« Nous sommes au creux de la vague, nous ne pouvons donc qu'aller plus haut »

Le Bénin vient de présenter son plan d'actions du gouvernement pour la période 2016-2021. Un ambitieux programme baptisé "Bénin révélé" et doté d'une enveloppe d'investissement de plus 9000 milliards de Fcfa. Mais, comment ce petit pays de l'Afrique de l'Ouest peut mobiliser une telle somme ? Quels intérêts devraient être bousculés ? La pression fiscale devra-t-elle être augmentée ? Autant de questions auxquelles nous répond Romuald Wadagni, Ministre béninois de l'Economie et des Finances. Interview.

LTA : Pour un observateur néophyte, on a l'impression que la présentation du plan d'actions du gouvernement (PAG) relève plus du meeting électoral que d'une présentation d'un gouvernement déjà en place. Qu'est-ce qui motive cette démarche inédite ?

Romuald Wadagni : La principale motivation est que la réussite de ce programme est basée sur notre capacité à mobiliser l'ensemble des acteurs. Comme l'a dit le Chef de l'Etat, il faut la mobilisation du secteur privé, des syndicats, de tout le monde pour le succès de cette initiative. Il faut que tout le monde comprenne que nous lançons le développement structurel de notre pays. Depuis notre indépendance, jamais on ne s'est posé pour réfléchir sur quelles sont les attentes du Bénin pour capitaliser sur ses atouts, pour moderniser et diversifier son économie. Cette réflexion a donc été menée en prenant le temps qu'il fallait. Maintenant, le plan est en place et pour le réussir il faut deux choses : le financement et surtout la mobilisation de tous. Les moyens financiers nous l'avons démontré, nous sommes capables de les mobiliser. Parce que derrière chaque projet, nous avons un business plan comme dans le secteur privé. Nous savons donc démontrer pour chaque projet quels sont les impacts en termes de création d'emploi, de création de ressources et de recettes fiscales. Il s'agît donc de financer des projets qui structurent notre économie et qui sont rentables. De l'autre côté, nous avons beau avoir tous les moyens du monde, tout restera vain si la population ne vous accompagne pas, si les élus et les syndicats ne comprennent pas qu'avant de profiter des fruits de ce plan, il faut faire des sacrifices. C'est pour faire cette mobilisation derrière cet objectif commun que nous avons fait cet événement qui effectivement ressemble à un show électoral. Or, les élections sont passées et il s'agit maintenant de nous mobiliser pour ce plan.

Ce plan peut bousculer beaucoup d'intérêts établis. Quels sont ces intérêts et comment allez-vous gérer cette question ?

Nous démarrons ce plan en 2017 avec une structure de budget où pour financer notre économie les ressources internes, ressources fiscales et mobilisation interne, ne représentent que 50% de ce dont nous aurons besoin pour financer le budget. A chaque fois, il faudra donc aller de l'endettement à hauteur de 50%. Ce que nous visons c'est rapidement d'ici 2021 arriver à mobiliser les ressources interne de façon suffisante pour couvrir le fonctionnement des institutions, mais aussi nos besoins d'investissement pour que notre niveau d'endettement puisse baisser. Dans ce sens, il faut améliorer et sécuriser nos recettes fiscales. Pour le faire, cela veut dire que des intérêts préétablis vont être bousculés. Il faut donc travailler sans complaisance, sans passe-droit, sur les exonérations fiscales et chercher toutes les niches possibles pour ramener des ressources fiscales nouvelles.

Est-ce que cela veut dire que vous allez augmenter la pression fiscale ? Augmenter l'assiette ? Ou chercher les niches fiscales dont les exonérations ne sont pas justifiées ?

