Lutte contre la déforestation : immersion nocturne avec les « commandos verts » de Côte d’Ivoire

En un siècle, la Côte d'Ivoire a perdu près de 90 % de son couvert forestier. Pour stopper l'hémorragie verte, l'Etat a engagé une vaste campagne de reboisement assortie de moyens techniques et financiers renforcés. Entre sanctions et sensibilisation, ajustements réglementaires et production de plants, les forêts ivoiriennes font l'objet d'une attention inédite. Reportage au cœur de la forêt de Téné aux côtés des soldats de « l'armée verte ».
(Crédits : RTI)

Le 20 octobre, aux alentours de minuit, la brigade de protection forestière de la SODEFOR (la société d'Etat spécialisée dans le reboisement et la protection des forêts) tient une réunion à une vingtaine de kilomètres d'Oumé, chef-lieu de la région du Gôh, situé à l'ouest de la Côte d'Ivoire, pour une opération de lutte contre l'orpaillage clandestin. Gilets pare-balles, capes de pluie couleur-camouflage et armes aux poings, l'équipe s'apprête à passer la nuit dans la forêt de Téné où des orpailleurs clandestins ont récemment été repérés.

« La période de Noël se rapproche et les populations cherchent à gagner un peu plus d'argent pour préparer les fêtes de fin d'année », indique le lieutenant Landry Mahi, à la tête de la brigade qui compte une dizaine d'hommes surentraînés. Les « gardiens de la forêt » conduisent chaque semaine des opérations de contrôle nocturnes. « Nous sommes là pour protéger la forêt classée de Téné menacée par des orpailleurs qui utilisent du mercure pour extraire illégalement l'or des sols », explique-t-il.

L'expédition n'est pas une sinécure. Les hommes parcourent une dizaine de kilomètres sur des chemins ravineux. Il faut d'abord dépasser le village de Kouamefla qui abrite quelque 5 000 âmes apparemment endormies. La mission des rangers se poursuit dans la boue, sous les grands arbres qui découpent un ciel sans lune.

« Il y a des complicités dans le village et notre venue ne passe pas inaperçue malgré toutes nos précautions. Les orpailleurs communiquent avec des villageois qui les préviennent de notre arrivée par radio. Pourtant, notre seule chance est de jouer sur l'effet de surprise (...) Nous allons les attendre jusqu'à l'aube, à la sortie du site qui abrite les mines que nous avons repérées, pour leur tendre une embuscade. L'opération est risquée. La semaine dernière encore, une échauffourée a éclaté (...) Les orpailleurs sont armés et protégés par les Dozos (des chasseurs traditionnels venus de la région de Korhogo au nord du pays, parés de gri-gri et armés de calibres 12, dont les pouvoirs surnaturels sont réputés à travers tout le territoire ivoirien, ndlr) ».

Aux alentours de 3 heures du matin, l'équipe arrive enfin au croisement d'une piste rouge bordée d'arbres centenaires, sous une pluie persistante. Deux éclaireurs s'enfoncent dans la nuit. Au loin, des bruits de motopompes se font entendre. Les orpailleurs ne sont pas loin.

Une heure plus tard, les éclaireurs sont de retour. Ce soir-là, des mines actives recouvertes à la hâte sont localisées, mais les malfaiteurs ont fui. Il leur a suffi de parcourir quelques mètres dans la forêt pour sortir du périmètre classé, laissant la brigade forestière dans l'impuissance. Sans lunettes infrarouges ni drones, les brigadiers manquent de moyens pour couvrir les 30.000 hectares de la forêt de Téné.

Au niveau national, ils ne sont que 4.500 agents forestiers et 675 membres des brigades spéciales à protéger les 2 millions d'hectares forestiers : autant dire une goutte d'eau dans un océan de verdure. Du reste, les sanctions qui varient entre amende et courtes peines de prison sont loin de décourager les infatigables chercheurs d'or.

