Infrastructures : financement, l'équation insoluble ?

Les infrastructures sont un chantier perpétuel du continent. L'un des freins majeurs à ce secteur critique reste le financement qui est plombé par une faiblesse structurelle des finances publiques, une dépendance accrue aux aides internationales (qui restent volatiles), un besoin en PPP ou encore le manque d'intérêt des opérateurs privés. L'incursion des groupes bancaires panafricains dans le financement des infrastructures pourrait apporter une bouffée d'oxygène. Reste à savoir si ces entités seront capables de supporter, à elles seules, les risques inhérents à l'investissement dans les infrastructures.
Amine Ater

Les infrastructures restent le pivot central pour un véritable décollage économique en Afrique. Vecteur attendu d'intégration régionale, de développement économique ou encore de désenclavement territorial, ce chantier fait partie des principales préoccupations des gouvernements, bailleurs de fonds et organisations panafricaines. En témoigne, le Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA), adopté en 2012 par l'Union Africaine (UA).

Ambitieux PIDA

Cette feuille de route qui vise particulièrement les «mégaprojets» transfrontaliers et qui est gérée conjointement par la Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) et la Banque Africaine de Développement (BAD), comporte 51 projets. Un panier de chantiers qui englobe des lignes ferroviaires transfrontalières, des projets hydroélectriques, des gazoducs, des raccordements de systèmes internet et de télécommunications. Un cahier de charges audacieux dont l'enveloppe globale est estimée à 360 milliards de dollars.

Le PIDA prévoit par ailleurs de rentabiliser l'effort d'investissement en infrastructures en cherchant à l'intégrer avec l'extraction des ressources naturelles, notamment énergétiques et minières. L'une des particularités du PIDA est d'utiliser exclusivement le modèle des PPP (partenariats public-privé). Une approche qui comprend pourtant des risques en matière de fiscalité et de développement. En effet, pour garantir la rentabilité de ces infrastructures, les gouvernements proposent des packages d'allègements fiscaux aux entreprises ou augmentent le tarif des services publics pour le consommateur, voire même les deux en même temps.

Quel modèle de PPP dupliquer

Le modèle des PPP pâtit également des manœuvres des opérateurs privés qui imposent fréquemment la renégociation des contrats afin d'accroître leurs droits et réduire leurs obligations. En témoigne le choix de l'Office nationale des chemins de fer marocain (ONCF) de mettre fin à ses partenariats avec des opérateurs espagnols qui ne cessaient de renégocier à la hausse leurs contrats portants sur la réalisation de la ligne à grande vitesse, actuellement en construction. L'un des plus grands risques inhérents au modèle des PPP reste le coût exorbitant qu'il peut engendrer pour les contribuables en cas d'arrêt du projet, ou si les prestataires privés n'atteignent pas les bénéfices escomptés.

Il existe également de grandes disparités dans le domaine des propositions de financements non sollicitées, pour lequel certains pays ont adopté des réglementations complètes (Tanzanie, Nigéria et Afrique du Sud). En effet, selon l'analyse comparative de la Banque mondiale, de larges disparités de scores apparaissent en matière de préparation des projets PPP, certaines économies se situant en relative bonne position (Afrique du Sud et Ile Maurice) tandis que d'autres sont en retard comme le Togo et la République démocratique du Congo. L'Afrique du Sud, qui a adopté une réglementation complète sur la gestion des contrats, obtient un très bon score dans ce domaine.

Concentration en Afrique du Sud

Ce modèle connait également une concentration au niveau des 4 principales économies subsahariennes, à savoir l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya et l'Ouganda. Le quatuor pèse à lui seul 36,7 milliards de dollars d'engagements en investissement, soit 62% de l'ensemble des engagements (59 milliards de dollars) et 48% des 335 projets PPP de la région au cours des 25 dernières années. Globalement, selon les statistiques de la Banque mondiale à fin 2015, les PPP d'infrastructure concernent l'énergie (78%), les transports (22%), l'eau et l'assainissement (0,5%).

