Tunisie : quitte à se mettre le FMI à dos, le Premier ministre Chahed s’achète la paix sociale

Le gouvernement tunisien est parvenu à un accord avec la puissante centrale syndicale, UGTT, qui menaçait d’entamer une série de grèves à partir de ce 24 octobre. En contrepartie de la levée du mot d’ordre, le gouvernement Youssef Chahed s’engage à opérer une augmentation des salaires des fonctionnaires, ce qui risque de provoquer la désapprobation du FMI qui s’inquiétait depuis des années du poids de la masse salariale.
Le Premier ministre tunisien Youssef Chahed.
Le Premier ministre tunisien Youssef Chahed. (Crédits : Reuters)

Les travailleurs tunisiens se frottent déjà les mains, puisque la pression de la puissante Union générale des travailleurs de Tunisie (UGTT) sur le gouvernement Youssef Chahed a fini par payer. Alors que la centrale comptait déclencher un mot d'ordre de grève générale dans la fonction publique le mercredi 24 octobre, les négociations entamées avec le gouvernement ont conduit à la signature d'un protocole d'accord entre les deux parties.

Au terme de l'accord, signé en grande pompe ce lundi 22 octobre, le gouvernement s'engage à revaloriser les salaires des employés du secteur public et en contrepartie, l'UGTT a décidé de lever son mot d'ordre de grève.

Selon les détails donnés par la centrale syndicale, à l'issue de la réunion de la réunion de sa commission administrative du dimanche 21 octobre, les augmentations salariales qui seront étalées sur trois années seront de 205 à 250 dinars, soit entre 62 et 76 euros en fonction des différentes catégories professionnelles.

L'UGTT a également obtenu du gouvernement l'abandon de certaines mesures que comptait prendre le gouvernement dans le cadre de sa stratégie de relance économique, notamment la privatisation de certaines entreprises publiques, ainsi que la poursuite des négociations pour une augmentation des salaires dans le privé.

«L'annulation de la grève prévue le 24 octobre 2018 dans le secteur public constitue une victoire pour la Tunisie et pour les travailleurs», a estimé, à la suite de la décision, le secrétaire général de l'UGTT, Nourredine Taboubi, qui met ainsi en avant les risques d'embrasement du climat social que le pays vient de s'épargner.

Entre le marteau et l'enclume

En paraphant le protocole d'accord, le gouvernement du Premier ministre Chahed a certainement voulu parer au plus pressé, en mettant la main à la poche pour «s'acheter une paix sociale». Alors que le climat politique est de plus en plus tendu, au fur et à mesure que s'approchent les échéances électorales de 2019, tout risque d'embrasement social est de nature à amplifier les facteurs d'incertitudes qui planent sur le pays.

La Tunisie a d'ailleurs vu dernièrement ses notes souveraines dégradées par plusieurs agences internationales de notation, en raison justement des incertitudes qui planent sur ses perspectives de croissance.

Cette décision du gouvernement ne manquera d'ailleurs pas de provoquer le courroux du FMI qui s'inquiète depuis des années du poids de la masse salariale sur le budget de l'Etat. Le FMI s'était en effet porté, en 2016, au chevet de la Tunisie qui traverserait une conjoncture assez difficile, à la suite des événements liés au «printemps arabe» de 2011. Le 20 mai 2016, le conseil d'administration du Fond a ainsi accordé au pays un programme d'assistance étalé sur quatre années à travers son mécanisme de Fonds de facilité étendue (Extended Fund Facility).

En contrepartie de réformes structurelles, le pays s'est vu octroyer un arrangement financier de 2,9 milliards de dollars dont la quatrième tranche a été décaissée en septembre dernier. Au titre des ajustements budgétaires attendus, la réforme des subventions publiques, notamment dans le secteur de l'énergie, la lutte contre la corruption, et surtout, la maîtrise de la masse salariale.

[Lire aussi :  Tunisie : enfin un autre accord avec le FMI pour la poursuite du programme d'assistance financière]

Malgré le retard accusé dans la mise en oeuvre de certaines de ces réformes qui ont valu au gouvernement plusieurs rappels à l'ordre, le gouvernement était sur la bonne voie. C'est ce qu'illustre d'ailleurs l'appréciation de l'évolution de la situation économique faite par le FMI en début de ce mois d'octobre et qui a été reprise dans une note d'analyse du profil pays, publiée ce lundi 22 octobre par les services de l'institution financière internationale.

«Grâce à des récoltes exceptionnelles et à une saison touristique renouant avec les niveaux de 2010, la croissance du PIB a accéléré au deuxième trimestre 2018, se hissant à 2,8 % contre 2,5 % au cours du trimestre précédent», lit-on dans le document qui fait état d'une inflation estimée à 7,5% du PIB en août et d'un déficit courant qui s'est réduit de 1% à la même période. Toutefois et malgré ces signes de reprise, le FMI n'a pas manqué de rappeler au gouvernement les priorités du programme, parmi lesquels la question de la maîtrise de la masse salariale.

«Pour préserver la reprise en cours, les autorités devraient envisager de réformer les subventions à l'énergie, d'imposer des limites plus strictes à l'embauche et à la rémunération dans le secteur public, de réformer les retraites et de relever encore les taux d'intérêt», souligne de nouveau le FMI.

La décision du gouvernement de procéder à des augmentations salariales s'inscrit donc en porte-à-faux de ses engagements avec le FMI et de ses objectifs de relance économique, sans oublier qu'au regard de la conjoncture que traverse le pays, il sera difficile de trouver les fonds nécessaires, sans remettre en cause les équilibres macroéconomiques en plein processus d'ajustement.

D'ailleurs, les fonds nécessaires à la mise en œuvre de cet accord n'ont pas été prévus dans le projet de loi des finances 2019, ce qui augure d'une nouvelle préoccupation pour le gouvernement.

Toutefois, à la veille des élections, notamment présidentielles, prévues l'année prochaine, les organisations salariales sont conscientes de l'opportunité de procéder sur fond de surenchère syndicale, ce qui constitue un mauvais présage pour le Premier ministre et le président Béji Caid Essebsi, alors qu'une guerre de leadership se profile entre les proches du locataire du Palais de Carthage et celui de la Kasbah que l'on dit déjà probable candidat à la prochaine présidentielle.

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