« Lorsque nous identifions des trafics de grande ampleur, nous contactons l'armée qui nous vient en appui », précise le lieutenant Mahi. L'enjeu est de taille : sauver les forêts ivoiriennes qui pourraient bien disparaître d'ici 2035 si rien n'est fait pour stopper le phénomène, selon les récentes déclarations d'Alain-Richard Donwahi, président de la COP 15 contre la désertification.

La Côte d'Ivoire renforce sa réglementation verte

« Au début du siècle, la Côte d'Ivoire était recouverte de 16 millions d'hectares de forêts, soit la moitié de la superficie nationale et aujourd'hui, cette surface s'est réduite à environ 2 millions d'hectares », explique Alain Bley Bitignon, responsable communication de la SODEFOR. Comment en est-on arrivé là ?

Entre croissance démographique et pression agricole, mais aussi changement climatique, mouvements migratoires et appauvrissement des sols, la Côte d'Ivoire a perdu l'essentiel de ses forêts en moins d'un siècle. La décennie de crise politico-militaire (2002-2011) a par ailleurs, accéléré la dégradation des forêts ivoiriennes. Au nord du pays, les exploitations de bois illicites se sont multipliées, faute de surveillance. Un rapport de novembre 2011, commandé par la présidence ivoirienne, révélait que des agents forestiers « oubliaient » de collecter plus de la moitié des taxes dues. La SODEFOR a alors entrepris d'assainir le secteur forestier et lança dès 2012, une vaste campagne de reforestation.

Pour Alain Bley Bitignon, « le comportement éco-citoyen en Côte d'Ivoire n'est pas encore suffisamment développé ». Les campagnes de sensibilisation commencent néanmoins à porter leurs fruits, estime le responsable communication de la SODEFOR. « L'année dernière, un homme sur son tricycle avait repéré des mouvements suspects qu'il a dénoncés sur notre page Facebook et il se trouve justement que j'étais devant mon ordinateur », explique-t-il rétrospectivement.

« Le gouvernement de Côte d'Ivoire procède de telle sorte que la reforestation soit associée à l'agriculture durable et à l'agroécologie », expliquait Alain-Richard Donwahi dans un entretien accordé à La Tribune Afrique, le 17 octobre dernier. « Lors de la COP-15, le président Alassane Ouattara a lancé l'initiative Abidjan Legacy Program, pour établir un nouveau modèle de développement agricole, avec des composantes liées à la reforestation, à l'agriculture durable et au renforcement des chaînes de valeur », soulignait l'ancien ministre ivoirien des Eaux et forêts.

La Côte d'Ivoire interdit l'exportation des grumes provenant de forêts naturelles et dispose d'un quota d'exportation pour le bois vert. Le commerce de l'Afrormosia-Assamela (pericopsis elata) a été suspendu et le pterocarpus (bois de vêne) a été interdit à la coupe, à la vente et à l'exportation (décret n° 2013-508 du 25 juillet 2013). Parallèlement aux réformes de la loi forestière de 2013, la Côte d'Ivoire a adopté en mai 2018 une Stratégie nationale de préservation, de réhabilitation et d'extension des forêts (SPREF), assortie d'un plan d'actions opérationnelles pour relever son taux de couverture forestière à 20 % du territoire national d'ici 2045. Le budget pour mener à bien la politique de préservation, de réhabilitation et d'extension des forêts (PPREF), a été évalué à 616 milliards de Fcfa.

Fin octobre 2022, la Côte d'Ivoire et l'Union européenne (UE) signaient « l'accord de partenariat volontaire sur l'application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux forestiers » (FLEGT) d'une durée de 10 ans renouvelable, afin de renforcer la traçabilité du commerce de l'or brun. L'UE importe chaque année, plus d'un million de m3 de bois ivoiriens. Pour Koen Doens, le directeur général des Partenariats internationaux à la Commission européenne, il s'agit d' « un accord majeur » (qui doit encore être ratifié par chaque partie).

