Décarbonation et villes neutres pour le climat : quelles innovations partagées entre l'Europe, la Méditerranée et l'Afrique ?

Comment le partenariat Europe-Afrique peut-il permettre de rendre les espaces urbains neutres pour le climat ?... Tribune de Samir Abdelkrim, fondateur d'Emerging Valley, d'Emerging Mediterranean, et auteur de Startup Lions
(Crédits : Emerging Valley)

Aujourd'hui, les villes couvrent environ 3% de la surface de la Terre mais produisent plus de 70% des émissions de gaz à effet de serre, principales responsables du réchauffement climatique. L'échelle municipale apparaît donc des plus pertinentes pour engager une démarche de neutralité carbone, en initiant des politiques publiques qui ambitionnent d'atteindre un strict équilibre entre les gaz à effet de serre captés par les puits naturels ou artificiels et ceux émis dans l'atmosphère.

À Marseille, près de la moitié des émissions sont causées par le transport et l'utilisation de la voiture (pour 1 031 605 tonnes de CO2 par an). Mais elles sont également engendrées par les modes de production et de consommation d'énergie, les industries ainsi que les habitudes de consommation. L'objectif de décarbonation représente ainsi l'opportunité pour Marseille de travailler autour de cinq priorités : le retour de la nature en ville, la révolution des transports et des mobilités, la décarbonation du parc immobilier via la production d'énergie verte locale et le développement de communautés énergétiques, la création d'un fonds d'innovation pour la démonstration et le changement d'échelle des projets, et enfin, l'inclusion citoyenne.

Devant ces objectifs de décarbonation et au travers de ces priorités, comment le partenariat Europe-Afrique peut-il permettre de rendre les espaces urbains neutres pour le climat ? Experts et startups œuvrant pour impacter le climat et décarboner les villes ont tenté de répondre à cette question durant la 6e édition d'Emerging Valley en novembre dernier. Voici une restitution de leurs échanges.

Placer les villes au cœur des solutions : les atouts de l'échelon local

Ville portuaire à forte concentration démographique, Marseille concentre tous les atouts et les défis pour porter un projet de ville décarbonée, au service de ses habitants. Par son histoire, son identité et sa position géographique, Marseille est ainsi apte à porter le leadership de l'engagement écologique en Méditerranée, et à faire rayonner les bonnes pratiques et solutions de décarbonation naissantes sur les différents territoires. Dans cette optique, elle s'est déjà rapprochée de villes et maires africains emblématiques du travail de la décarbonation, avec lesquels elle co-innove dans une volonté d'influence mutuelle.

En effet, en étant confrontées à des enjeux communs (forte concentration démographique, sécheresse des sols, bétonisation...) et avec un objectif mutuel d'implication des citoyens et de la jeunesse dans la démarche, la Ville de Marseille et de nombreuses villes africaines peuvent mobiliser leurs forces et leurs connaissances pour trouver des solutions réplicables sur leurs différents territoires. Ainsi, par exemple, de l'autre côté de la Méditerranée, à Tunis, la municipalité initie depuis 2018 une série de plans d'aménagements et un Plan Vert destiné à développer les espaces verts de la cité, aux côtés d'une réelle stratégie durable portée par l'équipe municipale en cheville avec des experts de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, en vue de travailler à l'adhésion de la ville de Tunis au programme « Villes Vertes ».

De plus, en remportant le label européen des « Cent villes neutres en carbone d'ici 2030 » en avril dernier, avec le soutien d'une centaine de partenaires institutionnels, associatifs et privés, la Ville de Marseille s'engage à valoriser l'action collective, primordiale pour avancer efficacement et durablement sur le sujet de la transition écologique.

Par ailleurs, récemment élue Capitale Européenne de l'Innovation 2023, la métropole Aix-Marseille-Provence œuvre également pour imaginer des solutions sur son territoire tout en souhaitant co-construire et s'inspirer des innovations du Sud, en apprenant de ce qui se fait sur le continent africain, à travers notamment la démarche Provence Africa Connect.

Innover sous la pression : quelles solutions pour quels défis ?

Il existe une multitude de solutions innovantes s'appliquant à la ville décarbonée. Au Maroc, par exemple : le pays s'est engagé de manière innovante sur une stratégie d'indépendance des énergies du fossile avec la création de la station Noor Ouarzazate (centrale solaire parmi les plus importante au monde) et a lancé plusieurs agences énergétiques durables. Le Maroc s'équipe aussi de plus en plus de compteurs intelligents et connectés pour mettre en place une distribution d'énergie plus verte.

