Entretien exclusif : Andry Rajoelina se dit prêt à remettre Madagascar sur les rails

S'il ne s'est pas encore officiellement prononcé, peu de doutes subsistent sur l'imminence d'une candidature d'Andry Rajoelina aux élections présidentielles. Les 24 et 25 mai, il a réuni près de mille personnes lors du forum international de l'Initiative pour l'émergence de Madagascar (IEM) à Antananarivo, parmi lesquels plusieurs experts malgaches et internationaux de haute volée. Sa « vison » a pris comme un air de campagne et le récent verdict de la Haute Cour Constitutionnelle pourrait bien tourner à l'avantage de l'ancien président de la Transition...
(Crédits : DR)

La Tribune AFRIQUE - Qu'attendez-vous de ce premier Forum International de l'IEM qui a réuni experts malagasy et internationaux sur fond de crise politique?

Andry Rajoelina - Ce forum est très important pour l'avenir de Madagascar car on a réalisé un constat général sur l'état du pays qui est accablant (...) Depuis l'indépendance, les Malgaches ont toujours été déçus. Pendant 22 ans, le pays a été coupé du reste du monde et les changements ont été le fruit de révolutions directes ou indirectes. Changeons la façon de gérer le pays ! J'ai décidé d'organiser ce forum pour tracer le chemin, mais aussi pour discuter avec les Malgaches, les experts, la diaspora et pour partager notre vision que nous allons transformer en action. 

Ce forum était initialement prévu en avril : le report de l'évènement a-t-il un lien avec l'interdiction de circuler sur le territoire qui vous avez été formulée et les pressions exercées par le pouvoir en place ?

Effectivement, le pouvoir m'a empêché de me déplacer à l'intérieur du pays à la suite de l'invitation du maire du Port de Mahajanga  pour inaugurer des infrastructures financées par la ville : routes, salles de sport, centres de traitement des déchets... La situation était embarrassante pour le pouvoir qui voyait se développer une ville détenue par un élu de l'opposition. Cependant, face à la contestation des parlementaires, concernant les lois électorales adoptées au « forceps » par l'Etat, les choses ont changées car la goutte d'eau a fait déborder le vase. Ces lois ont été jugées anticonstitutionnelles par la Haute Cour constitutionnelle et aujourd'hui l'opposition exige la liberté d'opinion, de circulation et de réunion, à travers le mouvement des 73 parlementaires, sous les yeux de la communauté internationale...La démocratie a été confisquée par le pouvoir, tout comme la liberté d'expression. Il y a également eu des pressions exercées à travers les opérateurs économiques à Madagascar et même à l'international. Beaucoup de gens ont été intimidés y compris parmi ceux qui ont participé au lancement de l'IEM (...) Cependant, ce premier forum à Antananarivo a rassemblé le patronat, les présidents de groupes industriels : le vent a tourné.

L'IEM est définie comme un « think-tank », mais son orientation ressemble fort à un programme électoral... On vous appelle « Président » et vous êtes actuellement soutenu par des investisseurs et des représentants politiques : n'êtes-vous pas en train de vous positionner en contre-pouvoir?

Premièrement, l'IEM est une plateforme de concertation avec des experts nationaux et internationaux. Les intervenants sont axés sur leurs expériences professionnelles respectives. Ensuite, l'IEM s'inscrit dans la durée et je souhaite qu'elle perdure, même si je devais être au pouvoir. Il y aura d'autres rendez-vous au cours des semaines et des mois à venir, sur des thématiques variées. On a trop souvent vu des chefs d'Etat créer des fondations seulement après l'exercice du pouvoir. 

Comment allez-vous  capitaliser les conclusions de ce premier forum de l'IEM ?

Beaucoup de dossiers ont été proposés par les personnes de bonne volonté qui ont assisté à ce forum. Par ailleurs, les Instituts d'études politiques de Paris et de Madagascar ont procédé à un encadrement scientifique de ce qui a été présenté pour la restitution des débats.

De quels moyens techniques, financiers et humains, disposez-vous pour transformer « votre vision en action » ?

Au niveau de la diaspora, on compte jusqu'à 600 adhésions hebdomadaires. Nous sommes près de 3 000 membres, parmi lesquels des techniciens qui ont soutenu d'autres chefs d'Etat et qui ne partagent pas notre vision politique. L'important était de rassembler les têtes pensantes comme moteur de développement.S'agissant des moyens techniques, nous disposons d'une plateforme de plus de 80 personnes qui s'attèlent à la mise en place de notre projet. Notre équipe est composée de juristes et de chercheurs (...) Nous allons mettre Madagascar sur les rails du développement et rallier le peuple autour d'un programme : c'est ça l'objectif !

Un programme de développement... politique ? Quand vous prononcerez-vous sur votre candidature aux prochaines élections présidentielles ?

Un candidat qui annonce sa candidature sans connaître les vraies problématiques des Malgaches ne serait pas un bon président. Le peuple malgache veut quelque chose de concret. Dans un premier temps, je vais donc aller à la rencontre de la population (...) C'est ainsi que j'apporterai les solutions appropriées à leurs demandes. Quand je serai capable d'amener ces solutions, j'annoncerai ma candidature.

L'échéance se rapproche. Où en êtes-vous dans l'élaboration de ces solutions ?

