Plaidoyer pour une nouvelle alliance agricole 2.0 entre l’Europe et l’Afrique

Au cœur d'un contexte géopolitique inédit qui a exacerbé une crise alimentaire mondiale déjà en marche, et face à la multiplication des pénuries et des épisodes de sécheresse, la question de la souveraineté alimentaire redevient centrale... Un partenariat Europe-Afrique prônant notamment la technologie et l'innovation peut-il assurer une agriculture durable et responsable dans les territoires eurafricains ?
(Crédits : DR)

Plus que jamais, décideurs et acteurs des échelles locales comme internationales se mobilisent et cherchent de nouveaux moyens de raccourcir leurs échelles de production et de consommation. A l'aide de la technologie et de l'innovation, dans quelle mesure la capacité nourricière et la souveraineté alimentaire des territoires peuvent-elles être assurées grâce au partenariat Europe-Afrique ? Cette grande question a fait l'objet de deux conférences lors de la 6e édition d'Emerging Valley. En voici les principaux enseignements.

Souveraineté alimentaire, une priorité commune aux deux rives de la Méditerranée face à un contexte géopolitique inédit

Avec ses 3 900 exploitations agricoles, ses 145 000 hectares de terres cultivées ses startups et ses chercheurs, le département des Bouches-du-Rhône dispose de tous les atouts pour devenir un laboratoire des innovations agritech. Faisant face, avec ses homologues africains, à des défis communs, tels que la sécheresse, la flambée des coûts de production et la hausse des prix des denrées alimentaires, ainsi qu'un fort taux d'exportation des productions (90 % des productions sont vendues et consommées à l'extérieur du territoire provençal tandis que 90 % de la consommation est importée), le département mesure à quel point l'action commune est primordiale pour avancer efficacement et durablement sur le sujet de la souveraineté alimentaire.

Dans ce contexte, d'autant plus très inflationniste, préserver la capacité nourricière du territoire est devenu un objectif stratégique du projet alimentaire porté à la fois par la Métropole Aix-Marseille-Provence et le Département des Bouches du Rhône et où l'innovation a toute sa place.

C'est aussi ce que vise l'Institut Recherche pour le Développement (IRD), un acteur marseillais majeur, entre autres, sur les questions de l'agriculture, la biodiversité et la coopération scientifique entre l'Afrique et l'Europe. En mettant au cœur de sa démarche l'interdisciplinarité, la co-intelligence et la co-construction, l'IRD intervient, par exemple, au Sénégal pour que l'agriculture soit moins dépendante des intrants chimiques, plus respectueuse de l'environnement et plus résiliente vis-à-vis des aléas climatiques.

Au plus près des besoins des populations locales, les travaux de l'IRD portent aussi sur l'amélioration du stockage, la transformation des produits après la récolte, etc., ou comme par exemple aussi sur la Grande Muraille Verte en renforçant la filière des protéines végétales, le développement de la rizipisciculture à Madagascar, au Mali et au Burkina Faso.

La digitalisation comme solution pour le secteur agricole africain et méditerranéen

De nombreux entrepreneurs innovants se sont lancés dans la digitalisation de l'agriculture en Afrique où une véritable « scène tech » se développe. Accompagnées par les acteurs du territoire Aix-Marseille-Provence, de très belles startups provençales se développent tout en visant aussi l'Afrique. C'est notamment le cas de Telaqua qui propose une solution connectée pour simplifier l'irrigation agricole au quotidien ou encore d'Ombrea qui permet de créer un microclimat qui répond avec précision aux besoins des plantes.

D'autres startups locales travaillent sur l'évaluation et la préservation du foncier notamment avec des solutions par imageries satellitaires pour optimiser la réserve en ressources en eau. La Société du Canal de Provence est également l'une de  ces pépites et vise à valoriser les circuits courts et à accompagner les agriculteurs à l'agro écologie.