En fait, sur l'échéance 2021, nous n'envisageons pas de créer de nouveaux impôts, ni d'augmenter la pression fiscale. Nous allons plutôt procéder via deux axes. D'abord, sécuriser les ressources fiscales. Car entre ce que le contribuable paye et ce qui entre dans les caisses de l'Etat, il y a des trous... Il faut donc sécuriser cette chaîne en allant vers l'e-administration et en limitant au maximum l'influence des interventions manuelles. Le deuxième axe a trait au fait qu'aujourd'hui, il y a une totale déconnexion entre notre PIB et nos recettes fiscales. En effet, quand on regarde la structure de notre produit national brut, il y a des pans entiers de notre économie qui n'apportent rien au trésor public. L'agriculture contribue pour 20% de notre produit intérieur brut et contribue à 0% de nos recettes. Donc, il s'agit dans ces pans de notre économie de réduire progressivement le poids de l'informel pour élargir la base fiscale tout en expliquant aux gens que derrière la fiscalisation, il y a le service public rendu par l'Etat, les programmes sociaux, la construction des infrastructures...

Qu'en est-il du financement international du PAG ?

Nous avons entamé des discussions avec le Fond monétaire international pour entrer dans un programme. Ce dernier est basé sur un partenariat où il y a des échéances d'information, un suivi avec les équipes du FMI et nous permet d'avoir accès à des crédits long terme. Pour que les bailleurs prêtent à des taux concessionnels, à 30, 40 ans ou plus, il faut qu'ils soient sûrs que vous avez un cadre macro-économique sain. C'est-à-dire un ensemble d'éléments qui permettent de vérifier la capacité d'un pays à honorer ses engagements de façon durable. Aussi, quand le FMI est là, il rassure et donne de la crédibilité à votre cadre macro-économique, vous avez accès à des crédits à maturation longue.

Cela peut vous donner aussi de la crédibilité vis-à-vis d'autres bailleurs de fonds internationaux notamment privés. Est-ce que vous envisagez d'organiser une conférence internationale pour drainer les investissements étrangers à l'image d'autres pays de la région ?

Nous ne le ferons ! D'abord, parce qu'ici au Bénin, nous avons fait la même chose il y a deux ans. Au sortir de cette conférence, nous avions des engagements pour 6000 milliards de Fcfa. Mais, nous n'en avons vu aucun centime... Il y a pays de la région qui vient de mobiliser plusieurs multiples du PIB. C'est-à-dire que même si par miracle ces fonds étaient réellement levés, ce serait insoutenable. En tout cas notre choix est simple. Nous choisissons de mettre en place des projets structurants pour notre économie et nous allons chercher les bailleurs et partenaires qui sont intéressés et les convaincre de s'associer à nous pour les élaborer.

Le PAG touche tous les secteurs économiques et sociaux du Bénin. Comment s'est fait l'arbitrage en termes d'investissements alloués ?

Cela s'est fait en suivant quelques règles simples. La première est qu'il faut un développement équilibré de l'ensemble des territoires du Bénin. Deuxièmement, il faut privilégier les investissements qui nous permettent de structurer au mieux notre économie. Cette dernière était jusque-là focalisée sur le commerce avec le Nigéria. Donc tous les investissements qui permettent de développer des filières nouvelles sont privilégiés. Aujourd'hui, nous n'avons pas privilégier les investissements dans des secteurs qui existent, quand bien même ils seraient rentables. La diversification de notre économie est vraiment une des priorités de ce plan.

Le PAG a un horizon de 5 ans, c'est un plan à moyen terme. Comment conciliez-vous la mise en œuvre de ce plan avec les urgences économiques à gérer notamment liées aux difficultés du Nigéria et sa décision de fermer ses frontières terrestres aux marchandises ?

La réponse est incluse dans le PAG et dans le budget 2017. Un projet de budget ambitieux qui consacre plus de la moitié de ses dépenses aux investissements. Il y a un choix à faire entre les solutions conjoncturelles et les solutions structurelles. Nous avons pris la décision d'aller directement vers des solutions structurelles. Cela veut dire que nous allons passer par une période difficile, mais pendant laquelle nous allons lancer des investissements de base. Répondre par des solutions conjoncturelles ne servirait à rien. Ce serait repousser à plus tard les mêmes problèmes qui ne manquerons pas de se reposer à nous. Nous sommes au creux de la vague, nous ne pouvons donc qu'aller plus haut. C'est donc le bon moment pour lancer des investissements structurants pour relancer notre économie.

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