Le Technopark, l'incubateur principal du Maroc, s'inscrit dans cette démarche. A l'échelle de la ville, le Technopark montre l'exemple à suivre en étant devenu un bâtiment vert depuis 2012 grâce à l'installation d'une plateforme photovoltaïque lui permettant de réaliser, chaque année, plus de 20% d'économie d'énergie. Cette plateforme est aussi utilisée par des startups pour des travaux d'expérimentation en lien avec les énergies renouvelables.

Le Technopark et ses startups incubées participent, par ailleurs, au programme de la ville verte de Zenata, une écocité modèle ayant pour objectif d'être dupliquée au reste de l'Afrique et pourquoi pas en Europe. Celle-ci compte plus de 30% d'espaces verts et bon nombre de services intelligents pour la population allant de l'accès aux soins à la production et distribution d'énergie ou encore à la mobilité. Des enjeux qui concernent l'ensemble des villes, Nord ou Sud.

En Côte d'Ivoire, la startup Coliba a développé une application facilitant le tri des déchets, un autre enjeu fondamental de la ville décarbonée. Dans son approche, cette startup a réussi à offrir une solution digitale aux ménages pour leur permettre d'avoir des réflexes de tri de déchets (peu habituel en Afrique mais aussi pour de nombreuses personnes européennes) grâce à un système de récompense. Ce type de solution est un parfait exemple du changement de paradigme pour lequel œuvre Emerging Valley : contrairement aux idées reçues, les solutions ne viennent plus uniquement du Nord vers le Sud mais peuvent aussi remonter du Sud pour inspirer le Nord. Face à la situation en matière de tri et gestion des déchets, Coliba peut être l'une des solutions africaines majeures et duplicables à une grande partie du bassin méditerranéen.

De manière plus générale, toutes ces innovations ne seront possibles que si d'une part l'on sensibilise la jeunesse à ces problématiques tant pour former des chercheurs et des spécialistes que pour faire intégrer à tous les étudiants, quelque soit leur filière, la nécessité de prendre en compte la durabilité dans leurs comportements du quotidien pour qu'ils aient les bons réflexes. Et si d'autre part, les entreprises et chercheurs co-développent ensemble, au-delà de leur filière respective, en partageant leurs expertises et bonnes pratiques tout en bénéficiant de financements, de cadre législatif favorisant l'innovation ou de réseaux d'hubs d'innovation entre l'Afrique et l'Europe. Le projet ACE Partners en est un parfait exemple. Les incubateurs et accélérateurs d'innovation d'Afrique et d'Europe y ont accès à un réseau d'excellence où ils peuvent conclure des partenariats et entrer en contact avec d'autres chercheurs et innovateurs à fort potentiel. Mais il existe aussi de nombreux autres permettant à ces acteurs de se retrouver pour co-construire et co-inventer la ville décarbonée.

Le pas de côté : la décarbonation appliquée aux océans et au respect du vivant

Il ne peut y avoir de ville décarbonée sans prise en considération et protection de l'océan et de la mer, qui constituent la majorité de notre planète et sans s'inspirer de la durabilité dans le vivant (soit du biomimétisme).

A Marseille, l'Institut Océanographique Paul Ricard œuvre en ce sens. Comme l'a expliqué sa directrice, Patricia Ricard durant la 6e édition d'Emerging Valley, il ne peut y avoir de développement durable sans innovation de rupture intégrant tous les aspects tels que le vent, le soleil et la mer et sans mettre le vivant au cœur de ces innovations. Selon elle, les villes n'intègrent pas assez la biodiversité, or la survie humaine dépend de la survie de la biodiversité. Elle est notre boucle de sécurité pour notre avenir. D'ailleurs biodiversité et changement climatique sont intimement liés : les plantes, les arbres, le plancton captent depuis toujours le carbone par exemple.

La Méditerranée est un laboratoire précieux dans la relation des activités humaines et leur impact sur la vie marine. Berceau des civilisations, elle peut être aussi celui des solutions.

(*) Fondateur d'Emerging Valley, d'Emerging Mediterranean, et auteur de Startup Lions

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