Guinée : Alpha Condé captif, la junte prépare la transition avec les « forces vives de la nation »

Triste fin de carrière pour le premier président démocratiquement élu de Guinée, tombé le 5 septembre aux mains du Colonel Mamady Doumbouya. Depuis, les « putschistes » cherchent à rassurer la communauté internationale et organisent des consultations avec les Guinéens pour préparer la transition. Exil doré comme Blaise Compaoré pour Alpha Condé  ou épilogue juridique « à la Hissène Habré »? Chronique d'une fin de régime annoncée.
Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial du Secrétaire général des Nations-unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel est arrivé ce lundi 13 septembre 2021 à Conakry où il s'est entretenu avec le chef de junte, le colonel Doumbouya.
Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial du Secrétaire général des Nations-unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel est arrivé ce lundi 13 septembre 2021 à Conakry où il s'est entretenu avec le chef de junte, le colonel Doumbouya. (Crédits : Unowas)

Alpha Condé a été arrêté par les hommes du Colonel Mamady Doumbouya, un ancien légionnaire de l'armée française âgé de 41 ans, qu'il avait recruté pour prendre la tête du groupement des forces spéciales guinéennes (GPS) en 2018. Marié à une Française, il a participé en février 2019 à des manœuvres militaires de l'opération Flintlock, chapeautée par les Etats-Unis dans une logique « d'empowerment » des armées locales pour lutter contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest (avec Assimi Goïta, dont les liens avec les Etats-Unis avaient été révélés par le Washington Post).

Malinké de la région de Kankan, tout comme Alpha Condé, Mamady Doumbouya aurait commencé à s'inquiéter de son avenir après la création d'une brigade d'intervention rapide disposant des mêmes prérogatives que les forces spéciales qu'il dirigeait, avec en sus, la surveillance des frontières nationales, de sources bien informées. Sentant le vent tourner et prévenu d'une arrestation imminente, Doumbouya aurait pris les devants.

Le 5 septembre au matin, des tirs à l'arme lourde sont entendus du côté de Kaloum à Conakry. A ce moment-là, le pays est plongé dans la plus grande confusion. « La garde présidentielle, appuyée par les forces de défense et de sécurité, loyalistes et républicaines, ont contenu la menace et repoussé le groupe d'assaillants », affirme le ministère de la Défense dans la matinée, mais l'information est vite contredite. A la mi-journée, Mamady Doumbouya annonce à la télévision nationale, l'arrestation d'Alpha Condé, la dissolution de la Constitution, du gouvernement, la fermeture des frontières et l'instauration d'un couvre-feu.

Une arrestation qui fait le buzz sur les réseaux sociaux

La communauté internationale a été prise de court (à l'instar de l'équipe nationale de football marocaine bloquée à l'intérieur des frontières jusqu'à l'intervention du Roi Mohammed VI), mais nombreux sont ceux qui prétendent que cet épilogue était prévisible. Prévisible ou prémédité ? Le président Alpha Condé semble avoir été surpris au saut du lit.

A 83 ans, Alpha Condé est fait prisonnier par les hommes du Colonel Doumbouya. Débrayé et affalé sur un sofa, en arrière-plan de putschistes qui prennent la pose pour la postérité, le président déchu, passablement agacé, est photographié par ses ravisseurs qui postent rapidement la preuve de sa détention sur les réseaux sociaux. En quelques minutes, l'image fait le tour du monde et rappelle l'arrestation retentissante de son homologue ivoirien, Laurent Gbagbo, 10 ans plus tôt, capturé hagard en maillot de corps et exposé aux caméras du monde entier.

Après de longues années en exil, l'opposant historique Alpha Condé avait remporté l'élection présidentielle de 2010, succédant au sulfureux Moussa Dadis Camara (président entre 2008 et 2010), aujourd'hui en exil à Ouagadougou), avec 52,5 % des suffrages exprimés au second tour face à Cellou Dalein Diallo, le candidat de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Réélu en 2015 avec 57,9 % des voix dès le 1er tour, sa candidature pour un 3e mandat avait provoqué l'ire de l'opposition et d'une partie de la population qui dénonçait un « coup d'Etat constitutionnel ». Bilan : plusieurs dizaines de manifestants hostiles au changement constitutionnel sont morts pendant cette période selon Amnesty International, qui dénonce par ailleurs, des arrestations illégales, des tortures et des détentions arbitraires à répétition. En octobre 2020, Alpha Condé est réélu avec 59,5% des suffrages au 1er tour, dans le cadre d'un scrutin pour le moins controversé.

