Infrastructures : l'enjeu de la rentabilité

Le financement des projets d'infrastructure en Afrique soulève désormais la question sur leur rentabilité. Et entre les dires et la réalité, il peut parfois y avoir un écart. Aujourd'hui, les gouvernements, les institutions et surtout les investisseurs commencent à prendre la mesure de cet enjeu, devenu le nerf de la guerre dans les projets d'infrastructure.
Ristel Tchounand
En 2015, l’Afrique du Sud disposait d'une ligne de budget de 95 milliards de dollars pour construire et réhabiliter les infrastructures de transports dans le pays.

«La rentabilité du secteur des infrastructures en Afrique a été démontrée par plusieurs études». Ce sont là les mots du président du Sénégal Macky Sall qui intervenait à une table ronde, organisée en mai 2016 à Kigali dans le cadre du 26e Forum économique mondial sur l'Afrique et qui portait sur le financement des infrastructures dans le continent. Le locataire du Palais de la République a ensuite invité le secteur privé à participer massivement au financement des projets d'infrastructures, dont le retour sur investissement serait indéniablement garanti.

Les heures d'après, cette déclaration faisait la Une d'un grand nombre de médias ouest-africains, tellement la question de la rentabilité des investissements dans les infrastructures en Afrique fait de plus en plus débat. A peu de chose près, le chef de l'Etat sénégalais n'a pas tort. L'investissement dans les infrastructures revêt généralement une importante capacité d'incidence positive, tant sur les finances que sur le développement économique des Etats. Mais est-ce toujours le cas?

L'exemple ghanéen

La nécessité de l'investissement dans les infrastructures est une certitude. Plusieurs études et spécialistes s'accordent d'ailleurs pour dire que l'un des freins majeurs au développement en Afrique provient du manque d'infrastructures. Comme pour corriger le tir et rattraper le retard accusé, la majorité des gouvernements africains ont multiplié ces dernières années les programmes nationaux de développement dans ce secteur. Mais dans cette course effrénée, quels sont ceux qui arrivent réellement à tirer parti de leurs investissements dans les infrastructures ?

Publié en novembre 2016 par le cabinet et le Centre for Economics and Business Research, le «Global Built Asset Performance Index» en donne une infime partie de la réponse. Cet indice qui vise à quantifier la valeur combinée qu'apportent les actifs construits au PIB des pays est déterminé sur la base des revenus créés par les bâtiments, les infrastructures et les autres actifs immobilisés (logements, aéroports, écoles, routes, centrales électriques, centres commerciaux, ports, réseaux ferrés, ...). La dernière édition de l'indice a retenu 36 pays représentant 78 % du PIB mondial, dont deux en Afrique : l'Afrique du Sud et le Ghana.

Si l'Afrique du Sud, 28e dans ce classement, n'a connu qu'une hausse de rentabilité de 1 % sur deux ans, passant de 184 milliards de dollars de revenus en 2014 à 185 milliards en 2016, le Ghana quant à lui s'illustre dans le Top 5 des pays, dont le retour sur investissement dans les infrastructures a le plus progressé en deux ans. Celui-ci est en effet passé de 11 milliards de dollars en 2014 à 13 milliards en 2016, soit une hausse de 18 %. Ainsi sur les 36 pays sélectionnés dans l'indice, le Ghana, bien qu'étant le pays à la plus faible rentabilité, est le deuxième en termes de progression de cette même rentabilité en vingt-quatre mois. Le Ghana arrive derrière l'Arabie Saoudite (+46 %) et devant l'Inde (+16  %), le Chili (+17 %) et les Emirats arabes unis (+16 %).

D'ailleurs la conclusion des auteurs au sujet de ce pays ouest-africain le dit bien : «Le Ghana, en tant que nation la plus pauvre en termes d'actifs construits à l'heure actuelle [sur les 36 étudiés], se porte bien». Ils prévoient même qu'au pays de Nana Akufo-Addo, le retour sur investissement dans les infrastructures connaisse une hausse de 86 % au cours de la prochaine décennie.

Maillons forts, maillons faibles

Pour les autres pays du continent, il est difficile d'avancer des chiffres précis. Mais à en croire l'étude intitulée «Infrastructures africaines : une transformation impérative» et menée par la Banque mondiale et l'Agence française de développement (AFD) en 2010, «les infrastructures ont contribué à plus de la moitié des performances de l'Afrique au niveau de la croissance». «Entre 1990 et 2005, les infrastructures sur le continent ont apporté 99 points de base à la croissance économique par habitant, contre 68 points pour les autres politiques structurelles», détaille l'étude qui précise qu'une partie dominante de ce bon cru provient des infrastructures de télécommunications, dont le taux de pénétration a progressé de manière importante sur cette même période.

Et justement, parler de rentabilité des infrastructures met sur la table la question de la rentabilité, selon les types d'infrastructures. De manière générale en Afrique, les investissements sont réalisés dans le ferroviaire, le routier (construction, réhabilitation et/ou maintenance), l'assainissement en eau, l'irrigation, dans l'énergie, l'agriculture ou encore dans les télécommunications, comme c'est de plus en plus le cas ces dernières années avec l'évolution des technologies de l'information et de la communication (TIC). Mais selon l'étude de la Banque mondiale et l'AFD, la maintenance des routes s'est avérée être l'investissement le plus rentable, avec un taux de rentabilité de 138,8 % entre 2001 et 2006.

