« Les capitaux privés feront la différence à Madagascar » (Rindra Rabarinirinarison, ministre de l’Economie et des Finances)

Parmi les plus grandes victimes des changements climatiques, Madagascar multiplie les efforts pour mobiliser les financements qui lui permettront de renforcer sa résilience et d’assurer sa transition énergétique, dans un contexte mondial économiquement tendu. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Rindra Rabarinirinarison, ministre de l’Economie et des Finances insiste notamment sur la carte à jouer par le secteur privé.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE AFRIQUE - Un nouveau projet de loi visant à attirer les investissements à Madagascar vient d'être adopté par l'Assemblée nationale. Est-ce votre carte stratégique pour maintenir la tête hors de l'eau dans un contexte mondial, régional et national particulier ?

RINDRA RABARINIRINARISON - Cette loi adoptée le 22 mai entre dans le cadre de la vision du président de la République [Andry Rajoelina, NDLR], celle de sortir le pays de la pauvreté et de faire de Madagascar une nation émergente. En déclinant cette vision, nous avons formulé le Plan émergence de Madagascar qui donne une vue générale et détaillée de tous les investissements que nous voulons voir réaliser à travers le pays. Le texte s'articule notamment autour de mesures fiscales et douanières incitatives, afin de faciliter l'implantation des entreprises dans le pays. Nous faisons essentiellement appel aux investisseurs privés parce que nous croyons que ce sont les capitaux privés qui feront la différence.

Nous avons le secteur privé local qui nous aide beaucoup dans le domaine des exportations  dont les produits  miniers dont le cobalt. Et ce projet de loi vient également renforcer les capacités de notre secteur privé local et multiplier ses possibilités.

Sur le continent, votre pays est l'un des plus vulnérables aux changements climatiques : sécheresses, cyclones, inondations... Le financement est considéré comme le nerf de la guerre pour y faire face en Afrique. Et Madagascar ne fait pas exception. Alors que la Grande île a besoin de 30 millions de dollars d'ici 2030 - à raison de 2,4 milliards de dollars par an - pour répondre efficacement aux perturbations climatiques, le pays n'a reçu annuellement que 353 millions de dollars en 2019 et 2020 selon Climate Policy Initiative. Comment vous y prenez-vous pour mobiliser les financements ?

En tant que pays insulaire en effet, Madagascar est très vulnérable aux changements climatiques qui produisent des effets qui ralentissent le développement économique et compromettent les efforts d'émergence du pays, en plus des effets des perturbations économiques internationales. Nous avons par exemple enregistré plus de 70 catastrophes climatiques majeures au cours des 30 dernières années, avec 64 perturbations cycloniques, six sécheresses très sévères dans le sud du pays. Pas plus tard que l'année dernière, nous avons eu cinq cyclones successifs qui ont causé plus de 200 décès et plus de 960 000 personnes impactées. Et l'ensemble de ces dommages climatiques pèse lourd sur l'économie, parce qu'ils se chiffrent à plus 4,8% de notre PIB. Comme vous l'avez dit, le financement de l'action climatique est encore faible à Madagascar car nous n'avons que 316 millions de dollars par an, alors que notre contribution déterminée se chiffre effectivement à 2,4 milliards de dollars par an.

Les mesures fiscales incitatives que nous mettons en place visent justement à favoriser la mobilisation des capitaux privés pour la lutte contre le changement climatique. Des mesures incitatives sont par exemple contenues dans notre loi de finance 2023, notamment l'exonération de TVA sur tout ce qui est matériel d'exploitation d'énergies durables, l'exonération de l'impôt sur le revenu pour tout investissement dans le secteur des énergies renouvelables... Nous exonérons également les impôts de licence pour les ventes des produits tels que l'éthanol.

Tout cela pour dire que nous exprimons sans hésitation notre détermination à attirer les capitaux privés à Madagascar. A côté de cela, nous essayons aussi de mettre en place des contrats de PPP pour apporter des solutions d'énergie renouvelable à Madagascar. D'ailleurs, dans les jours à venir, nous allons signer une des plus gros contrats en hydroélectrique du pays avec un privé, le but étant de transiter efficacement vers les énergies renouvelables et de limiter les effets des changements climatiques à Madagascar.

Vous avez récemment signé avec la Banque africaine de développement (BAD) un contrat de 36 millions d'euros pour le déploiement des énergies renouvelables à travers le pays. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La BAD est un important partenaire pour Madagascar,  notamment dans le domaine de la protection de l'environnement. Je citerais parmi tant d'autres le contrat que nous avons noué en matière d'agriculture et le soutien de la BAD en termes de périmètres irrigués. La BAD nous appuie également dans le paiement des assurances agricoles contre les changements climatiques. A ce titre d'ailleurs, nous avons à ce jour obtenu trois indemnités à ce titre.

Nous allons utiliser ces financements pour renforcer notre résilience et surtout assurer notre transition énergétique. Nous avons actuellement le projet de transformer les centrales thermiques en centrales solaires dont 46 villes vont bénéficier pour amortir la consommation de fioul dans la production de l'énergie.

S'il existe un casse-tête pour toutes les économies actuellement, c'est bien l'inflation. A Madagascar, elle se situe autour des 10%. Comment y faites-vous face, quand on sait que la croissance du PIB devrait quelque peu ralentir en 2023 ?

Au regard de tous ses défis, l'économie malgache présente tout de même une certaine résilience. Après la récession de 2020, nous sommes remontés à 5,7 % de croissance en 2021, avant une stabilisation à 4% en 2022. Au début de cette année 2023, nous nous attendions à 4,9% de croissance, mais après le passage du FMI, nous avons accepté de revoir cette prévision autour de 4%. C'est un chiffre qui est supérieur à la moyenne africaine et celle affichée par plusieurs de nos partenaires.

Pour ce qui est de l'inflation, nous prenons pour l'instant des mesures monétaires, en essayant notamment de ne pas trop bouger le taux directeur de la Banque centrale pour éviter un gonflement de l'inflation gonfle. Nous travaillons aussi à mettre un terme à notre dépendance vis-à-vis des importations, car à Madagascar, nous avons une inflation essentiellement importée. Pour ce faire, nous développons une politique axée sur l'industrialisation locale. En 2021 à titre d'exemple, nous avons construit plus de 37 unités industrielles locales pour produire les biens de première nécessité, utiles dans le quotidien des Malgaches, tels que le sucre, la farine ...  Au sein du gouvernement, nous avons à cet effet un budget spécifique pour soutenir le secteur privé (principalement les PME) qui porte ces différents projets.

En parlant justement de budget, disposez-vous actuellement d'une véritable marge de manœuvre pour accompagner les initiatives dans le pays ?

Je dirais que pour l'instant, nous avons encore une bonne partie de notre budget qui est appuyé par nos partenaires techniques et financiers. Mais ce sont des appuis qui sont essentiellement concessionnels. Nous essayons aussi de mobiliser les ressources internes, notamment les recettes fiscales et douanières qui portent près de la moitié de notre budget.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.