Condamnation unanime de la communauté internationale

Si le 3e mandat de Condé avait été mal perçu par la communauté internationale, sa détention est unanimement condamnée. Réclamant sa libération, le Secrétaire général de l'ONU a déploré ce « coup de force » sur Twitter, tout comme la Cédéao qui a exigé la libération immédiate d'Alpha Condé, appelant au retour de l'ordre constitutionnel sous peine de sanction. Le 9 septembre, la Cédéao suspendait la Guinée de ses instances, avant que l'UA ne lui emboîte le pas, 48 heures plus tard. Le ministère français des Affaires étrangères demandait le « retour à l'ordre constitutionnel -appelant- à la libération immédiate et sans condition du Président Condé » au soir du 5 septembre. Les Américains ont manifesté leur préoccupation, prévenant que ce coup d'Etat était de nature à limiter le soutien de l'Oncle Sam à la Guinée, alors que Moscou exprima son inquiétude, rejetant « toute tentative inconstitutionnelle de changement de pouvoir ». Prudente, la Chine qui a massivement investi dans les mines de Guinée a indiqué par la voix de son porte-parole du ministère des Affaires étrangères « suivre la situation de près ».

Au soir du coup d'Etat, des habitants sont filmés dans les rues de Conakry, escortant les véhicules des putschistes, acclamant le nouvel homme fort du pays, qui se présente comme un libérateur à la tête d'un Comité national pour le redressement (CNRD). «  Si le peuple est écrasé par ses élites, il revient à l'armée de rendre au peuple sa liberté », déclarait le Colonel Doumbouya (ndr : citant l'ancien président ghanéen Jerry Rawlings), en uniforme, enveloppé dans le drapeau guinéen, à la télévision nationale.

Pour Aliou Barry, le directeur du Centre d'analyse et d'études stratégiques (CAES) « une profonde crise politique, sociale et économique précédait la chute d'Alpha Condé. Aujourd'hui, la population est dans l'expectative. Il n'y a pas de grande liesse populaire, car les attentes sont fortes et le souvenir de Dadis Camara encore proche (2010). Les Guinéens observent le Mali et y voient un homme qui, arrivé au pouvoir à la suite d'un coup d'Etat militaire, s'y éternise. Ils saluent la fin du régime d'Alpha Condé sans donner carte blanche au Colonel Doumbouya ».

Selon plusieurs sources locales contactées par La Tribune Afrique, la population guinéenne alterne entre inquiétude et soulagement d'une fin de règne contesté. De son côté, le chef de la junte assure que la justice sera « la boussole » de l'agenda de la transition...

Les raisons de la colère

La Guinée est considérée comme le « château d'eau » de l'Afrique pour son potentiel hydrologique, encore largement inexploité. Sa terre riche en minerais en fait une destination particulièrement attractive pour les investisseurs étrangers. Le pays dispose des premières réserves mondiales de bauxite pourtant, son économie extravertie et peu diversifiée reste vulnérable aux chocs externes. L'or, la bauxite et le diamant représentent près de 85% des exportations guinéennes. Pays agricole (52% de la population active), le secteur ne contribue qu'à hauteur de 23% du PIB, selon les informations du Trésor.

Peuplé de 13,1 millions d'habitants, le PIB de la Guinée plafonnait à 15.4 milliards de dollars en 2020. Près de 44% des Guinéens vivent sous le seuil de pauvreté - le pays es classé à la 178e place de l'Indice de développement humain (IDH) - avec une espérance de vie qui dépasse péniblement 60 ans, selon les Nations Unies.

Une personnalisation du pouvoir qui ne passe plus, des jalousies en interne sans discontinu, une corruption qui ne faiblit pas, un président vieillissant qui apparaît de plus en plus affaibli et qui laisse présager un nouvel horizon politique, ont précipité la chute d'Alpha Condé qui apparaît comme un homme seul.