« La plantation de cacao est strictement interdite dans les forêts classées et contrairement à certaines idées reçues, le cacao n'est pas responsable de la déforestation », insiste le responsable communication de la SODEFOR. « Au niveau des chantiers de reboisement dans mon périmètre, il n'y a pratiquement pas de champs de cacao (...) Sur 29.500 hectares, il n'y a pas plus de 3.000 hectares de cacao. L'agriculture représente à elle seule, près de 60 % de la déforestation. Arrive ensuite l'urbanisation suivie de l'orpaillage clandestin », ajoute le directeur du centre de gestion de Gnaoua.

La pépinière de Téné, dernier rempart contre la déforestation ?

En 2020, la Côte d'Ivoire adoptait un système de surveillance satellitaire pour lutter contre le déboisement et créait un « bataillon vert » constitué de 650 soldats spécialisés dans la criminalité forestière. A ce jour, la Côte d'Ivoire abrite 234 forêts classées couvrant une superficie de 4.2 millions d'hectares. « Sur cette superficie, nous avons aménagé environ 2,5 millions hectares soit 61%. Par ailleurs, avec un total cumulé de 235.000 hectares de reboisement depuis sa création en 1966, dont 60.000 hectares de reboisement agro-forestier, la SODEFOR est aujourd'hui le leader du reboisement de la sous-région », se félicite Alain Bley Bitignon.

« Toute la politique de reboisement repose sur la disponibilité des plants. Sans cela, la reconstruction forestière est impossible », insiste le capitaine Doua Bi Yves, à la tête du centre de gestion de Gnaoua qui compte 12 forêts classées qui s'étendent sur quelques 36.200 hectares. C'est d'ailleurs dans la forêt de Téné que le gouvernement a engagé la plus grande opération de reboisement du pays.

Non loin du fleuve Bandama, le centre de bouturage de la forêt de Téné (situé hors de la forêt classée) abrite une pépinière d'essences de teck, de samba, de gmelina, de sraké et de franiré. « Nous sommes en mesure de produire plus de 10 tonnes de semences par an et nous distribuons jusqu'à 20 millions de plants à l'intégralité du territoire ivoirien », explique le lieutenant Fousseni Diarra, responsable du centre de semences de la SODEFOR.

« Il est important d'associer les populations locales à la reforestation et nous mettons l'accent sur l'emploi des femmes », ajoute Hien Sambi Michel, responsable du centre de bouturage. « Nous observons une tendance baissière à la déforestation depuis plusieurs années. Entre 2000 et 2015, la moyenne des surfaces déforestées avoisinait 115.000 hectares par an, en 2019-2020 elle avait baissé à 86.000 hectares et en 2021, elle représentait 19.000 hectares. Notre objectif est de faire en sorte que le reboisement dépasse la déforestation. Or, avec 27.000 hectares replantés en 2021 pour un déboisement de l'ordre de 19.000 hectares, nous touchons au but », explique le capitaine Doua Bi Yves.

« Les bassins forestiers de reboisement sont élaborés en étroite collaboration avec les paysans, dans une association d'agroforesterie appelée le taungya que nous pratiquons depuis plus de 30 ans en Côte d'Ivoire », ajoute-t-il. A l'origine, cette méthode développée par le botaniste Dietrich Brandis a été introduite par les Britanniques en Birmanie pour la culture du teck, avant de se déployer à travers le monde. Cette forme d'agriculture itinérante permet aux paysans de produire des cultures vivrières et de générer des revenus dans une logique participative.

« Afin de préserver la mémoire de la forêt et de réaliser des études relatives à la dynamique forestière, nous avons gardé un espace naturel considéré comme une zone sacrée qui conserve la mémoire de cette forêt et qui comprend toutes les essences natives », ajoute enfin Alain Bley Bitignon.

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