Tunisie : Comme un air de campagne pour Youssef Chahed à Paris

En déplacement à Paris du 13 au 15 février, Youssef Chahed, le Premier ministre tunisien, n'a pas ménagé ses forces pour redynamiser la relation franco-tunisienne. De l'Elysée à Matignon, du palais du Luxembourg à l'Institut du Monde Arabe (IMA) : retour sur une tournée de campagne qui ne dit pas son nom...
A paris, Youssef Chahed a été reçu par Emmanuel Macron, Edouard Philippe, Laurent Fabius ou encore Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale.
A paris, Youssef Chahed a été reçu par Emmanuel Macron, Edouard Philippe, Laurent Fabius ou encore Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale. (Crédits : Reuters)

A neuf mois des élections présidentielles, le déplacement du Premier ministre tunisien à Paris, a comme des airs de campagne... C'est en tous cas, l'occasion pour Youssef Chahed de renforcer les relations entre Paris et Tunis en dépit d'une conjoncture interne encore fragile, qui avait d'ailleurs conduit l'agence Moody's à baisser d'un cran la note souveraine de la Tunisie au printemps dernier, passée de Ba1 à Ba2 avec des perspectives négatives.

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Une décision qui renvoie à l'incertitude politique, à la fragilité des banques publiques et aux pressions externes exercées sur la balance des paiements et sur les finances publiques. A ce jour, la croissance atteint péniblement 2.9%, le déficit budgétaire est estimé à 5.2% du PIB et le déficit courant représente 9.6% (source : FMI, Octobre 2018). L'inflation culmine à 7,5% (source : ins.tn, décembre 2018), la réduction des réserves internationales avec la dégradation de la balance commerciale (suite à la hausse du prix du baril de pétrole, ndlr) ou l'augmentation de la dette publique (70,5% du PIB fin 2018) sont autant d'indicateurs qui inquiètent les investisseurs.

Inscrite sur la liste européenne des pays tiers à hauts risques depuis novembre 2017, la Tunisie devra réformer son système fiscal en urgence, tout en préservant son attractivité. Et le Chef du gouvernement ne lésine pas sur les moyens pour restructurer une économie en perte de vitesse, tout en assurant: « C'est une période difficile, ça va passer ! Il reste beaucoup de choses à faire mais avec de la persévérance, je vous garantis qu'on va s'en sortir ».

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Un candidat non déclaré reçu sous les ors de la République

Ingénieur de formation, le Premier ministre tunisien à la tête d'un gouvernement d'union nationale connaît bien la France et c'est en connaisseur qu'il arrive à l'Institut du Monde Arabe (IMA) entouré d'une importante délégation. Olivier Poivre d'Arvor, Ambassadeur de France en Tunisie, Ghazi Gherairi, Ambassadeur de Tunisie à l'UNESCO, Ahmed Gaâloul, le Secrétaire d'Etat à la Jeunesse, Rony Trabelsi, le nouveau ministre du Tourisme et de l'Artisanat ou encore Hubert Védrine, en sa qualité de spécialiste ès géopolitique, ont été accueillis par Jack Lang à l'IMA, où Youssef Chahed s'est adressé à la jeunesse sur le thème de la démocratie. Il faut dire que les moins de 35 ans représentent à ce jour, près de 60% de la population tunisienne, dont 38% sont au chômage.

Ce déplacement pour le chef du gouvernement, encore inconnu au bataillon politique avant 2012, était l'occasion de négocier de nouveaux partenariats avec l'hexagone d'une part, et de renforcer son image à l'international d'autre part : une opération séduction réussie. Le jeune Premier ministre a été reçu par Emmanuel Macron, Edouard Philippe, Laurent Fabius ou encore Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale. Il a même profité de ce bref séjour pour se rendre au Salon international des textiles pour l'habillement, la Tunisie s'illustrant particulièrement dans cette filière...

«Pendant deux jours, nous enchaînons les rendez-vous pour renforcer la coopération franco-tunisienne. J'ai été reçu ce jour par Edouard Philippe et je serai reçu demain (vendredi, ndlr) par Emmanuel Macron pour développer nos relations économiques et sécuritaires mais aussi au niveau de l'éducation, de la formation professionnelle et de la culture» a déclaré le Premier ministre à La Tribune Afrique le 14 février dernier.

En 2018, les exportations de la France vers la Tunisie représentaient 2,7 milliards d'euros et les importations près de 3,8 milliards d'euros, selon le Trésor tunisien. Si l'hexagone n'est plus le 1er fournisseur du pays, Paris tient néanmoins à maintenir ses positions à Tunis. En chiffres, la France reste le 1er client du pays (29.3%) devant l'Italie (15.9%), l'Allemagne (12%) et l'Espagne (5%). Au niveau des fournisseurs, l'Italie coiffe la France au poteau (15.7%) contre (14.3%) devant la Chine (9.5%) et l'Allemagne (7.6%). La relation franco-tunisienne affiche quelques belles réussites comme l'usine d'assemblage de pick-up PSA Peugeot-Citroën, destinés aux marchés africains. « Nous accueillons plus de 3.000 entreprises européennes, grâce à notre main d'œuvre qualifiée, nos infrastructures, notre proximité avec l'Europe et notre capacité à innover » a d'ailleurs souligné Youssef Chahed.

« La sécurité existe en Tunisie, c'est un pays sûr » a-t-il ensuite rappelé, revenant sur un secteur touristique en pleine renaissance après les années sombres qui ont suivi les attentats de Sousse et du Bardo en 2015. Les Européens sont de retour et « la Tunisie a accueilli 8 millions de touristes en 2018 » s'est réjoui Rony Trabelsi.

