Amit Thakker : « L’éthique est le principal pilier du business de la santé »

Dr Amit Thakker, médecin kényan, est l’un des incontournables en matière de business de la santé en Afrique. Président d’Africa Health Business (AHB), une entreprise basée à Nairobi et qui conseille notamment les gouvernements dans le cadre de partenariats publics-privés, Thakker revient pour La Tribune Afrique sur l’orientation souhaitable des entreprises et investisseurs opérant dans le délicat secteur africain de la santé, dans le contexte actuel d’urgence à la couverture santé universelle (CSU).
Ristel Tchounand
Amit Thakker est médecin kényan, patron d'Africa Health Business (AHB), une entreprise qui conseille les gouvernements dans le cadre de PPP et qui réunit chaque année dans une capitale africaine le gotha de l'investissement dans la santé. Il est également président de l'Africa Healthcare Federation et de la Kenya Healthcare Federation.
Amit Thakker est médecin kényan, patron d'Africa Health Business (AHB), une entreprise qui conseille les gouvernements dans le cadre de PPP et qui réunit chaque année dans une capitale africaine le gotha de l'investissement dans la santé. Il est également président de l'Africa Healthcare Federation et de la Kenya Healthcare Federation. (Crédits : DR)

La Tribune Afrique : Aujourd'hui, tous les experts s'accordent sur la nécessaire implication du secteur privé pour atteindre les objectifs de la couverture sanitaire universelle en Afrique. Mais est-il juste question d'apport en capital ?

Amit Thakker : Bien-sûr que non, ce n'est pas juste une affaire de capital. Les facteurs les plus importants qui permettront aux gouvernements d'atteindre la couverture santé universelle [CSU, NDLR] en Afrique ne se résument pas uniquement au capital. C'est plus que cela. C'est aussi l'innovation, l'efficacité et la formation. Ce sont autant de domaines de partenariats potentiels. Le simple fait de mettre à disposition le capital pour la santé ne produira pas la santé. Nous aurons besoin de ressources humaines compétentes et qui détiennent surtout les capacités impérativement requises dans le contexte actuel de notre Continent.

Nous aurons également besoin d'observer les différents modèles appliqués çà et là à travers le Continent. Le modèle en vigueur au Niger est certainement différent de celui adopté au Botswana ou à Cabo Verde. Après, le plus important est de mettre en place des modèles qui permettent aux familles, aux ménages d'être médicalement couverts, afin qu'ils n'aient pas à s'appauvrir face à aux cas de maladie. Je crois que le partenariat avec le secteur privé va au-delà de l'investissement. Il s'agit de renforcer le système de santé dans son ensemble.

J'estime par ailleurs que la qualité du leadership est clairement un facteur important. On constate qu'en Afrique, le leadership est en train de mûrir. Nous avons d'excellents dirigeants au sein des ministères de la Santé comparés à une vingtaine d'années plus tôt. A mon avis, nous avançons dans la bonne direction. Est-ce assez fort, est-ce assez rapide ? C'est à ce niveau qu'une coopération entre le secteur privé et les gouvernements trouve tout son sens. Un leadership fort, tant dans le secteur public que privé, contribue à améliorer la santé. Premièrement, cela a le potentiel de réduire le poids de la corruption. Actuellement en Afrique, nous perdons 40% de notre argent à cause de pratiques de corruption et d'inefficacité. Imaginez combien de femmes et d'enfants pourraient être épargnés si de telles sommes étaient utilisées à bon escient !

Bien que la qualité du leadership s'améliorer dans quelques pays, le secteur privé semble encore réticent...

C'est justement l'autre aspect important du leadership que j'évoque. Cela consiste à favoriser la construction d'un secteur privé fort dans le domaine de la santé, de façon à lui permettre de jouer amplement son rôle de levier. Pour générer plus d'investissements, nous devons créer un environnement favorable. C'est la raison pour laquelle les gouvernements doivent comprendre le type de climat des affaires que recherche le secteur privé. C'est ce qui permettra d'améliorer l'attractivité du secteur de la santé. Cela inclura des modèles autour de l'alimentation, l'infrastructure et tous les facteurs critiques -permis de travail, mouvement des ressources humaines,etc.- surtout les réglementations appropriées. Lorsque la réglementation est fermée, le secteur privé fuit. Et dans le domaine de la santé, je pense que nous pouvons faire beaucoup mieux pour que nos réglementations permettent aux investisseurs locaux et internationaux de multiplier les investissements.