Face à un tel constant, les auteurs du rapport estiment que les Etats devraient mettre un accent sur la maintenance des biens publics, «essentielle pour tirer profit des avantages économiques des investissements et éviter des réhabilitations coûteuses».

Depuis toujours en revanche, spécialistes et experts s'accordent à déplorer la faible viabilité des infrastructures ferroviaires, ou qu'en tirer parti nécessite beaucoup de temps et de stratégies. «Ces projets coûtent très cher à construire et à exploiter, sans parler de la maintenance. L'une des raisons pour lesquelles ils ne sont pas viables, c'est la faible capacité financière des pays. La plupart de ces projets sont financés par des emprunts. L'Afrique n'arrive pas à attirer suffisamment d'investissements privés, notamment à cause de son mauvais climat des affaires. Enfin, il n'y a pas de niche fiscale pour les activités d'exploitation et de maintenance», déclarait à RFI en octobre dernier, le directeur des infrastructures de la Banque islamique de développement (BID). Ceci expliquerait les raisons pour lesquelles le groupe -en tant que structure privée- investit peu dans les projets infra-structuraux sur le continent et qui ne représentent que 10 % de l'ensemble de ses engagements dans la région. Une thèse confirmée du côté d'Abidjan : il y a un peu plus d'un an, alors que la Côte d'Ivoire poursuit sa course vers l'émergence 2025, avec notamment son programme de développement des infrastructures ferroviaires, Gaoussou Touré, alors ministre des Transports, assurait à nos confrères de Jeune Afrique qu'il n'y avait pas lieu de trop vite jubiler de cette dynamique. «Aucun train n'est rentable en Afrique  s'il ne transporte pas d'abord des marchandises», avertissait-il.

Prise de conscience ?

Actuellement, les Etats essaient peu à peu de réorienter leurs objectifs d'investissement dans le rail. Et même si les projets ferroviaires se multiplient, ceux-ci sont de plus en plus orientés vers le développement des industries et du commerce régional. C'est le cas en Afrique de l'Est avec l'inauguration en octobre dernier d'une ligne ferroviaire entre Addis-Abeba (Ethiopie) et le port de Djibouti qui vise notamment à booster les activités de fret. Dans la même sous-région, le Kenya, l'Ouganda, le Rwanda et le Sud-Soudan prépare une ligne ferroviaire commune qui, à priori opérationnelle d'ici juin 2017, devrait doper les capacités de transport des marchandises.

Il y a donc un sursaut des gouvernements quant à la rentabilité de leurs investissements dans les projets infra-structuraux. Un sursaut auquel a contribué la réticence des investisseurs privés à miser sur ce type de projets, généralement portés par les institutions publiques. Ce qui explique notamment l'appel du pied du président sénégalais MackyS all au Forum économique mondial sur l'Afrique l'année dernière. Rassurer les potentiels investisseurs privés, c'était également l'un des objectifs de la communication début février de la Caisse des Dépôts et de l'AFD. Les deux organismes ont annoncé le lancement d'un véhicule commun d'investissement, doté de 600 millions d'euros pour investir dans des projets d'infrastructures (urbanisation, transport, logement, transition énergétique, accès à l'eau et assainissement, numérique et adaptation au changement climatique) dans les pays du Sud, avec une priorité pour l'Afrique subsaharienne. Considérant cette mise comme une «réponse opérationnelle» aux besoins cruciaux de ces pays, les deux institutions estiment que leur «signature apporte aux acteurs économiques l'assurance d'un couple rentabilité/risque intéressant et les incite à investir dans des projets responsables et durables».

Aller plus loin

De plus en plus d'organisations se positionnent pour accompagner le développement de l'Afrique au moyen de l'investissement dans les infrastructures. Ils aident en quelque sorte les gouvernements en motivant et en rassurant l'investissement privé. En Afrique, c'est le cas d'Africa 50, le bras financier dédié de la Banque africaine de développement (BAD). Mis en place en 2012, ce fonds -dont l'objectif principal est d'accroître le nombre de projets d'infrastructures rentables en Afrique- ambitionne de mobiliser 10 milliards de dollars sur le long terme pour favoriser des partenariats public-privés. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique quelques jours après sa prise de fonction en août dernier, Alain Ebobissé, le directeur général d'Africa 50, déclarait que les actionnaires de son institution sont conscients qu'ils ne peuvent financer «que des projets permettant un retour acceptable». Il s'agit là d'une sorte de capital-investissement que certains financiers préconisent comme moyen alternatif aux financements traditionnels, auxquels ont recours les gouvernements pour leur capacité à booster l'investissement privé et leur potentielle forte rentabilité. C'est le cas notamment de Sewa Wilson, ancien banquier et auteur de «Capital-Investissement, levier de croissance pour un continent émergent».

Dans cet essai sorti le 8 mai dernier, ce spécialiste de la finance explique comment le capital-investissement pourrait aider les gouvernements à séduire un plus grand nombre d'investisseurs privés pour le financement de projets d'infrastructures à travers le continent : «Le capital-investissement peut permettre à nos Etats de financer la dette, mais aussi tout ce qui est infrastructures... On part sur des périodes vraiment limitées, en général, quatre ans, cinq ans, au grand maximum dix ans. Les capitaux injectés par les investisseurs sont là pour appuyer un projet concret dont on pourra déterminer la rentabilité au bout de cinq ans, sept ans», explique-t-il dans un entretien avec La Tribune Afrique. Désormais, c'est aux gouvernements et aux investisseurs privés de faire jouer leurs cartes.

Ristel Tchounand

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