« Expertise France est la 2e agence de coopération technique d’Europe » (Jérémie Pellet)

[ENTRETIEN] Après son intégration au groupe Agence française de développement (AFD) en janvier 2022, Expertise France poursuit son rythme de croissance et porte cette année les projets de mutualisation d'une coopération européenne « sans frontières », dans le cadre de sa présidence du Practitioner's Network.
Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France.
Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France. (Crédits : Expertise France)

LA TRIBUNE AFRIQUE - Que représente Expertise France et de quelle façon se répartissent ses activités en Afrique ?

Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France : Expertise France compte 625 salariés au siège, 1 000 intervenants sur le terrain dont 440 experts, 220 experts techniques internationaux (ETI) (+60 % par rapport à 2021). Sur le millier d'intervenants que nous comptons, deux tiers environ sont basés en Afrique.

Expertise France, c'est aussi 380 projets en cours dans 145 pays. L'Afrique représente 65 % de nos activités. Depuis quelques années, nous renforçons notre présence en Afrique centrale et en Afrique de l'Est, à la demande de nos partenaires, qu'il s'agisse du Rwanda, de la République démocratique du Congo (RDC), du Kenya, de l'Éthiopie ou du Burundi. Nous appuyons aussi des organisations régionales comme la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ou encore l'Union africaine (UA) sur l'opérationnalisation de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Nous avons enregistré un chiffre d'affaires de 341 millions d'euros, l'an dernier.

Ce repositionnement géographique accompagne le retrait de la présence française à l'ouest du continent. Dans quelle mesure le contexte sahélien affecte-t-il vos activités ?

Notre développement dans d'autres régions africaines ne s'est pas traduit simultanément par un désengagement à l'ouest du continent. Au contraire, nous avons augmenté assez fortement nos activités en Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Niger et en Guinée.

Au Sahel comme ailleurs, nous travaillons sur demande des pays partenaires. Lorsqu'ils ne souhaitent plus travailler avec Expertise France, comme ce fut le cas au Mali début 2022, nous arrêtons toutes nos activités bilatérales sur lesquelles une quarantaine de collaborateurs travaillaient. En substance, cela représentait un volume total d'activité de 25 millions d'euros.

La sécurité figure parmi les secteurs-clés accompagnés par Expertise France. N'a-t-elle pas fait l'objet d'un repositionnement géographique ?

Effectivement, la sécurité est l'un des sujets phares de l'agence, dans le secteur maritime par exemple. Nous travaillons notamment sur financement européen via le programme Gulf of Guinea Inter-Regional Network (GoGIN - 9,2 millions d'euros), pour améliorer la sécurité et la sûreté maritimes dans le golfe de Guinée. Nous facilitons la coordination entre les autorités des pays sur différents sujets liés à la piraterie ou aux systèmes de régulation du trafic. Grâce à nos actions, les pirates sont obligés de s'éloigner de plus en plus des côtes (...) Parallèlement, nous appuyons plusieurs pays dans leur lutte contre le blanchiment et nous intervenons en soutien à l'action sécuritaire d'un certain nombre d'États sur leurs frontières septentrionales.

À l'heure où les pays émergents exhortent la communauté internationale à redéfinir le financement de la transition climatique, que faut-il retenir du Sommet pour un nouveau Pacte financier mondial qui s'est tenu à Paris, les 22 et 23 juin derniers ?

Il était nécessaire que la réflexion sur la transition climatique et celle sur son financement se rejoignent. Il faut assurer le développement des pays qui le réclament pour répondre aux besoins de leur population, tout en respectant la préservation durable de l'environnement. Plusieurs engagements du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale, d'organisations multilatérales et des chefs d'État eux-mêmes, ont été pris lors de ce Sommet. Le président Macky Sall s'est engagé à rejoindre un partenariat répondant à une transition énergétique juste au Sénégal, tout en poursuivant son développement (grâce à l'exploitation prochaine du gaz et du pétrole, ndlr).

Comment financer la transition climatique d'une Afrique qui n'est responsable que de 4 % des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale ?