Quand on parle de business de la santé en général, le tabou demeure. On entend souvent dire que le patient n'est pas un client. Quelle est votre opinion à ce sujet, vous qui partagez l'avis selon lequel le business de la santé est un business sain ?

J'aimerais, d'entrée de jeu, dire qu'il est très clair aujourd'hui que les ressources dont disposent nos pays ne suffisent pas pour avoir un système sanitaire entièrement public. De ce fait, le public et privé doivent coexister.

En ce qui concerne le tabou du profit dans le secteur de la santé, à mon avis, le profit n'est pas une mauvaise chose. La plupart des gens confondent profit et pillage. Ce sont ces organisations et ces entreprises qui polluent le système en ayant un modèle frauduleux de prestation de soins de santé. Elles sont à condamner. Cela inclut des installations de mauvaise qualité, des installations contrefaites, les faux médicaments,... Ce sont autant de modèles que nous devrions condamner. En même temps, j'aimerais signaler que le secteur privé n'est pas le seul concerné par ces travers. C'est généralement un mélange de secteurs public et privé qui favorise la corruption et crée des inégalités.

Je pense que nous devrions imposer des sanctions sévères à quiconque dans le secteur, privé ou public, applique de manière notoire des pratiques antiréglementaires autour du commerce et des affaires dans le domaine de la santé. Il n'est pas donc pas mauvais d'être rentable. Au contraire, il est très important que nos entreprises et investissements soient durables, car plus ces entités seront durables, plus les fournisseurs de services de santé en Afrique seront nombreux. Le modèle doit donc être économiquement viable. C'est la seule façon pour nous de passer du statut de receveur des dons à celui de propriétaire de nos solutions de santé.

Depuis trop longtemps en Afrique, nous nous sommes contentés d'être dans une sorte de mendicité qui consiste à recevoir l'aide monétaire de l'Occident pour couvrir les services de santé. Quand allons-nous être autosuffisants ? Nous devons travailler avec le secteur privé local. Nous passerons donc de receveurs à propriétaires.

A travers le monde, le business de la santé est aussi critiqué en raison de ce qu'il se passe dans les économies développées notamment aux Etats-Unis où certaines firmes sont accusées de créer des maladies pour favoriser l'écoulement de médicaments...

Toute entreprise impliquée dans la propagation d'une maladie ou la création de tout type de maladie est considérée comme contraire à l'éthique, peu importe d'où elle vient à travers le monde, car l'objectif pour toute organisation impliquée dans ce domaine devrait être d'améliorer l'espérance de vie.

En Afrique, nous nous dirigeons davantage vers la prévention que vers les soins curatifs. Et c'est une bonne chose. La notion selon laquelle la santé est construite à la maison et réparée à l'hôpital commence à émerger dans nos sociétés. Et si nos ménages instaurent des règles fortes, nous pouvons rétablir la santé en Afrique grâce à un bon environnement, une bonne hygiène de vie, une bonne nutrition et la consommation d'une eau potable. Au final, environ 70% des cas actuellement transférés dans des centres de consultations externes, à travers le Continent, pourraient être gérés à domicile. Imaginez combien de vies pourraient être ainsi sauvées.

Je pense donc qu'indépendamment de ce qui se dit sur les entreprises américaines, tous les acteurs de la santé en Afrique doivent converger vers une meilleure prévention des maladies et la promotion de la santé à domicile, pour un Continent en meilleure santé.

Votre entreprise Africa Health Business a pour objectif de changer les activités de la santé sur le Continent. Qu'entendez-vous par là ?

Nous voulons nous assurer que nous avons des pratiques commerciales équitables à travers l'Afrique. Nous avons un fort plaidoyer à ce propos. Nous conseillons aux gouvernements de l'Afrique de la meilleure façon de nouer des partenariats avec le secteur privé. Nous développons les modèles de partenariat public-privé et nous intégrons les entreprises locales désireuses d'étendre leurs activités et renforcer les partenariats avec d'autres qui souhaitent venir en Afrique. C'est ce que fait Africa Health Business.

A votre avis, y a-t-il une limite à ne pas franchir quand on est opérateur dans le business de la santé ?

Je pense que l'éthique est le principal pilier du secteur de la santé. Tout type d'action qui dépasse les frontières éthiques ne devrait pas être autorisé dans ce secteur. C'est le principal pilier qui maintient le professionnalisme, l'intégrité et la transparence. Je le répète, dans ce que nous faisons dans le secteur de la santé, l'éthique est la priorité.

Propos recueillis, à Praia, par Ristel Tchounand

Ristel Tchounand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.