Infrastructures : ce chantier nommé Afrique

S'il y a un domaine où l'Afrique accuse un sérieux retard, c'est bien celui des infrastructures. Alors que le continent peine à mobiliser les financements nécessaires pour combler son déficit, les perspectives n'ont jamais été aussi prometteuses pour les pays africains qui semblent enfin conscients de la nécessité stratégique d'accompagner la dynamique que connaît le secteur. Aujourd'hui, l'enjeu est de baliser le chemin pour l'émergence. Et si les défis font légion, ce ne sont pas pourtant les solutions qui manquent.
Financé par l’État ivoirien et livré à la fin 2014 par le français Bouygues pour 299 millions d’euros, le pont Henri-Konan-Bédié, à Abidjan, est l’un des plus grands projets d’infrastructure d’Afrique de l’Ouest.

L'Afrique est en chantier. De Tanger au Cap et de Dakar à Mombassa, les projets d'infrastructures se multiplient : ports, aéroports, villes nouvelles, routes, autoroutes, centrales électriques, barrages, complexes industriels, chemins de fer, etc. C'est presque à une véritable frénésie que l'on assiste ces dernières années dans le domaine de la construction sur le continent. A coups d'annonces d'investissements massifs, de réalisations gigantesques et de projets parfois titanesques, l'Afrique est enfin bien arrimée à une nouvelle dynamique économique qui table sur le développement des infrastructures comme clé de son émergence. Il était grand temps et cette dynamique assez soutenue par le foisonnement de nouvelles initiatives publiques et privées, nationales comme régionales, aurait toute une autre ampleur si ce n'est qu'elle s'inscrit pour le moment dans ce qui ressemble fortement à une session de rattrapage. L'Afrique est en effet en train de vouloir combler son déficit en matière d'infrastructures sociales, mais aussi et surtout économiques.

Sauf que l'optimisme qu'engendre cette tendance s'estompe de manière drastique, tant le retard qu'accuse le continent dans ce domaine est criant. D'ailleurs, un chiffre qui fait l'unanimité dans presque toutes les études en contextualise l'ampleur. Selon la Banque mondiale, l'Afrique aurait besoin d'investir en moyenne 50 à 60 milliards de dollars par an pour combler son déficit en matière d'infrastructures sur les prochaines décennies. En tenant compte des coûts relatifs à la maintenance des projets déjà réalisés, l'investissement annuel nécessaire s'approche des 100 milliards de dollars. Au sein de la Banque africaine de développement (BAD), on pose la problématique sous un autre angle qui met davantage en lumière les estimations mentionnées ci-haut. Les besoins en infrastructures des pays africains se chiffrent globalement à quelque 100 milliards de dollars, alors que le déficit actuel dans ce secteur s'élève à 50 milliards. Du pareil au même serait-on tenté de dire. Car au vu des multiples enjeux socioéconomiques et de développement que soulève la question des infrastructures en Afrique, la réponse aux besoins s'avère autant nécessaire que de combler le déficit.

Le continent encore loin du compte

A l'heure actuelle pourtant et en se fiant aux données de référence, le continent est encore loin du compte. Selon la BAD, seuls 45 milliards de dollars environ sont actuellement investis, grâce au concours des gouvernements africains, des institutions de financement du développement et du secteur privé. De manière générale, le continent n'investit que moins de 4 % de son PIB dans les infrastructures, contre 14 % par exemple en Chine. De 2009 à 2015, ce pourcentage est même tombé à 2 % alors que le continent continuait à l'époque à surfer sur une dynamique de croissance sans précédent, surtout comparée à celle des pays développés alors en pleine crise. Il importe toutefois de relativiser cette moyenne générale, car les pays et les régions ne sont pas logés à la même enseigne. Le Cap-Vert consacre par exemple 44 % de ses ressources propres pour le financement de ses infrastructures tout comme la Namibie, l'Ouganda et l'Afrique du Sud qui y consacrent respectivement 39 %, 28 %, et 24 % de leurs ressources internes.

