Gabriel Curtis : « La transparence a réduit les litiges dans le secteur minier »

A coup de réformes, la Guinée a amélioré sa croissance et ses principaux indicateurs macroéconomiques au cours de la décennie écoulée. Le secteur minier, fleuron de l’économie nationale, a été le catalyseur qui a capté 4 milliards de dollars sur la période 2015-2019 contre 5 milliards de 1950 à 2010. Gabriel Curtis, ministre des Investissements et des partenariats publics-privés de la Guinée, déchiffre pour la Tribune Afrique, la stratégie du gouvernement pour ce secteur.
Gabriel Curtis, ministre guinéen des Investissements et des partenariats publics-privés.
Gabriel Curtis, ministre guinéen des Investissements et des partenariats publics-privés. (Crédits : DR)

La Tribune Afrique - Au cours de ces deux dernières années, la Guinée a été classée respectivement 30e et 33e pays africain du Doing Business. Toujours loin du top 10, le pays a néanmoins gagné une vingtaine de places dans le classement par rapport aux années 2000. Quelles sont les principales réformes adoptées ou en cours pour attirer et rassurer les investisseurs ?

Gabriel Curtis - Nous avons effectué 80 réformes dans le domaine économique, administratif, juridique et de la gouvernance. Ces importantes réformes ont ainsi été mises en place, à travers la révision de tous les codes dans différents domaines : le code minier et le code des marchés publics, le code du travail, le code des investissements, celui des douanes, qui ont été modernisés. Nous avons aussi l'entrée en vigueur de l'admission à l'organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Ce qui a permis d'améliorer le climat des affaires. Nous avons également mis en place un tribunal de commerce local pour une meilleure prise en charge des litiges commerciaux en Guinée.

Pour le secteur de l'habitat, c'est la réduction de moitié des délais d'octroi des permis de construire. Les délais de création d'entreprise ont été réduits à moins de 48 heures contre un mois auparavant. Le code minier a été révisé avec beaucoup plus de transparence dans l'octroi des licences minières. Nous avons également créé un guichet unique du commerce extérieur et réduit les procédures douanières. Un système d'information du crédit a été mis en place au niveau de la banque centrale pour faciliter l'octroi des prêts.

La Guinée a certes procédé à des réformes, mais les résultats restent mitigés pour le pays devancé par la plupart de ses voisins de la sous-région dans les classements internationaux. Comment expliquez-vous cela ?

Dans le Doing Business, la Guinée a réalisé un gain de près de 20 places. C'est tout de même notable en 5 ans et en connaissant l'état de léthargie dans lequel se trouvait le pays. Nous avons engagé beaucoup de réformes et il faut dire qu'il faut un peu plus de temps pour l'effectivité de ces réformes. Mais avec toutes ces initiatives, le climat des affaires va continuer de s'améliorer. Il faut savoir aussi que la nouvelle donne est favorable. Selon les chiffres du FMI, le taux de croissance de la Guinée en 2016 et 2017 a été au-dessus de 10% et l'on évoque un taux de 10,8 % en 2016 et de 10,3% en 2017, selon les chiffres analysés avec le FMI. Pour l'année 2018, la croissance a été de 6,2% et de 6,3% pour 2019. Ce qui veut dire qu'il y a des avancées économiques notables grâce à cette nouvelle donne.

La Guinée est un pays minier, avez-vous envisagé une amélioration ou une nouvelle modification de la législation minière pour attirer les investisseurs dans le secteur ?

De 1950 à 2010, soit sur 60 ans, la Guinée n'a engrangé que 5 milliards de dollars en investissements miniers. Depuis 2015, le pays a accueilli 10 milliards de dollars d'investissements annoncés dans les mines dont les 4 milliards ont déjà été investis. Nous nous attendons à recevoir l'investissement des 6 milliards dollars supplémentaires dans les 5 prochaines années pour le secteur minier. Nous avons réellement assaini le secteur minier à travers l'adoption d'un nouveau code plus moderne et incitatif, avec un régime fiscal concurrentiel. La Guinée a aussi un plan directeur des infrastructures (notamment portuaires et ferroviaires) pour permettre l'évacuation du minerai. Nous avons créé un guichet unique pour les projets miniers, afin de réduire les délais de traitement des dossiers. La Guinée a aussi rejoint l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) dans le secteur minier et publie tous ses contrats miniers en ligne, dans le cadre de ses actions en faveur de la transparence dans la gestion minière. Le cadastre minier est aussi en ligne. Nous essayons de procéder en sorte que l'exploitation minière puisse bénéficier aux populations.