Les financements internationaux doivent jouer un effet de levier sur le secteur privé local. Il appartient aux États de mobiliser les ressources domestiques qui permettront de financer leur transition et leur adaptation climatiques (...) Plusieurs pays subsahariens enregistrent des taux de croissance importants et l'entrepreneuriat se développe à toute allure. Nous sommes à leurs côtés, pour les accompagner à travers des programmes comme l'Alliance pour l'Entrepreneuriat ou Choose Africa.

Certains chefs d'État africains comme le Nigérien Mohamed Bazoum (entretien réalisé avant le putsch au Niger) ont déclaré à Paris qu'ils ne renonceraient pas à exploiter leurs énergies fossiles pour assurer leur développement...

L'Afrique ne connaîtra pas la même trajectoire industrielle que l'Europe. La technologie a beaucoup progressé et les réalités sont différentes aujourd'hui. Les énergies elles-mêmes ont changé. In fine, il revient aux États de définir leur propre stratégie de développement, sans être bridés par des contraintes internationales. Tout repose sur le consensus, c'est bien pour cela que les échanges comme le Sommet pour un nouveau Pacte financier mondial sont essentiels. C'est d'ailleurs dans le cadre de la COP26 que l'Afrique du Sud s'est engagée à renoncer à l'exploitation du charbon qui pourvoit à près de 80 % de son électricité aujourd'hui (avant que le président Cyril Ramaphosa ne se rétracte en janvier dernier, sur la chaîne SABC, ndlr).

Le 1er janvier 2022, Expertise France intégrait le groupe AFD. En substance, quelles sont les nouvelles synergies observées depuis la réorganisation ?

Concrètement, nous avons bénéficié de la croissance globale de l'activité. Nous devrions atteindre environ 400 millions d'euros de chiffre d'affaires cette année. Grâce à cette intégration dans l'AFD, nous avons consolidé notre implantation dans un certain nombre de pays. Nous développons également de plus en plus d'offres groupe et des projets intégrés sur des thématiques porteuses : nous avons notamment mis en place une plateforme régionale à Abidjan, qui couvre l'ensemble des sujets de mobilisation des ressources intérieures en Afrique de l'Ouest.

Expertise France vient de prendre la présidence du Practitioner's Network, un réseau de 24 agences de coopération techniques européennes. Comment faire converger l'APD européenne ?

La plupart des pays de l'Union européenne (UE) disposent d'agences de coopération comme Expertise France. Elles jouent un rôle de plus en plus important dans l'architecture européenne de l'aide au développement. Nous sommes d'ailleurs favorables à davantage de synergies entre une agence comme la nôtre, avec ENABEL (Belgique), la GIZ (Allemagne) ou encore l'AICS (Italie). Nous voulons mutualiser nos efforts pour ne pas se retrouver en situation de concurrence ou se dupliquer. Les projets de coopération existent déjà sur le terrain. En Tunisie, nous avons accompagné la création du hub d'innovation, The Dot, et nous travaillons sur le développement des entreprises du secteur de la transition énergétique, en collaboration avec la GIZ (...).

Aujourd'hui, l'Allemagne consacre environ 3,5 milliards d'euros par an, à sa coopération technique via la GIZ. De son côté, l'activité d'Expertise France a beaucoup progressé. Elle a été multipliée par 4 en 8 ans et représente près de 400 millions d'euros. C'est la 2e agence de coopération technique d'Europe derrière la GIZ.

Quel est le rôle du Conseil présidentiel du développement (CPD) ?

Lancé en 2021, le CPD, dont la seconde réunion s'est tenue il y a quelques semaines, s'adressait à la jeunesse française, pour qu'elle s'engage dans des projets au service du développement, traduits par des programmes de Jeunes Experts internationaux développés par Expertise France. Ces jeunes experts travailleront sur le terrain pour le compte des ministères et des organisations des pays partenaires. Ils seront intégrés dans une action de renforcement des politiques publiques. Le président de la République a annoncé la création de 3.000 postes d'experts et de volontaires à l'international, d'ici 2027 (...)

Enfin, la France veut diriger son APD hors du champ de ses 19 pays prioritaires traditionnels (19 africains et Haïti), pour l'orienter vers les pays les moins avancés (PMA), avec l'objectif de lutter contre la pauvreté, mais aussi vers les pays les plus vulnérables aux changements climatiques. Ce nouvel agenda, entre protection de la population et protection de la planète, représente un changement de cap, dont le champ d'application sera fixé très prochainement.

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