Le défi reste encore de taille pour les pays africains qui sont pourtant condamnés à y faire face, car ce manque d'infrastructures à un coût. La Banque Mondiale a ainsi estimé que le déficit d'infrastructures prive l'Afrique de 2 % de croissance annuelle du PIB, alors que pour les entreprises, le manque à gagner qu'engendre l'absence d'équipements adaptés s'élève à  hauteur de 40 % en termes de gains de productivité. «Si nous ne comblons pas le déficit de financement des infrastructures en Afrique, situé entre 60 et 70 milliards de dollars par an, nous continuerons à faire perdre deux points de pourcentage au taux de croissance annuel de l'Afrique. Et cela, nous ne pouvons pas nous le permettre», reconnaît à juste titre  Akinwumi Adesina, le président de la BAD.

La banque panafricaine, qui comme bien d'autres institutions multilatérales financières (IMF) actives sur le continent, a fait du développement des infrastructures en Afrique une de ses priorités à travers notamment le fonds Africa 50, un véhicule de financement destiné justement à mobiliser les financements nécessaires pour permettre au continent de combler son déficit. «L'Afrique, en particulier subsaharienne, manque des infrastructures nécessaires à une croissance économique inclusive et à son insertion dans une économie mondialisée», justifiait en ce sens l'économiste sénégalais Alassane Bâ qui avait porté le fonds Africa 50 et pour qui «ce déficit en infrastructures conduit à une croissance de coûts de production et des services, une baisse de la compétitivité des affaires et un impact négatif sur le flux des investissements directs étrangers sur le continent».

De modestes progrès à confirmer

La dynamique que connaît aujourd'hui le secteur des infrastructures dans les pays africains conforte une tendance qui a émergé il y a un peu moins de trois décennies et qui a connu une certaine accélération au tournant du nouveau siècle. C'est du reste ce qu'a mis en évidence l'édition d'avril 2017 du rapport «Africa's Pulse» de la Banque mondiale qui a relevé quelques modestes progrès enregistrés sur le continent les vingt dernières années. Ce qui témoigne, avec une bonne dose de volonté, que l'Afrique peut rattraper son retard en surfant sur les nombreuses opportunités qu'offre son potentiel. Ainsi, dans presque  l'ensemble des pays africains, qu'ils soient à revenu intermédiaire ou faible, on a enregistré ces 25 dernières années une expansion rapide de la couverture des services de télécommunications. Les taux d'accès à l'eau potable ont également bien progressé, pour passer de 51 % en 1990, à 77 % en 2015. Ces chiffres assez reluisants à l'échelle du continent ne sont pas sans cacher d'énormes disparités d'un pays à un autre et d'une région à une autre et surtout, n'occultent pas le fait que  «les problèmes à résoudre n'en demeurent pas moins nombreux et profonds», selon les auteurs du rapport. La capacité de production électrique par habitant a, à titre illustratif, peu augmenté en vingt ans, alors que 35 % seulement de la population a accès à l'électricité.

A ce niveau d'ailleurs, il convient encore de relativiser un peu plus les chiffres, puisque les taux d'accès en milieu rural sont inférieurs d'un tiers à ceux observés dans les villes. De même, les transports sont également à la traîne, puisqu'il ressort de l'analyse que «l'Afrique subsaharienne est la seule région du monde où la densité routière a baissé au cours des deux dernières décennies». Dans ce contexte, c'est un truisme que de rappeler que l'accroissement et l'amélioration des infrastructures pourraient avoir des effets considérables sur la croissance.