Cinq nouveaux contrats signés à Paris

« La salle Clémenceau est trop petite, ce qui manifeste d'une grande adhésion pour votre venue » introduit Jean-Pierre Sueur, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Tunisie, vendredi 15 février dernier au Sénat, devant une salle comble. Gérard Larcher absent, c'est donc lui qui se charge de lire le discours du président du Sénat, à l'occasion de l'inauguration du 2ème Forum économique franco-tunisien organisé par Business France et la Direction générale du Trésor. « La présence financière française est appelée encore à se développer, si nous voulons multiplier par deux nos investissements d'ici 2022, comme le Président de la République nous y a encouragé ». Pour ce faire « la clé de la réussite c'est vous, les représentants des entreprises ici nombreux, fers de lance de la croissance tunisienne et de nos relations économiques bilatérales, qui la détenez » a-t-il lancé devant un parterre d'entrepreneurs.

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« La France est le 1er partenaire économique de la Tunisie et compte bien le rester ! » a ensuite poursuivi Agnès Pannier-Runacher, la Secrétaire d'Etat du ministre de l'Economie et des Finances, face à la délégation tunisienne venue nombreuse à Paris. Vendredi matin au palais du Luxembourg, on pouvait croiser Zied Laâdhari, ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, Slim Feriani, ministre de l'Industrie et des PME, Hichem Ben Ahmed, ministre du Transport, Rony Trabelsi, ministre du Tourisme et de l'Artisanat, autour de Youssef Chahed, le Premier ministre. Une centaine d'entrepreneurs tunisiens avaient également été invités à rejoindre les débats. Climat des affaires, financement de projets, transports, énergie, étaient quelques-uns des thèmes abordés lors du forum.

Pour rappel, l'an dernier, Business France a accompagné plus de 200 entreprises françaises en Tunisie et a mené 9 opérations collectives d'entreprises en direction du pays partenaire. Youssef Chahed a d'ailleurs rappelé les nombreux « échanges qui ont été l'occasion de réaffirmer les relations et la proximité entre la France et la Tunisie » ainsi que les atouts positionnant le pays comme un partenaire de choix : « Nos ressources humaines sont qualifiées car 17% de notre budget est consacré à l'éducation (...) nos infrastructures sont performantes (...) La reprise économique est là » et d'ajouter : « Nous faisons face aux défis de concurrents, notamment asiatiques, ce qui rend nécessaire une approche de co-développement » : la France et la Tunisie seraient-elles liées dans une même communauté de destin face à Pékin ?

Le Premier ministre ne sera pas reparti les mains vides. A la clé, plusieurs contrats conclus à Paris dès le 14 février. Deux conventions de prêts de 103.3M€ en soutien au secteur de la santé, notamment pour améliorer l'accès aux soins dans la région de Sidi Bouzid (76M€) et 27.3M€ pour soutenir le développement de l'e-Santé, ont été signées. Ce sont aussi 3 accords bilatéraux dans les transports, l'appui au développement des territoires et la mise en œuvre du projet d'Université franco-tunisienne pour l'Afrique et la Méditerranée (UFTAM) qui ont été scellés. L'Agence Française de Développement (AFD) devrait également financer une installation de 400.000 capteurs connectés dans la région de Sfax, mais aussi 30M€ de lignes de crédit sous formes de prêts et de dons pour soutenir les PME tunisiennes, après validation par l'Assemblée des représentants du peuple.

Youssef Chahed, l'OVNI politique...

Malgré les défis que doit relever la Tunisie, le pays peut se targuer d'un certain nombre d'atouts comme sa main-d'œuvre jeune, qualifiée et compétitive. Par ailleurs, le secteur de l'énergie est en pleine évolution. Il a récemment bénéficié d'un plan d'investissement de 4Mds€ entre 2018 et 2020 dont 1.7Md destiné aux énergies renouvelables. Ensuite, l'exploitation du champ Nawara à Tataouine, prévue pour juin 2019 devrait redynamiser l'industrie pétrolière. Quant au port en eau profonde à Ennfidha et le métro de Sfax, ils témoignent eux-aussi, de la volonté de Tunis de poursuivre le développement de ses infrastructures, qui devraient à terme, attirer de nouveaux investisseurs.

Youssef Chahed est un quadragénaire ambitieux, décrit comme une « bête de travail » et reconnu pour son sang-froid en situation de crise. Il lui en aura fallu pour surmonter les émeutes de janvier 2018, les révoltes du pétrole de mai 2017, les renvois du ministre de l'Energie, du PDG de l'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières (Etap) et d'un certain nombre de hauts fonctionnaires et d'hommes d'affaires. L'homme agit et tient à rassurer une population accablée par un chômage endémique (15.5% de la population active, source : ins.tn, 2018) et par une économie ralentie, où la corruption devenue intolérable, cristallise toutes les frustrations.

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Pourtant, ses chances pour les prochaines élections présidentielles restent incertaines en raison notamment du manque de soutien de son propre parti, issu d'alliances de circonstance, mais aussi de la méfiance des marchés d'affaires depuis les arrestations retentissantes de Chafik Jarraya, Yassine Channoufi ou encore Samir El Wafi...

La défiance du président Beji Caid El Sebsi à son égard, la proximité du Chef du gouvernement avec les réseaux d'affaires et avec le parti Ennahdha (Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste s'est toutefois publiquement opposé à la candidature de Youssef Chahed en août 2017 à la télévision nationale, ndlr) pourraient également limiter ses ambitions.

Il faudra au Premier ministre gagner en légitimité car, nommé Chef du gouvernement, une victoire aux élections présidentielles, représenterait sa première onction par la voie des urnes. Plus encore, pour convaincre, le « candidat non-déclaré » devra avant tout, présenter un bilan économique, social et sécuritaire satisfaisant, sous peine de servir de fusible pour évacuer le mécontentement général...

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