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 Nous avons de ce fait mis en place une politique de contenu local pour améliorer la part des nationaux dans l'exploitation minière. Cette politique est axée sur la formation, l'approvisionnement et la sous-traitance. De plus pour favoriser le développement économique local, une partie des ressources minières est allouée aux populations environnantes et une autre partie, environ 15% des revenus miniers sont affectés au fonds de l'Agence nationale de financement des collectivités locales (ANAFIC), qui s'adresse à toutes les collectivités du pays, pour le développement des infrastructures notamment. De ce fait, le boom du secteur minier guinéen bénéficie davantage aux populations. Les résultats se reflètent dans les bons indicateurs macro-économiques affichés par notre pays.

Pour ce qui est du contenu local, initié dans plusieurs autres pays de la région sans réelle application, est-ce que la Guinée est parvenue à l'effectivité, en affectant les recettes dues aux communautés ?

Pour ce qui est le cas de la Guinée tout est effectif, en ce qui concerne l'application de la politique du contenu local, elle est effective à la fois à travers le Fonds de développement économique local [FODEL, ndlr] et l'ANAFIC. Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait avec succès dans d'autres pays en termes de politiques pour gagner en efficacité. C'est dans ce cadre que nous avons mis en place une bourse de sous-traitance et de partenariats. Une plateforme où les nationaux sont informés des opportunités qui s'offrent à eux par rapport au contenu local. Cela facilite l'obtention des contrats de sous-traitance.

Quels sont les zones ou secteurs dans lesquels la Guinée cherche à attirer les investisseurs en priorité ?

Comme annoncé dans notre Plan national de développement économique et social 2016-2020 [PNDES, ndlr], plusieurs secteurs prioritaires ont été identifiés pour accélérer le développement du pays. Il s'agît notamment de l'agriculture, des infrastructures, de l'énergie, du tourisme et des TIC.

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Puisque nous parlons aujourd'hui du secteur minier, il faut savoir que les ressources minières sont abondantes sur tout le territoire national. Pour les secteurs d'exploitation minière qui offrent des opportunités, il s'agit notamment de la bauxite, présente surtout en Basse Guinée, proche de la côte. Mais nous avons aussi d'autres territoires que sont la moyenne Guinée, la Guinée forestière pour le fer, où plusieurs projets sont en relance afin de favoriser l'exportation du minerai. Une partie du fer sera notamment exportée via le Liberia. Pour le gisement de Simandou I et II, l'appel d'offres a été lancé pour la concession [les blocs I et II ont été attribués le 13 novembre à la SMB, ndlr]. Nous sommes également en train de diversifier notre production hors bauxite, avec des métaux de base, des terres rares, des pierres précieuses, du cuivre, du plomb. En étudiant la carte de la Guinée, l'on se rend vite compte que le pays regorge de ressources minières diverses et réparties sur l'ensemble du territoire.

En septembre dernier, le chef de l'Etat guinéen s'est rendu aux Etats-Unis pour faire notamment la promotion de la destination auprès des investisseurs américains. Comment évaluez-vous les retombées de cette visite ?

Les retombées sont très bonnes. Cette visite découle du constat qu'il fallait un peu relancer la coopération économique entre les deux pays. Nous avons des entreprises américaines implantées comme Alcoa, présente en Guinée depuis plusieurs années. Lors de sa visite aux Etats-Unis, le président de la République s'est notamment rendu au siège d'Alcoa à Pittsburgh. La Guinée a aussi essayé d'attirer d'autres entreprises pour diversifier ses partenariats. Pas plus tard qu'il y a quelques jours, nous avons reçu des groupes d'investisseurs intéressés pour des investissements dans l'énergie solaire et dans les infrastructures en Guinée. Nous avons eu des manifestations d'intérêts de la part des compagnies américaines notamment dans le fer et dans divers secteurs des mines.