Dans le détail, les projets du secteur de l'énergie financés en PPP englobent le segment renouvelable (68%), dont le solaire (46%), l'éolien (37%) et l'hydroélectrique (14%). Les chantiers d'énergie solaire restent, selon la Banque mondiale, majoritairement concentrés en Afrique du Sud avec 35 des 37 projets recensés entre 2012 et 2015. Pretoria totalise ainsi 7,56 milliards de dollars d'investissement en PPP rien que dans le secteur de l'énergie solaire. Bien que la concentration soit moindre pour l'éolien, l'Afrique du Sud capte 23 des 28 projets, pour un total de 4,9 milliards de dollars, soit 80% des 6,1 milliards de dollars consacrés à l'éolien en Afrique subsaharienne.

Les banques panafricaines à la rescousse

Les gouvernements africains ont par ailleurs, longtemps sollicité les grandes banques internationales, notamment européennes pour accompagner leurs efforts d'investissement en infrastructures, et les ont parfois obtenus. Une donne qui a changé : après la crise financière de 2008, les banques françaises, britanniques et allemandes ont cessé d'accorder des prêts pour les infrastructures en Afrique subsaharienne. Ce repli a été comblé petit à petit par les groupes bancaires panafricains qui sont devenus les principaux acteurs en termes de prêts syndiqués et bilatéraux destinés aux infrastructures. Il n'empêche que ces acteurs, tout comme les structures internationales, affichent une aversion au risque et une crainte de la volatilité des cours internationaux des matières premières. La dépréciation des monnaies locales (naira, livre égyptienne, rand...) a pesé négativement sur l'offre de crédits alloués aux infrastructures. Une conjoncture qui a débouché sur une baisse des opérations de financement d'infrastructures dans les principaux pays producteurs de pétrole (Angola et Nigeria), alors que les «petits» pays à revenu intermédiaire bénéficiant d'un environnement économique attrayant (Rwanda, Botswana, Ile Maurice) captent de plus en plus de financement destinés aux chantiers d'infrastructures.

Quid du public ?

Le secteur public n'est pas aux abonnés absents en la matière. Aussi l'investissement public en Afrique subsaharienne peut-il être décomposé en 3 périodes principales. Si l'on rapporte les montants aux Produits Intérieurs Bruts (PIB), les années 1970 ont connu un pic d'engagement avec 7,8% du PIB africain alloués aux infrastructures entre 1977 et 1978. Les années 1980 ont enregistré une baisse de régime en la matière affichant un budget d'infrastructure équivalent à 3% du PIB en 1990. Il faudra attendre les années 2000 pour voir cette part remonter, pour culminer à 5,8% du PIB dédié aux infrastructures en 2014.

Un effort public dont l'importance varie en fonction des ressources de chaque pays. Pour les Etats disposant de réserves pétrolières, l'investissement public en matière d'infrastructures a connu une augmentation depuis le début des années 1990, avec un pic de 6% du PIB entre 2006 et 2008. Un mouvement financier qui ne fera pas long feu et qui sera divisé de moitié en 2015, soit 3,1% du PIB en 2015. Une dégringolade qui s'explique par la baisse des recettes publiques qui dépendent principalement de la bonne tenue des recettes pétrolières.

Du côté des pays disposant de ressources non pétrolières ou ne disposant d'aucune richesse naturelle exploitable à grande échelle, l'investissement public en infrastructure a connu une augmentation constante entre 2006 et 2015, pour atteindre une part moyenne de 2,9% du PIB. Actuellement, le niveau moyen d'investissement public pour les pays les «moins avancés» s'établit à 3,1% du PIB, les pays disposant de revenus «intermédiaires» dédient en moyenne 6,8% de leur PIB aux infrastructures, là où les économies les plus fortes allouent en moyenne 18,2% de leur PIB à l'effort d'investissement en infrastructures.

Bien que la pertinence d'investir massivement dans les infrastructures est aujourd'hui une évidence, la Banque mondiale vient d'alerter sur le peu d'informations sur les «montants dépensés en la matière, le caractère adéquat ou non de ces dépenses voire encore les résultats obtenus». Pour les experts de l'institution de Bretton Woods, faute de réelles bases de données relatives aux dépenses publiques, il sera difficile pour les gouvernements et les bailleurs de fonds de disposer d'une cartographie détaillée des zones et secteurs mal desservis. Des données qui permettraient également de mesurer la portée réelle des actions menées par les politiques ou encore d'isoler les goulets d'étranglement qui compromettent l'efficacité des investissements publics.

