Grace Kabaniha : « Dans le secteur de la santé, les entreprises devraient investir dans les startups innovantes »

Chaque année, les économies africaines perdent plus de 2 400 milliards de dollars en raison de la mauvaise santé des populations. C’est le constat alarmant dressé dans le tout premier rapport dédié du Bureau Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dévoilé fin mars et intitulé «Un lourd fardeau : le coût indirect de la maladie en Afrique». En tête des pays lourdement touchés, le Nigeria (plus de 879 milliards de dollars), l'Afrique du Sud (330,5 milliards de dollars), l'Angola (176,7 milliards de dollars) et l'Algérie (148,9 milliards de dollars). Dans un contexte où la promotion de la santé pour tous occupe une place de choix dans l’agenda mondial –d’ailleurs ce mardi 7 mai marque la journée mondiale de l’asthme et mardi dernier s’achevait la semaine africaine de la vaccination-, l’OMS milite désormais pour une plus grande implication du secteur privé dans la santé. L'Ougandaise Grace Kabaniha, économiste de la santé à l’OMS Afrique, a dirigé l’étude. Elle revient pour «La Tribune Afrique» sur quelques points clés et donne son avis sur l’implication qui pourrait être celle du monde du business dans l’effort de santé pour tous.
Ristel Tchounand
Dr Grace Kabaniha est économiste de la santé au Bureau régional de l'OMS pour l'Afrique. Elle a dirigé l'étude qui a aboutit au tout premier rapport de l'OMS sur le coût économique de la maladie en Afrique, lequel se chiffre à plus de 2 400 milliards de dollars par an.
Dr Grace Kabaniha est économiste de la santé au Bureau régional de l'OMS pour l'Afrique. Elle a dirigé l'étude qui a aboutit au tout premier rapport de l'OMS sur le coût économique de la maladie en Afrique, lequel se chiffre à plus de 2 400 milliards de dollars par an. (Crédits : DR)

La Tribune Afrique : Les données du rapport datent de 2015. Le phénomène aurait-il pu ou non s'amplifier au cours des trois dernières années ?

Grace Kabaniha : Tout d'abord, j'aimerais préciser que nous pensons que ce rapport est très important parce qu'il fournit de nombreuses preuves de l'existence d'un lien étroit entre le niveau de santé des populations et le développement. Les données exprimées par pays, par âge, par maladie, etc., permettent à chaque ministre des Finances et ministre de la Santé, partout en Afrique, de prendre conscience des conséquences de la mauvaise santé et des pertes économiques engrangées dans son pays, plutôt qu'avoir des données globales. Cela permet ainsi de jeter des pistes pour une meilleure réflexion autour de ce qui doit être fait dans chaque pays pour y remédier.

Pour répondre à votre question, en effet, nous avons réalisé cette étude en regardant aux statistiques qui se rapprochent le mieux de la situation actuelle de nos économies. C'est la première la raison pour laquelle nous avons choisi 2015 comme année de référence, car c'est à partir de là que nous avons commencé à rentrer dans l'ère des ODD [Objectifs du développement durable, NDLR]. Deuxièmement, au moment où nous réalisions l'étude, les données de 2015 étaient les dernières disponibles dans la base de données du Global Burden Disease (GBD) [Institut de métrologie et d'évaluation de la santé -un centre de recherche indépendant à l'Université de Washington, NDLR].

La question de savoir où nous en sommes réellement aujourd'hui est en effet intéressante. Les données de 2016 sont désormais disponibles et elles montrent que la mobilité et la mortalité constituent des menaces dans la région couverte par le bureau Afrique de l'OMS. Cependant, l'examen des rapports individuels tels que le rapport mondial sur le paludisme permet de constater que les cinq pays sur les plus touchés par cette maladie en Afrique ont effectivement déclaré une augmentation des cas de 3 millions l'an dernier.

A eux seuls, la RDC et le Nigeria affichent chacun une hausse de 500 000 cas. Quelques pays qui ont réussi à réduire leur exposition au paludisme, notamment le Rwanda qui a eu 430 000 cas en moins. Sur la base des données du rapport, je pense qu'il serait difficile de dire de manière formelle que la situation est meilleure, car même en regardant les dernières statistiques disponibles sur l'Afrique, il n'y a par exemple pas de données sur les changements de tendance de la mortalité maternelle ou la mortalité infantile au niveau régional. Mais, heureusement, nous faisons des progrès.