Quelle est votre stratégie au cours des prochaines années pour attirer les investisseurs notamment dans les industries extractives ?

Dans le secteur minier, depuis 2010 le nombre d'entreprises opérant au niveau local est passé de 6 à 11, sans compter celles qui sont en phase d'exploration, ceci démontre que nous sommes sur une excellente dynamique. Maintenant, il s'agit de s'assurer qu'au-delà de l'exploitation des ressources naturelles qu'il y ait une transformation des minerais au niveau local, pour éviter l'exportation à l'état brut des matières et favoriser celle de produits finis ou semi-finis comme l'Alumine ou l'Aluminium. C'est vers cela que nous souhaitons nous diriger dans les prochaines années. Sur ce point, nous cherchons à travailler avec des entreprises de la place qui ont déjà des projets dans ce sens.

La question de la transformation locale des matières premières a-t-elle été posée en termes d'obligation à remplir dans le code minier ?

Disons que c'est fortement encouragé. Une fois que l'entreprise atteint un certain niveau de production, nous l'encourageons en termes de profitabilité à investir dans la transformation locale, privilégiant cette démarche incitative. Il faut aussi dire que cette transformation locale nécessite de l'énergie, un secteur clé dans lequel l'Etat a beaucoup investi au cours de ces dernières années et cherche à attirer plus d'investisseurs. Nous favorisons la méthode soft. La Guinée a une politique nationale de contenu local et travaille en partenariat avec les opérateurs.

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Aujourd'hui, la Guinée n'a plus besoin de faire de la publicité pour attirer les miniers. De par le nombre d'opérateurs présents, le pays est déjà connu et reconnu comme une destination minière par excellence. Maintenant, il s'agit de se diversifier dans d'autres secteurs tous aussi importants et capables de créer de l'emploi, de soutenir la croissance et l'on parle de l'énergie, de l'agriculture, des infrastructures, de l'innovation, des TIC, de l'immobilier et des hydrocarbures. C'est sur ces points que sera axée notre politique des prochaines années. L'année dernière, la Guinée a attiré au moins 2 milliards de dollars, d'Investissements directs étrangers (IDE). Notre soft Target est d'avoir 20% du PIB à partir de 2020 en termes d'IDE.

L'histoire des industries extractives de la Guinée a été jalonnée de litiges dont bon nombre ont été soldés au cours de ces dernières années. Comment le pays compte-t-il éviter ce type de contentieux qui retarde ses projets ?

L'instauration de la transparence a réduit les litiges avec les sociétés minières en Guinée au cours de ces dernières années. Toutes les réformes faites dans le secteur minier tendent à l'instauration d'une gestion transparente du secteur. Elles favorisent aussi le dialogue avec les opérateurs afin de trouver un terrain d'entente.

Après l'attribution du gisement de Nimba à HPX en juillet où en est la Guinée sur ce projet ?

Les accords ont été signés avec le Liberia pour l'évacuation des minerais via les ports libériens. Cela implique aussi les autorités libériennes. Nous pouvons dire que le projet avance.

Le projet n'impactera-t-il pas la construction du grand chemin de fer devant relier Simandou aux zones portuaires du pays ?

Non. Il s'agit là d'une réserve minière plus petite, pour laquelle nous ne sommes pas obligés de passer par le chemin de fer transguinéen, parce qu'économiquement les coûts ne seraient pas supportables. Maintenant, avec les deux projets du Simandou, nous sommes sur des volumes beaucoup plus importants et ils seront transportés via la transguinéenne pour évacuer les minerais. Ces infrastructures sont multifonctionnelles et devront aider au développement d'autres secteurs, à désenclaver le pays et à accélérer la décentralisation.

 Propos recueillis par Maimouna DIA

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