Ainsi, les auteurs du rapport, l'un des plus récents et qui dresse un tableau assez consistant de l'état des lieux et des perspectives du secteur en Afrique, ont estimé que si le continent parvenait à atteindre un niveau d'infrastructure égal à celui de la médiane des autres régions en développement, son PIB par habitant pourrait progresser de 1,7 point de pourcentage supplémentaire chaque année. Et si elle se hissait au niveau des «meilleurs élèves» en la matière, les profits se chiffreraient à 2,6 points de pourcentage de plus par an. «Des gains de croissance potentiels qui résident en grande partie dans le développement de la capacité de production électrique», rappelle la Banque mondiale qui a également analysé les données budgétaires d'une vingtaine de pays d'Afrique subsaharienne en matière de dépenses d'infrastructure sur la période 2009-2015, afin de lister les sous-secteurs qui ont attiré le plus d'attention des politiques publiques.

Il ressort et sans grande surprise que ce sont les routes qui se taillent la part du lion, «puisqu'elles absorbent les deux tiers des investissements d'infrastructure consentis dans la région». Le secteur de l'électricité représente quant à lui 15 % du volume total des dépenses d'équipement, à l'instar de celui de l'eau et de l'assainissement.

Contraintes majeures

C'est le cas de le dire : le déficit en infrastructures constitue l'une des contraintes majeures qui entravent l'essor du continent. «Les infrastructures ont un rôle crucial à jouer pour stimuler le développement durable, en particulier dans les pays les plus pauvres où les lacunes en matière d'infrastructures sont les plus grandes», a ainsi rappelé dernièrement une analyse du Centre international pour le commerce et le développement durable (ICTSD), basé à Genève.

Ces dernières années, la prise de conscience des véritables enjeux stratégiques a permis d'ériger cette problématique en priorité dans de nombreux pays. Cependant, les défis restent encore persistants, ce qui  rend encore leur prise en charge assez lente, car le secteur manque toujours d'assez de compétitivité pour stimuler les investissements. D'autant plus que la nature à long terme des projets d'infrastructures, l'inefficacité de certaines dépenses allouées au secteur, ainsi que l'environnement des affaires qui peut laisser à désirer dans certains pays, ne plaident pas en faveur du continent quand il s'agit des investisseurs. C'est ce qui explique la frilosité de ces derniers en dépit du stock d'IDE disponibles, mais aussi d'autres excroissances négatives pour le secteur, comme ces projets mal ficelés ou peu adaptés qu'illustrent bien «des éléphants blancs» sur le continent.

Les pays africains, premiers investisseurs

Le fait est tellement rare qu'il mérite d'être souligné. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l'annonce d'investissements étrangers massifs dans les projets d'infrastructures en Afrique, ce sont les Etats africains qui continuent à financer plus de la moitié des fonds alloués aux secteurs sur le continent. Selon la CEA, les pays africains financent environ 65 % de leurs dépenses en infrastructures, soit près de 60 milliards de dollars par an. Il s'agit certes d'une donne somme toute logique à l'heure où règne un afro-optimisme ambiant qui veut que l'Afrique compte sur ses propres moyens pour assurer son développement. Cette tendance peut toutefois s'avérer contre-productive à moyen et long terme. C'est du reste ce qu'illustre la baisse de régime actuelle de la dynamique que connaît le secteur, car à la suite de la baisse des cours des matières premières de ces deux dernières années, les investissements tant publics qu'étrangers ont marqué le pas.

«Aujourd'hui, les dépenses publiques d'équipement ne permettent pas de répondre aux besoins d'infrastructures des pays africains », n'a pas d'ailleurs manqué de rappeler la Banque mondiale. Selon le Consortium africain pour  les infrastructures (ICA), un organisme spécialisé dans l'accompagnement des pays africains pour combler leur déficit en équipement, «les contraintes imposées sur les ressources du secteur public, la pression croissante sur les budgets gouvernementaux en Afrique et les inquiétudes relatives à l'efficacité de la prestation de service de la part des entreprises et agences d'Etat ont engendré le fait que de nombreux gouvernements ont intensifié leurs efforts pour encourager des partenariats avec le secteur privé».

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