Financer des transports urbains atypiques dans des villes africaines qui explosent

Pour éviter des villes congestionnées et polluées, le décideur doit faire son choix parmi une palette de moyens de transport variée : faut-financer une ligne de métro, des tramways ou des lignes de bus rapides ? Faut-il investir dans un train urbain, dans du transport par câbles ou dans des lignes fluviales/lagunaires ? Est-il réaliste d'envisager sur le continent la e-mobilité, voire les « mobilités douces » ?
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« Des villes ouvertes à tous, sûres, résilientes et durables ». Dans beaucoup de pays d'Afrique, cet objectif du développement des Nations-Unies représente un enjeu majeur, dans un contexte d'explosion démographique et d'exode rural sans exemple dans l'histoire. Les villes africaines accueilleront plus de 30 millions de nouveaux habitants par an vers 2030 (contre 17 millions par an actuellement). On imagine l'impact sur des villes déjà tentaculaires (Lagos, Kinshasa, Le Caire), en particulier sur leurs quartiers précaires et leurs bidonvilles. On connaît moins le défi immense que cela représente pour les agglomérations de taille intermédiaire, aux enjeux spécifiques : selon l'ONU, le nombre de villes africaines de plus de 500 000 habitants devrait doubler en vingt ans.

Pour le décideur public, tant national que municipal, l'enjeu fondamental consiste à rendre et garder ces villes vivables et fonctionnelles, deux caractéristiques qui font souvent défaut aux villes de pays émergents à urbanisation rapide et désordonnée. Ceci passe inévitablement par des infrastructures de transport adaptées, en termes de qualité et de coût, dans un contexte budgétaire africain souvent très contraint et où beaucoup de cités s'étendent horizontalement, plutôt que verticalement comme en Asie.

Pour éviter des villes congestionnées et polluées, le décideur doit faire son choix parmi une palette de moyens de transport variée. Faut-il financer une ligne de métro, des tramways ou des lignes de bus rapides ? Faut-il investir dans un train urbain, dans du transport par câbles ou dans des lignes fluviales/lagunaires ? Enfin, est-il réaliste d'envisager sur le continent la e-mobilité (moto et tricycles électriques), voire les « mobilités douces » (vélos, trottinettes) ? Des critères de choix, objectifs, existent pour éclairer les décideurs.

Question numéro une : « de quoi s'agit-il » ? Quelle est la fonction recherchée pour le moyen de transport ? Pour quel niveau de service ? S'agit-il d'une artère majeure, structurante pour la ville ? Le décideur privilégiera un « transport de masse » : réseau de métro (4 millions de passagers par jour au Caire), de trains urbains (TER de Dakar) - voire de bus à haut niveau de service (connus sous l'acronyme anglais « BRT ») très utilisés en Asie ou en Amérique Latine, et pour lesquelles les cités africaines expriment un intérêt croissant (Dakar, Abidjan après Lagos, Dar es-Salaam). S'agit-il de valoriser un cœur de ville : un réseau de tramways (Rabat) et des infrastructures de e-mobilité (non polluantes et silencieuses) pourront être retenus. Plus que la concurrence entre les solutions, l'objectif sera souvent de coordonner les moyens de transport dans une logique de réseau intégré, comme cela a été fait entre les lignes de métro et de tramways à Alger.

Deuxième critère : « ça coûte combien ? ». Se pose la question, structurante, de l'équilibre économique du projet. Au-delà du caractère emblématique de tel ou tel projet d'infrastructure, trop de projets pâtissent d'études technico-économiques superficielles ou très optimistes. Les infrastructures de transport en commun présentent une spécificité, à savoir la tarification volontairement basse pour attirer le plus grand nombre d'usagers face à des investissements souvent massifs. Une péréquation avec d'autres sources de revenus commerciaux (immobilier, publicité, commerces) peut faciliter le modèle économique. Les tarifs doivent être adaptés au pouvoir d'achat local, des études de trafics fiables et des choix techniques frugaux doivent être fait. Dans certains contextes, un projet low-tech de bus rapide pourra ainsi être préféré à des projets de métro ou de tramway, certes plus valorisants pour les édiles et les ministres, mais aussi beaucoup plus coûteux pour le budget de l'État ou de la municipalité.

Troisième critère : « quel est le terrain de jeu ? ». Le décideur devra tenir compte des caractéristiques topographiques de la ville, des contraintes spatiales et foncières existantes. S'agit-il de franchir des fleuves ou des lagunes : un réseau de transport par câbles(téléphérique d'Alger) ou fluvial (navettes sur les lagunes d'Abidjan) pourra être préféré. La ville de Tunis a fait le choix du transport par bus, par train et métro léger (et non souterrain). A Addis-Abeba, le premier réseau de tramway d'Afrique subsaharienne a été développé, en partenariat avec la Chine, en collant au mieux aux grandes artères routières existantes dans la capitale.

Une fois ces objectifs établis, vient la question de la structuration : PPP ou régie publique ? Exploitation sous-traitée ou en propre ? Intégration avec les opérateurs existants (par exemple de minibus privés) ? Cette structuration dépendra de facteurs fondamentaux, tels que le modèle économique du projet (degré de subventionnement), la disponibilité des exploitants, la complexité technologique, etc. Il faut travailler à la structuration des projets en amont, afin de les rendre viables pour tous les acteurs, et en particulier « bancables » pour les financeurs (banques, fonds d'infrastructures, bailleurs). Il faut choisir les modes de transport à opérationnalisation rapide, mais avec la flexibilité qui leur permettra d'accompagner la formidable expansion urbaine. La puissance publique doit ainsi prendre la mesure de sa capacité réelle à faire avancer les projets dans un contexte urbain parfois anarchique (droits fonciers mal identifiés et difficulté des opérations de déplacement des populations). Il faut, en parallèle, des projets « vitrines », structurants, aux ambitions raisonnables, mais qui démontrent la pérennité et l'attractivité du modèle.

Dans tous les cas, le constat est évident : les villes africaines n'ont pas le temps d'attendre. Il faut leur éviter le destin des trop nombreuses mégalopoles émergentes asphyxiées par des réseaux de transport inadéquats, dans une sorte de macrocéphalie paralysante. Des solutions existent, parfois atypiques et frugales, aux acteurs publics et privés de les faire émerger, avec méthode et ambition.

(*) Co-fondateur, Okan Partners

(**) Consultant en infrastructures

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