« La gabegie financière, la pauvreté, la corruption endémique ont amené l'armée guinéenne, à travers le Comité National de Rassemblement et du Développement, à prendre ses responsabilités (...) La personnalisation de la vie politique est terminée », déclarait Mamady Doumbouya, dans une allocution télévisée quelques heures après la prise de pouvoir.

Quel avenir pour Alpha Condé ?

A l'heure de la rédaction de cet article, Alpha Condé est toujours retenu prisonnier et refuse de signer sa démission. Sera-t-il extradé ou livré à une cour de justice africaine voire à la cour pénale internationale (CPI) ? Pour Aliou Barry, le « drame de la Guinée n'est pas à imputer uniquement à Alpha Condé. Les membres de la Cour constitutionnelle qui ont participé à l'habillage juridique du pouvoir ont aussi des responsabilités. L'impunité ne peut pas durer, car il y a eu plusieurs centaines de morts sous la présidence d'Alpha Condé. Sans parler de chasse aux sorcières, on ne peut pas fermer les yeux... Pour l'instant, personne n'a été arrêté et nous ignorons toujours sous quel chef d'accusation est retenu Alpha Condé. S'il est libéré et transféré à l'étranger, il faudrait que le pays d'accueil accepte un scénario comme celui d'Hissène Habré, qui permette la mise en place de cours de justice africaines, car les victimes n'accepteront pas un exil doré ».

Cherchant à rassurer les Guinéens et la communauté internationale, Doumbouya a rapidement annoncé la mise en place d'un gouvernement d'union nationale chargé d'assurer la transition et libéra les premiers opposants politiques. Après avoir convoqué l'ensemble du gouvernement (« Tout refus de se présenter sera[it] considéré comme une rébellion »), les premières passations de pouvoir se sont déroulées dans le calme. Néanmoins, prendre « les mêmes acteurs » ne produira-t-il pas les mêmes effets ?

Pour Aliou Barry, « la junte a toutes les cartes en main pour réussir la transition, en prenant le temps de stabiliser le pays sur le plan politique et sécuritaire pour créer les conditions d'une élection transparente avec un fichier électoral assaini ». Il faudra au chef de la transition, choisir entre l'abolition pure et simple de la Constitution et son aménagement. « Doumbouya cite le Ghanéen Rawlings, chantre de la bonne gouvernance en Afrique [...] Il a interdit les manifestations en son honneur et demandé à retirer les portraits à son effigie pour éviter le culte de la personnalité. Plusieurs signes montrent qu'il veut aller dans le bon sens, mais la Guinée a eu pour habitude de fabriquer des autocrates. Souvenons-nous qu'Alpha Condé a été entouré par les hommes de Lansana Conté jusqu'à la fin de son régime », conclut l'expert en géopolitique avec prudence.

Le CNRD prend ses quartiers au palais présidentiel Sékhoutouréya

Une semaine après la chute d'Alpha Condé, le CNRD prend ses quartiers au palais Sékhoutouréya. Le périmètre alentour est sécurisé et la logistique s'organise depuis le week-end dernier. La page Alpha Condé semble bel et bien tournée. La junte multiplie les rencontres : d'abord les représentants de la CEDEAO, de l'UA puis le Secrétaire général de l'ONU pour l'Afrique, puis les partis politiques, les opérateurs économiques, les chefs religieux, les organisations de la société civile, les missions diplomatiques et les associations des Guinéens de l'étranger. Les consultations ouvertes aujourd'hui (14 septembre), se poursuivront jusqu'à vendredi prochain.

En quelques jours, le ton des chancelleries et des partenaires internationaux a sensiblement évolué. L'heure n'est plus à la condamnation, mais aux discussions avec le CNRD. « Nous voulons les écouter : « Que pensent-ils de l'avenir de leur pays ? Quelle transition veulent-ils pour leur pays ? », afin que nous puissions les accompagner pour que la Guinée sorte de la crise » expliquait Mahamat Saleh Annadif, le Secrétaire général de l'ONU pour l'Afrique, le 13 septembre en conférence de presse à Conakry, précisant par ailleurs que la durée de la transition serait « celle choisie par les Guinéens eux-mêmes ». Cette déclaration tranche avec les recommandations faites au Mali voisin, qui avait été sommé par les organisations régionales en particulier de respecter une durée de 18 mois pour organiser les prochaines élections...

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Commentaire 1
à écrit le 23/09/2021 à 13:21
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Bonne analyse

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