'Etat. Le Fonds souverain représentera les intérêts de l'Etat dans les grands projets miniers, immobiliers ou tout autre projet stratégique.

Pour le secteur touristique, il a été très impacté par la crise sanitaire, il se relève lentement. Cette année nous prévoyons plus de 265.000 touristes visitant la grande île alors qu'en 2019, nous avons enregistré plus de 306.000 touristes. Vous imaginez alors le choc que nous avons connu avec la Covid 19, alors que nous avions tablé sur un nombre de 500.000 touristes à la fin de mon mandat. Afin de relancer le secteur, nous avons par adopté des mesures fiscales incitatives telles que, par exemple, l'exemption de TVA pour l'importation de matériaux pour la construction d'infrastructures hôtelières et des équipements pour la promotion du secteur touristique, sur l'importation de bateaux de croisière, de catamarans et de montgolfières. Nous disposons de réserves touristiques très prometteuses que ce soit pour le tourisme balnéaire ou l'écotourisme, les hôtels club, les croisières.... Des discussions sont en cours et des projets verront le jour prochainement dans ce secteur d'activité. Le secteur touristique a pour vocation à générer à minima 1 milliard de dollars de recette à l'horizon 2027/2028.

Concernant la pêche, nous avons négocié âprement un nouvel accord avec l'Union Européenne pour augmenter les redevances et sécuriser les ressources. Avec plusieurs de nos partenaires comme le Japon et la Banque Mondiale, nous nous dotons progressivement de vedettes et intercepteurs rapides pour sécuriser nos côtes. Le secteur pêche représente actuellement 7% de notre PIB.

L'émergence économique était au cœur de votre programme il y a cinq ans. Aujourd'hui, quelle place occupe le développement économique dans votre programme et quels sont les principaux axes sur lesquels vous comptez travailler/accélérer ?

Le développement économique est le pilier de notre programme depuis toujours, en menant un vaste programme de construction d'infrastructures pour rattraper le retard de développement durant le premier mandat ainsi qu'une politique de stimulation en injectant directement de l'argent dans l'économie à travers les marchés publics y afférent. Mais bien évidemment, la crise a causé des retards dans notre agenda de réforme. Cependant, en 2022, nous avons adopté une série de réformes telles que la libéralisation du secteur de la télécommunication, l'adoption d'un nouveau code minier ainsi qu'un nouveau code des investissements. L'agriculture est aussi au centre de notre programme de développement, nous misons sur l'amélioration de la productivité pour atteindre l'autosuffisance alimentaire et devenir, à nouveau, à moyen terme le grenier à riz de l'Océan Indien et de notre zone géographique proche.

En matière d'attraction d'IDE, vous savez que l'environnement des affaires est un élément clé. Notre engagement dans l'aboutissement de réformes structurelles majeures visant l'amélioration et la stabilité du climat des investissements générera de la croissance, ce qui améliorera le PIB par habitant et créera de l'emploi formel qui est un des grands défis auxquels mon pays est confronté.

Nous avons également signé le lancement de deux grands projets dans le secteur énergétique : les centrales hydroélectriques de Sahofika et de Volobe qui auront respectivement une capacité de 192 MW et 120 MW. Sans énergie à coût abordable, il ne peut y avoir d'industrialisation.

Madagascar est le premier producteur et exportateur de vanille au monde, laquelle est une importante source de revenus. Ces dernières années, l'industrie extractive monte en flèche, le nickel et le cobalt ont par exemple dominé les recettes d'exportation en 2022. A côté, le taux de pauvreté reste élevé autour de 75% selon la Banque mondiale (contre 77% il y a cinq ans). Comment expliquez-vous cela ?

Le taux de pauvreté se place en effet aux environs de 75%, mais, il ne faut pas oublier que selon la Banque Mondiale, avec la crise de la Covid 19, le monde a fait un recul de 5 ans en termes de développement. Pour le cas de Madagascar, je tiens à rappeler qu'en 2001, ce taux de pauvreté était inférieur à 70%, le pays avait connu une croissance forte, mais en 2002 avec la crise post-électorale, le pays a connu la plus grande récession de son histoire avec -12% de croissance, le taux de pauvreté a atteint alors 80%. Depuis, nous tournons autour ce chiffre en raison de la faiblesse de notre économie et de nos querelles politiques. C'est pour cela que la première élection d'alternance démocratique de 2018 était un signal fort pour la stabilité du pays et les résultats étaient tangibles dès la première année de mon mandat avec un taux de croissance de 4,4% en 2019, taux le plus haut jamais atteint en 10 ans. Nos objectifs étaient un taux de croissance avoisinant les 7% à la fin de mon mandat, mais en raison des différentes crises, au lieu d'une politique d'expansion, nous avons été obligé de mener une politique de relance. Avec la stabilité et une élection démocratique cette année, le pays peut espérer renouer avec une croissance supérieure à la croissance démographique et connaître une inversion du courbe de la pauvreté qui devrait diminuer dans les années à venir pour retrouver le niveau de 2001.

A quoi vous attendez-vous dans les prochaines semaines ?

Comme mes compatriotes, j'attends avec impatience le 16 novembre pour pouvoir me rendre aux urnes dans un climat démocratique et apaisé. Madagascar a besoin de stabilité pour se développer.

Ristel Tchounand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.