Avec plus de 1 129 milliards de dollars de pertes annuelles, la CEDEAO est la sous-région la plus économiquement affectée par la mauvaise santé des populations, pourtant elle est également l'une des plus économiquement dynamique. Comment expliquer ce paradoxe ?

En effet, la CEDEAO est la région qui a connu la perte de productivité la plus rapide en termes de PIB. Cela s'explique par le fait que la région porte le plus lourd fardeau de maladies et de mortalité. Le Nigeria est le pays qui impacte le plus ces résultats, majoritairement en raison de sa forte population.

Les maladies non transmissibles constituent la plus grande cause des pertes de productivité en Afrique. Nos entreprises abriteraient-elles de nombreuses personnes malades ? Comment les entreprises pourraient-elles contribuer, dans un cadre légal, à améliorer les dépistages ?

Oui, les maladies non transmissibles (MNT) sont en effet la plus importante cause des pertes de productivité sur notre Continent. Et c'est vrai que beaucoup de gens sont à risque. Le challenge en Afrique est que très peu de personnes sont régulièrement dépistées pour les MNT. Le lieu de travail est un moyen d'améliorer cela et encourager un style de vie sain dans les bureaux, à travers notamment les gymnases en milieu de travail et les aliments sains à la cafétéria comme moyen de constituer un effectif en santé.

Cependant, étant donné le nombre élevé de personnes dans le secteur informel, il est important que nous utilisions également d'autres moyens pour améliorer le dépistage des MNT, notamment les activités de proximité, les écoles et les universités, en encourageant les visites régulières chez le médecin et promouvant l'activité physique.

Au-delà des partenariats public-privé et moment où l'OMS encourage une plus grande implication du secteur privé dans la santé, que peuvent faire les entreprises pour aider à atteindre les objectifs d'une meilleure santé sur le Continent ?

Une piste très importante est déjà donnée par les 30 innovateurs sélectionnés par le bureau de l'OMS dans le cadre du 2e forum de la santé en Afrique. Ces startups ont des idées absolument brillantes. L'une d'entre elles a développé une application pour le diagnostic rapide d'Ebola. A mon avis, c'est une innovation potentiellement puissante. Une autre diagnostique le cancer de façon très rapide, facile et très accessible en termes de coût, ..., ces innovations sont vraiment étonnantes les unes que les autres.

Actuellement, leur challenge est de porter leur produit à la prochaine phase de développement et permettre ainsi la vulgarisation de ces services innovants et combien nécessaires dans le contexte actuel du Continent. A mon avis, les entreprises peuvent tendre la main à ces startups. Ce qui pourrait peut faire une grande différence. Pouvez-vous imaginer ce qu'un test de dépistage d'Ebola peut faire en RDC ? L'épidémie sévit dans une zone forestière. Transporter les échantillons de sang de cette zone à une autre où ceux-ci peuvent être analysés n'est pas chose aisée. Mais s'il est possible d'obtenir rapidement un diagnostic et savoir en seulement une heure si une personne est porteuse ou non du virus, cela permettrait de combattre la maladie plus efficacement. Donc, les entreprises devraient déjà investir dans des innovations de ce genre, sachant qu'il existe aujourd'hui à travers l'Afrique, une pléthore d'innovations qui n'attendent que de recevoir le coup de pouce financier, pour être propulsée et profiter au plus grand nombre.

Un autre terrain fructueux pour les entreprises serait l'investissement dans l'accélération de la couverture sanitaire. L'exemple du Rwanda est éloquent. Il y est possible de transporter [au moyen de drones, NDLR] des médicaments ou des poches de sang d'un coin du pays à un autre en moins d'une heure contre une demi-journée, voire plus en temps normal. Cette simple intervention permet de sauver un nombre important de vie. Actuellement plusieurs pays pensent à adopter ce type de technologie. Ce genre d'investissement qui aide à connecter les régions géographiquement éloignées -sans parler de tout ce qui est télémédecine- peuvent être vraiment porteurs.

Par ailleurs, le secteur privé en Afrique peut également investir dans les ressources humaines pour les formations santé. Nous avons de bonnes institutions dans la région qui contribuent à produire des travailleurs de la santé, mais nous pouvons faire plus en développant des stratégies qui permettent de rehausser tout le système dans la région. Je pense que c'est un important domaine dans lequel les entreprises et les gouvernements peuvent travailler en partenariat afin de mettre en place non pas uniquement la formation de ressources humaines pour qu'il y ait plus de médecins, plus d'infirmiers, mais aussi en termes de qualité de ces ressources de manière à les rendre compétitives par rapport au niveau observé dans les économies développées.

Ristel Tchounand

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