Volatiles aides extérieures

A ce manque d'informations, s'ajoute la dégradation des dotations en capital allouées aux administrations publiques lors des 7 dernières années, notamment celles allouées aux réseaux routiers, à l'approvisionnement en eau et à l'assainissement qui sont passées de 2,6% à 1% du PIB. Une baisse de régime qui aggrave la dépendance à l'égard de l'aide étrangère. En effet, les contributions internationales demeurent indispensables pour un certain nombre de sous-secteurs de l'infrastructure et ce, alors que la part de l'aide extérieure a enregistré une légère contraction entre 2009 et 2015 passant de 39% à 36%.

Le sous-secteur de l'électricité représente l'un des plus importants postes à recevoir des allocations financées par l'étranger. Une dynamique qui s'explique par les investissements dédiés aux infrastructures intégrées dans l'initiative Power Africa qui touchent notamment l'Ouganda, l'Angola, le Kenya ou encore le Burkina Faso. Un apport salutaire sur le papier, mais qui risque de détourner les dépenses nationales de ce chantier, le rendant vulnérable à toute baisse soudaine du volume de l'aide internationale comme ce fut le cas en 2015.

Du côté des financements dédiés à l'approvisionnement en eau et à l'assainissement, les budgets sont tout autant vulnérables aux fluctuations de l'aides étrangère et encourent les mêmes risques en termes d'investissements nationaux. Une crainte devenue réalité avec la baisse significative de la part des financements étrangers consacrés à ce sous-secteur depuis 2012 (qui sont passés de 60 à 50%), alors que l'enveloppe publique est passée de 1% à moins de 0,5% en 2015. Cette fragilité des mécanismes de financement a poussé la Banque mondiale à alerter les pays africains sur l'importance d'atténuer leur exposition et par ricochet leur dépendance à l'égard de l'aide étrangère via une réelle mobilisation nationale en faveur de ce secteur.

En plus de la dépendance aux aides étrangères, le financement des infrastructures en Afrique pâtit également des problèmes de sous-exécution. Une tendance qui reste d'actualité au niveau continental, avec un niveau de sous-exécution estimé à plus de 30% en moyenne par an entre 2009 et 2015. Les budgets alloués à la construction de routes restent les plus exposés à la sous-exécution, avec chaque année près de 1% du PIB non dépensés.

Les Etats face à leurs responsabilités

Le secteur privé reste de son côté faiblement impliqué dans les différents chantiers d'infrastructures de la région, sauf en Afrique du Sud. Un manque de participation qui intervient dans une conjoncture où les gouvernements africains souffrent de difficultés pour la mobilisation des ressources intérieures. Preuve en est, les recettes publiques de nombreux pays subsahariens n'atteignent même pas 20% du PIB. Une rareté des ressources qui oblige les gouvernements à comparer les bénéfices attendus des investissements d'infrastructures avec ceux d'autres secteurs demandeurs, tels que l'éducation et la santé.

Parallèlement, le besoin de la région en infrastructures a été estimé par la Banque mondiale à plus de 93 milliards de dollars par an pour la prochaine décennie. Ce montant représente près de 15 % du PIB de la région. A ce jour, moins de la moitié de ce montant est disponible, en témoigne les 45 milliards de dollars d'investissements réels dédiés aux infrastructures chaque année, dont plus de la moitié est supportée par le secteur public. Il reste encore un déficit financier de 48 milliards de dollars par an à combler. Il n'empêche que les simulations suggèrent que près d'un tiers du déficit d'infrastructure pourrait être comblé via une optimisation opérationnelle, de manière à faire passer l'écart à 31 milliards de dollars (soit 5 % du PIB de la région). Les partenariats publics-privés pourraient potentiellement couvrir 40 % de cet écart optimisé, pour un montant de 12 milliards de dollars par an, soit environ 2 % du PIB.

Amine Ater

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