Nous avançons. Concernant l'énergie par exemple, nous disposons du mapping de l'île et nous connaissons la puissance installée et celle demandée pour chaque commune (...) Prenons le cas d'Ambilobe qui reflète la situation nationale. Il existe un gisement d'or situé à seulement 30 km de là. Malheureusement, Ambilobe ne dispose pas d'eau potable et les routes sont en terre battue. C'est scandaleux (...) Si l'on continue ainsi, dans 10 ou 20 ans, il n'y aura toujours pas d'eau potable à Ambilobe. J'ai proposé une solution et je voudrais en faire de même dans d'autres districts en allant à la rencontre des Malgaches pour leur redonner espoir et fierté. C'était prévu depuis mon retour définitif au pays en janvier, mais on m'en a empêché. Cependant, dès la fin du forum de l'IEM, je ne serai plus à Antananarivo, car je vais traverser chaque district.

Lire aussi : Madagascar : passe d'armes politique autour du gouvernement d'union nationale

N'existe-t-il pas un risque d'amalgame entre l'IEM et le MAPAR aux yeux de la population malgache?

Les gens arrivent vraiment à distinguer les deux entités. Le MAPAR est notre plateforme politique et les experts d'IEM ne sont pas les membres de notre parti bien qu'ils œuvrent pour le développement de Madagascar. 

Vous n'avez pas donné de suite à l'appel de l'ancien président Ravalomanana. L'avez-vous contacté dans le cadre d'une stratégie d'« union circonstancielle »?

Jusqu'à présent, je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer Monsieur Ravalomanana. S'il y eu beaucoup de tensions en 2009, ce n'est plus le cas actuellement. Nous pouvons nous croiser et d'ailleurs, lors de la béatification de Botovasoa à Vohipeno, on était dans le même hôtel, ce qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années ! Quand il s'agit de Madagascar, l'intérêt supérieur doit primer sur les ambitions politiques. J'appelle tout un chacun à participer à la réflexion pour le développement de Madagascar (...) Les parlementaires de Ravalomanana étaient présents lors du forum. Cela reflète une certaine ouverture de notre part. C'est essentiel, car nous devons parler d'une même voix pour le pays. Nous nous opposerons toujours sur le terrain politique pour les élections à venir, que ce soit au niveau régional, communal ou présidentiel, mais l'important est d'instaurer de vrais débats démocratiques.

Dans quelle mesure Andry Rajoelina en 2018 se distingue-t-il du président de la Transition ?

De 2009 à 2018, je suis resté patriote et engagé dans le développement de mon pays. Je n'ai pas changé sur ce point. En revanche, deux choses ont évolué. Premièrement, en 2009 je n'étais pas préparé pour gérer un grand pays comme Madagascar, contrairement à aujourd'hui. Ensuite, je suis désormais entouré par des experts qui peuvent non seulement m'éclairer, mais aussi appliquer notre programme (...) Cette expérience au sommet de l'Etat pendant cinq ans m'a appris beaucoup  de choses et la vie aussi...

Que changeriez-vous si vous deviez revenir au sommet de l'Etat ?

Nous allons tout mettre en œuvre pour que le peuple malgache retrouve le sourire avec l'émergence de Madagascar, à l'image d'un certain nombre de pays africains. Nous sommes loin derrière des pays comme le Sénégal par exemple. Le président Macky Sall a été élu deux ans après que je sois arrivé à la tête de l'Etat malgache, mais lorsque vous comparez aujourd'hui l'émergence du Sénégal à la situation de Madagascar, j'en ai les larmes aux yeux... Si vous regardez Diamniadio, la ville nouvelle sénégalaise, avec son autoroute et son train régional : c'est ça que l'on veut faire! Les choses qui n'ont pas pu être réalisées depuis l'indépendance, nous  allons les matérialiser. Nous allons apporter de l'eau potable, raccorder, électrifier la majeure partie de Madagascar, avec des choses quantifiables et mesurables dans les cinq ans à venir.

Quel regard portez-vous sur la répression du 21 avril qui a entraîné la mort de deux manifestants de l'opposition au régime ?

Les tirs à balles réelles sont le résultat des ordres donnés par le président et les dégâts sont là. Personnellement, j'ai laissé les partisans de Ravalomanana se manifester tous les jours et ce, pendant cinq ans ! Ils l'ont fait dans leur enceinte qui s'appelle le MAGRO. C'est ça la démocratie ! Avec la présidence actuelle, il est quasiment interdit d'organiser des réunions publiques. C'est une dictature qui confisque la démocratie. Lorsque j'étais à la tête de l'Etat, j'avais donné l'ordre d'enlever les balles réelles dans pareilles circonstances. Il n'y avait pas de répression et encore moins de tirs à balles réelles des militaires sur les populations, Dieu merci ! Je touche du bois (joignant le geste à la parole).

...Des tirs à la chevrotine ont été identifiés. Serait-ce le fait de l'armée sur ordre de la présidence ?

Il existe une vidéo. Selon plusieurs témoins qui ont assisté à la scène, les militaires ont tiré à balles réelles sur les manifestants qui ont péri. Il y a eu aussi des tirs de chevrotine qui ont fait quelques blessés mais ceux qui ont perdu la vie, ont reçu des balles de l'armée.

Qu'est-ce qui vous empêcherait de vous présenter à la magistrature suprême ?

(Rires) D'après vous ? Je vous retourne la question : qu'est-ce qui m'empêcherait de me présenter aujourd'hui ? L'important est d'apporter une solution au développement de Madagascar. Ce n'est pas une obligation, mais un devoir envers notre nation et envers la population de Madagascar.

En cas de remaniement gouvernemental, accepteriez-vous la main tendue du président Hery Rajaonarimampianina ?

Il ne le fera jamais, car c'est ce qu'il devait faire depuis le début ! Et si tel était le cas, nous ne sommes pas intéressés par les postes dans les ministères. Nous voulons une alternance démocratique à Madagascar pour retrouver une stabilité et obtenir la transparence des élections.

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