Rachid Ndiaye : « Alpha Condé ne prétend pas avoir résolu tous les problèmes en dix ans »

« Election de tous les dangers », « scrutin décisif » …, la présidentielle en République de Guinée dont le premier tour se tient ce dimanche 18 octobre soulève diverses interrogations autour de cette économie ouest-africaine riche en ressources et dont la situation politique, très tendue, fait craindre une éventuelle instabilité. Rachid Ndiaye, ministre d’Etat et conseiller spécial du président Alpha Condé répond...
Ristel Tchounand
(Crédits : Reuters)

La Tribune Afrique - A la veille du premier tour de la présidentielle, l'opposition dénonce toujours un fichier électoral « biaisé » bien que validé par la mission conjointe CEDEAO-Union Africaine- ONU. Cellou Dalein Diallo redoute même des fraudes électorales. A quoi faudrait-il s'attendre selon vous ?

Rachid Ndiaye - Je crois qu'il y a une surenchère de la part de l'opposition autour de la question du fichier électorale. A ce propos, le débat est clos. Lors de sa visite à Conakry, comme vous le soulignez, la CEDEAO qui a rencontré la CENI [Commission électorale nationale indépendante, ndlr] a clairement assuré de la fiabilité du fichier électoral. Je crois que cette partie du dossier ne fait plus l'objet de controverse aujourd'hui.

Rachid Ndiaye

En ce qui concerne la question liée à de potentielles fraudes électorales, j'aimerais rappeler qu'il s'agit d'une élection organisée et supervisée par une commission nationale indépendante, composée sur une base paritaire de représentants de la majorité et de l'opposition. L'Etat veille à ce que toutes les conditions de sécurité soient établies sur l'ensemble du territoire national, afin que tout puisse se passer dans la paix, le calme et la sérénité.

Les difficultés d'accès à internet observées cette semaine suscitent des interrogations quant à l'accès à internet durant le scrutin. Faut-il s'en inquiéter ?

Non. Il n'y aura pas de problèmes particulier à ce sujet. De toutes les façons, il n'est pas de la volonté du gouvernement d'empêcher le fonctionnement normal des canaux de communication dans un pays de démocratie et de respect du fonctionnement de la presse en général.

La Guinée est un pays riche en ressources naturelles qui, cependant, ne reflète pas son potentiel économique. Au-delà de la croissance du PIB, l'Etat a-t-il vraiment fait le nécessaire jusque-là pour le rayonnement de cette économie ouest-africaine ?

Je crois qu'au bout d'une décennie, les efforts consentis pour préserver les grands équilibres macro-économiques ont permis d'aboutir à des accomplissements importants. La Guinée a accès à l'initiative PPTE depuis décembre 2012 après avoir renoué avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Au-delà de l'importante baisse de l'inflation et du déficit budgétaire, ainsi que le dynamisme de la croissance économique -qui, de l'ordre de 6% est un peu supérieure à ce qui s'observe dans plusieurs pays de la région-, le plan de soutien à l'agriculture permet aujourd'hui au monde paysan de vivre dans de meilleures conditions qu'avant. En outre, la mesure d'affectation de 15% des recettes minières -soit 700 milliards de Francs guinées- au financement des collectivités locales est un coup de pouce majeur au développement local. Je pourrais encore citer tant d'éléments. Bien évidemment, tout se construit sur la durée. Alpha Condé ne prétend pas avoir résolu tous les problèmes en dix ans. Mais l'économie n'est plus dans le rouge. Aujourd'hui, je crois que c'est l'essentiel.

Que dire des attentes, des entrepreneurs, investisseurs..., sachant qu'une forte inquiétude grandit dans les milieux d'affaires dans ce contexte électoral tendu ?

En matière électorale -et la Guinée ne fait exception à la règle, les investisseurs sont souvent frileux face au discours d'une opposition qui utilise un peu la violence comme stratégie électorale. Ils se diront qu'il faut laisser passer la période électorale. Mais après tout, une élection fait partie des règles de fonctionnement d'un Etat. Chaque fois qu'un mandat arrive à son terme, il est normal que des élections soient organisées. Il n'y a pas d'inquiétudes à se faire à ce niveau.

Mais c'est bien le troisième mandat du président Alpha Condé qui suscite les mouvements de contestation et nourrit l'inquiétude...