Selon le rapport sur la digitalisation de l'agriculture africaine 2018-2019, 400 solutions d'agriculture numérique ont été développées à travers le continent. Des applications dans les services financiers aux liens avec le marché, en passant par la gestion de la chaîne d'approvisionnement, le conseil, les services d'information et la veille économique, les solutions Agritech africaines tendent désormais à atteindre presque toutes les étapes de la chaîne de valeur, avec la donnée au cœur de ce nouveau système et la recherche de structuration d'un écosystème favorable aux solutions AgriTech.

Prenons l'exemple de Tolbi. Cette startup sénégalaise vise à accompagner les coopératives agricoles dans des pratiques plus respectueuses notamment en matière d'utilisation d'engrais. Cet engrais provient essentiellement de la Russie, de la Biélorussie et de l'Ukraine. Une rupture d'approvisionnement sur cette chaîne a des conséquences directes et dramatiques sur la production agricole africaine et donc la sécurité alimentaire du continent. Cela a amené à une réelle prise de conscience : le système agricole est très fragile et dépendant d'éléments exogènes.

Pour répondre à cela, Tolbi travaille avec des Instituts de Recherches locaux pour que le Sénégal puisse créer ses propres semences et des engrais plus naturels. Par ailleurs, les données collectées par Tolbi permettent aussi aux agriculteurs d'une part de mieux s'adapter aux aléas climatiques notamment en adaptant leur consommation d'eau, mais aussi de pouvoir obtenir davantage de financements auprès des banques.

Citons aussi Jangolo. Cette startup s'attache à connecter des maillons d'une chaîne qui traditionnellement sont déconnectés, de la logistique au conseil, en passant par la distribution, le financement, mais aussi le consommateur, car c'est finalement celui-ci qui, par son action d'achat, impacte tous les maillons en amont.

Fondée au Bénin, Agrosfer répond au problème majeur suivant : une grande part des petits producteurs africains ont de mauvaises techniques de production et donc un rendement inférieur à ce qu'il pourrait être (pertes estimées entre 30 % et 40 %). Et en même temps, ils ne souhaitent pas forcément produire plus, car savent qu'ils auront des difficultés à écouler leur production. Agrosfer vise ainsi à développer une forte connaissance terrain en vue d'alimenter une place de marché digitale où les coopératives pourront vendre auprès des industriels.

En parallèle, Agrosfer conseille les producteurs sur ce qu'il est préférable de produire en supplément sur leur parcelle afin de se constituer des compléments de revenus et sur de bonnes pratiques de production comme quel bon geste au bon moment pour limiter la consommation d'eau et réussir à se passer d'engrais chimiques.

Une autre startup innovante et qui peut inspirer toute la région Méditerranée est la startup tunisienne Kumulus Water qui propose des machines de 1 m3 ayant la capacité de créer de l'eau potable à partir de de l'air et de l'électricité. La technologie de Kumulus Water absorbe et filtre l'air pour transformer l'humidité de l'air en eau. Celle-ci est ensuite filtrée à plusieurs reprises pour être pure puis reminéralisée et alignée avec les taux de minéraux exigés par les normes européennes.

Attirer les investissements, le nerf de la guerre de la souveraineté alimentaire

Très présent en Afrique, le fonds d'investissement californien 500 Global considère que les enjeux de la souveraineté alimentaire sont aujourd'hui adressés par la technologie comme jamais auparavant. Pour attirer un investisseur comme 500 Global, il convient tout d'abord que la solution proposée puisse être profitable au plus grand nombre pour avoir un impact sur le long terme et être réplicable avec les moyens financiers disponibles.

Enfin, pour une souveraineté absolue, il est indispensable que chaque pays ait sa propre technologie. C'est pourquoi, les fonds d'investissement doivent aussi prendre conscience de la nécessité d'investir sur l'ensemble de la chaîne de production : moyens de paiement, supply chain, distribution, transport, consommation, e-commerce, conservation, etc.

(*) Fondateur d'Emerging Mediterranean, Emerging Valley et auteur de " Startup Lions ".

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