Pour des fonds d'investissements africains à impact [Tribune]

Face au défi des besoins de financement d’un développement en ligne avec les Objectifs du Développement Durable, l’Afrique doit savoir compter autant sur l’investissement solidaire des états et grands bailleurs de fonds, que sur la dynamique inclusive des investisseurs privés du continent.
*Pierre-Samuel Guedj est Président d'Affectio Mutandi et de la Commission RSE & ODD du Conseil Français des Investisseurs en Afrique
*Pierre-Samuel Guedj est Président d'Affectio Mutandi et de la Commission RSE & ODD du Conseil Français des Investisseurs en Afrique (Crédits : PSG)

Chaque mois 1,7 millions de personnes arrivent sur le marché du travail en Afrique. À ce boom démographique s'ajoute la reconnaissance des liens étroits entre développement économique et sécurité qui sont à l'ordre du jour institutionnel, notamment du G5 Sahel. En réunissant le Maghreb voire le monde arabe avec la Mauritanie (membre de l'Union du Maghreb arabe), l'Afrique de l'Ouest avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger (membres de l'UEMOA et de la CEDEAO) et l'Afrique centrale avec le Tchad (membre de la CEMAC), le G5 Sahel illustre d'ailleurs les dynamiques d'intégration régionale à l'œuvre.

Il n'en reste pas moins que le besoin de lever les freins qui renforcent la pauvreté, de même que le chômage et contraint nombre de jeunes africaines et africains à quitter leur pays, ne s'accompagnent pas à ce jour d'une dynamique de financement adaptée.

Pris entre les exigences des bailleurs internationaux focalisés sur les grands projets structurels et des investissements directs étrangers encore peu orientés vers la recherche d'impact socio-économique, les économies africaines disposent pourtant de marges de manœuvre inexploitées.

Le secteur comme les acteurs privés au service du développement

Les entreprises africaines du secteur des assurances dotées de 610 $milliards illustrent à elles seules la capacité financière mobilisable pour des projets économiques à impact social et environnemental positif. Sans compter les fonds de retraite africains publics ou privés, qui peuvent se projeter à l'échelle d'un continent dont le dividende démographique le positionnera en 2050 bien au-delà de la Chine et de l'Inde. Et que dire du potentiel que représente les 2.500 personnes ultra-riches africaines (dont la fortune personnelle s'élève au moins à 30 millions de dollars) recensées dans une étude de 2017, représentant un cumul de 305 millards de dollars en progression de 5,7% par apport à 2016 ?

Les leviers d'investissement à impact sont connus. De rares initiatives ont déjà démontré qu'il était possible d'investir dans le développement de start-ups, TPE et PME pérennes à fort impact socio-économique. Elles ne sont toutefois pas en mesure à ce jour d'atteindre un seuil critique doté d'une force de frappe suffisante pour booster les projets les plus ambitieux et faire preuve de résilience face aux échecs.

Les enjeux du développement des économies africaines les plus fragiles, mesurés dans le dernier indice de capital humain publié par la Banque Mondiale, doivent inciter à l'audace. Il s'agit rien de moins que de préparer les pays africains au développement de filières répondant aux besoins fondamentaux des plus pauvres (éducation, santé, alimentation, habitat, accès à l'eau et à l'énergie, etc.), tout en dessinant un avenir permettant à une classe moyenne émergente d'exprimer leurs talents dans tous les secteurs de l'industrie et de la connaissance.

Une innovation inclusive portée par la transition sociétale du numérique

De la généralisation de l'accès à internet au mobile banking, le leapfrog digital africain est déjà concret. Mais d'autres signaux positionnent le continent en pionnier d'une révolution numérique catalyseur d'écosystemes industriels ancrés sur les territoires. Les 300 Fablabs que compte le continent illustrent combien l'Afrique peut prétendre jouer un rôle majeur dans nombre d'industries qui doivent revisiter leur modèle de production en adoptant des approches plus décentralisées, plus souples, plus interconnectées.

Retenir les talents et faire revenir celles et ceux qui désirent contribuer à l'émergence de l'Afrique de demain est autant un défi économique que politique. Dans un contexte ou les principaux acteurs du financement sont aujourd'hui étrangers et peuvent répondre parfois à un agenda politique peu lisible, la mobilisation des acteurs africains de l'investissement devient aussi un enjeu stratégique de souveraineté.

Flécher l'argent des fortunes privées vers des projets à impacts serait-il plus audacieux, plus compliqué, plus risqué que des initiatives personnelles telles que le projet porté au Sénégal par l'artiste et producteur Akon de création de la première ville africaine mobilisant toutes les ressources technologiques au service de la population et de l'emploi des jeunes? Il est permis d'en douter.

L'investissement à impact doit être avant tout territorial pour une gouvernance concertée

Au-delà des individus fortunés désireux de laisser une empreinte positive, cette prise de risque, les investisseurs de long terme que sont les fonds d'investissement peuvent y répondre en mobilisant leurs ressources vers le financement, à grande échelle, d'entreprises à impact économique, social et environnemental. La volonté ne manque pas tant sont affichés d'engagements volontaires de long terme reposant sur les PRI (Principes de l'Investissement Responsable), les Objectifs du Développement Durable (ODD) ou encore les objectifs fixés par les COP sur le climat.

L'Afrique ne manque pas non plus de retours d'expérience utiles, de la pratique coutumière de la tontine au développement du micro-crédit en passant par le financement complexe de grands projets. Trois dimensions n'ont toutefois jamais été réunies : la recherche d'impact territorial, la puissance financière et le temps long. Trois dimensions que les fonds d'investissement africains peuvent mobiliser instamment avec succès, en adoptant une démarche d'extra-compliance portée sur la recherche d'impact positif optimal.

Les indéniables facteurs de complexité induits par la gouvernance de certains territoires imposent de faire preuve d'inventivité. Générer des partenariats publics privés de territoires durables nécessite en effet de mêler ingénierie sociétale et normative. Les ODD adoptés par l'ONU ont d'ailleurs cette vertu de constituer un outil permettant aux acteurs publics et privés de se doter d'ambitions partagées.

Une telle ambition, pour réussir, reposera sur plusieurs fondamentaux : Identifier et assumer des enjeux prioritaires ; établir des plans d'action territoriaux pour des résultats tangibles ; faciliter l'accès aux solutions de financement par des critères lisibles ; mutualiser les outils de diagnostic et de mesure des impacts ; créer l'émulation par la comparaison des performances ; et communiquer par la mise en valeur autant des échecs que des réussites.

Gageons que les entreprises africaines qui publient déjà des rapports RSE se saisissent de l'esprit de la Loi PACTE pour être motrices dans l'atteinte des ODD pour le continent.

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*Pierre-Samuel Guedj est Président d'Affectio Mutandi et de la Commission RSE & ODD du Conseil Français des Investisseurs en Afrique

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