Je pense qu'il faut replacer les choses dans leur contexte. Premièrement, sur un plan strictement légal, le pays vient de se doter d'une nouvelle constitution qui a été adoptée par référendum par l'ensemble de la population et c'est le peuple qui est souverain. Deuxièmement, des élections législatives ont été organisée le 22 mars 2020. C'est vrai que le principal leader de l'opposition avait décidé de ne pas prendre part à ce scrutin, cela relève de sa liberté et de responsabilité. Cependant, ils ont boycotté le référendum et les élections législatives et se présentent quand même à l'élection présidentielle.

Justement, le changement de constitution à l'approche des échéances électorales et les mandats supplémentaires non prévus par la loi reviennent souvent sur le continent. Ce cycle politique fait craindre une crise post-électorale en Guinée, ce qui serait dommageable pour l'économie, avec des répercussions brutales sur les populations. Quel est aujourd'hui le regard du pouvoir guinéen sur le modèle politique vis-à-vis du modèle économique ? Que propose Alpha Condé ?

Nous sommes dans une situation d'offre politique. Celle-ci ne peut être validée que par le peuple souverain. On peut discuter du pour ou contre la limitation de mandat, mais à partir du moment où la réforme passe dans le cadre de l'exercice de la démocratie où chacun donne son point de vue, il est important d'en tenir compte.

Alpha Condé propose à la population guinéenne un pacte de bonne gouvernance dont l'élément clé repose sur l'amélioration des conditions de vie des populations. Pendant sa campagne, il parlait de prospérité partagée. Il considère que la politique doit être en faveur du plus grand nombre. Il faut d'abord servir l'intérêt général.

Après, les relations entre modèle politique et modèle économique sont une question d'interprétariat. Il y a des pays dans le monde où la situation économique est meilleure de la situation politique et d'autres pays où c'est l'inverse. Je crois que le plus important aujourd'hui est d'arriver à des points de convergence, c'est-à-dire que les gens puissent se mettre d'accord sur ce qu'on peut considérer comme l'essentiel. Et l'essentiel c'est le respect des règles du jeu, le respect de l'évolution du pouvoir, le respect du partage des fruits de la croissance sur le plan économique.

Est-ce le cas en Guinée ?

C'est le cas. Oui. Un examen de la situation des populations rurales, du monde agricole montre que dix années plutôt, on n'en n'était pas là. La situation s'est largement améliorée.

Une importante partie de la population reste toutefois insatisfaite et réclame l'alternance. Que leur répondez-vous ?

Comme on dit généralement, on parle jamais des trains qui partent avant l'heure, on ne parle que des trains qui ne partent pas. Nous sommes dans une démocratie dans laquelle les gens ont le droit d'exprimer leur opinion. Il y a donc ceux qui soutiennent et ceux qui critiquent. Mais je crois qu'aujourd'hui, il y a aussi une importante majorité de la population qui s'exprime en faveur de la politique menée dans le pays depuis dix ans. Et la meilleure façon de trancher sur ce point, c'est de le faire par les urnes.

Cette élection présidentielle en Guinée est une élection inclusive. Aucun acteur politique n'a été exclu, personne n'a perdu ses droits civiques, personne n'a été contraint à l'exil, personne n'a été radié, personne n'a été empêché de se présenter et croyez-moi, ce n'est pas le cas partout et il faut le reconnaitre. A partir du moment où les acteurs ont le choix de se présenter, ils ne contestent pas l'institution chargée d'organiser les élections, c'est-à-dire la CENI qui est fondée sur la loi et dans laquelle il y a sept représentant de l'opposition, sept représentants de la majorité et un représentant issu de la société civile, je crois que ces garanties sont quand même importantes et dont il faut tenir compte.

Quand pourra-t-on s'attendre à la réouverture des frontières de la Guinée avec le Sénégal, la Guinée Bissau et la Sierra Leone ?

Ce que je peux dire c'est qu'il ne s'agit pas d'une acte d'adversité, mais une mesure de protection visant à limiter l'influence négative qui peut résulter de mouvements non contrôlés des populations en période électorale qui peuvent être source d'instabilité. Il faut donc contenir tout cela, pour que l'élection se déroule dans la paix et la sécurité. C'est une mesure contraignante, mais qui n'est pas anti-démocratique.

Au plan interne, on retiendra que lorsque chacun respecte les règles du jeu, il n'y a pas de place pour la violence et c'est important que les gens comprennent qu'une élection est une compétition électorale basée sur l'offre politique, c'est-à-dire que chaque acteur propose à la population le projet de société qu'il défend et le peuple se prononce en faveur du projet le plus convaincant.

Ristel Tchounand

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