Infrastructures : zoom sur ces entreprises qui se partagent le marché africain

Traditionnellement adjugés aux entreprises américaines et européennes, les appels d'offres pour les projets d'infrastructure sur le continent sont, depuis une décennie, dominés par les Chinois et les opérateurs nationaux. Mais la partie est loin d'être gagnée, puisque dans la plupart des régions du monde, l'activité BTP perd en rentabilité. Conséquence : la concurrence s’annonce de plus en plus acharnée dans une Afrique où tout reste à construire. Revue d'effectif des principaux protagonistes et de leurs plus grands projets.
Mehdi Lahdidi
Construction de la section de chemin de fer Mombasa-Nairobi, à Emali au Kenya. La China Road and Bridge Corporation (CRBC), en charge des travaux pour un coût estimé à 3,8 milliards de dollars, devrait livrer le chantier à la mi-2017.

En quête d'opportunités pour accroître leur rentabilité, les entreprises spécialisées dans le développement des infrastructures convergent de plus en plus vers l'Afrique. Au cours des dernières années, la demande en infrastructures dans les pays en développement a dépassé celle des pays développés. Pour preuve, entre les années 2008 et 2016, les revenus des principales sociétés internationales de construction ont diminué en Europe et aux États-Unis, tout en augmentant de 14 % en Afrique, selon les chiffres de la Commission américaine de commerce international. Le même constat a été observé chez les grandes entreprises internationales d'architecture et d'ingénierie dont les revenus ont connu des hausses timides aux États-Unis, au Moyen-Orient et en Europe, tout en augmentant de 33 % en Afrique.

Par contre, une redistribution des rôles, ou plutôt des parts de marché s'est opérée dans le secteur : en 2012, les entreprises américaines et européennes d'architecture et de l'ingénierie détenaient respectivement 27 % et 31 % des parts de marché dans le continent. Aujourd'hui, les projets dans ce secteur sont principalement partagés entre les entreprises chinoises et locales.

En Afrique de l'Ouest, ce sont les entreprises nationales qui accaparent la part de lion dans la réalisation des projets d'infrastructure. Selon le rapport du cabinet d'audit Deloitte, « Africa's changing infrastructure landscape : Africa Construction Trends Report » (Le paysage de l'infrastructure en évolution de l'Afrique: Rapport sur les tendances de construction en Afrique), celles-ci détiennent 26,1 % des projets, suivies des entreprises chinoises qui réalisent 17,4 % des chantiers dans la région. Les opérateurs européens restent bien positionnés sur ce marché : 13 % pour les Français autant que pour les Italiens, alors que les Anglais, en cinquième position, détiennent 4,3% de l'ensemble des projets.

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La configuration en Afrique centrale est légèrement différente, puisque c'est la Chine qui y a construit la moitié de tous les projets. Les opérateurs nationaux privés, eux, gagnent en puissance : en  2017, ils ont construit près de 20,8 % du total des projets, contre seulement 4 % en 2015.

En Afrique de l'Ouest, les projets sont globalement construits par des entrepreneurs privés nationaux, suivis par la Chine, des entreprises d'autres pays africains (la Côte d'Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Maroc, la Tunisie et la Zambie), et par des opérateurs de pays asiatiques, comme l'Inde, le Japon, la Malaisie et Singapour. Concerne l'Afrique du Nord, les entreprises nationales privées sont bien représentées. Elles sont en effet derrière la réalisation de 28,6 % des projets, suivies des entreprises européennes, particulièrement italiennes (16,7 %) et françaises (9,5 %). Les entreprises asiatiques sont de plus en plus importantes dans la région, la Chine et la Corée du Sud ayant participé à la construction de trois projets chacun (7,1 %).

En Afrique australe, les entreprises locales détiennent 28,2 % des projets. Elles sont suivies des entreprises chinoises (17,6 %), puis d'entreprises de diverses nationalités avec un taux de 34,1%. Parallèlement, les opérateurs portugais gagnent en importance, en particulier au Mozambique et en Angola, mais aussi au Malawi et en Zambie, avec 9,4 % du total des projets dans la région.

Le réseau ferroviaire aux mains des Chinois

Les entreprises chinoises, généralement étatiques, enregistrent de plus en plus une baisse de régime en Chine. Pour rattraper ce gap, elles sont tellement présentes aujourd'hui sur le continent africain, qu'elles dépassent de loin les entreprises européennes et américaines. Selon la «China Africa Research Initiative» (Initiative de recherche sur la Chine en Afrique) de la prestigieuse université américaine Johns Hopkins, cette performance se chiffre à quelque 50 milliards de dollars par an, tous projets confondus (autoroutes aéroports, plateformes portuaires,...). Un grand nombre de projets, réalisés par des opérateurs publics chinois comme China Railway Group ou Engineering Construction Compagny,  s'inscrit désormais dans le cadre de la «nouvelle route de la soie», une stratégie qui se concentre sur la connectivité et la coopération entre la République populaire de Chine et le reste de l'Eurasie, avec une composante africaine. Parmi lesdits projets, on retrouve le réseau de voies ferrées reliant les pays de la Corne d'Afrique et qui sera réalisera par China Railway Group, un géant qui occupe la 57e place dans le classement américain «Fortune Global 500 Enterprises» et la 7e parmi les 500 premières entreprises chinoises.

L'italien ENI investira 20 milliards d'euros sur le court terme

Les entreprises italiennes sont des habituées du marché des infrastructures en Afrique. Selon le rapport du cabinet  Deloitte, elles arrivent troisièmes, après les opérateurs locaux et les Chinois, en termes de nombre de projets réalisés avec des budgets dépassant les 50 millions de dollars. Majoritairement privées, les entreprises italiennes touchent pratiquement à tout. Durant l'année en cours, Seas Sarlu, un opérateur privé spécialisé dans les travaux de bâtiments de génie civil, et ITALFERE, une société de droit privé appartenant au groupe public italien Ferrovie dello Stato, ont réussi à décrocher un important contrat avec le gouvernement camerounais : le projet de construction de la route reliant Olounou, Oveng et la frontière du Gabon (y compris le pont sur le fleuve Kom), pour une longueur d'environ 100 kilomètres.

Cela dit, le plus grand opérateur italien d'Afrique reste incontestablement le groupe ENI. Présent dans une quinzaine de pays, le géant énergétique a annoncé en 2016 vouloir investir quelque 20 milliards d'euros sur le continent au cours des quatre années à venir.

Ces ressources devraient être principalement dédiées au développement des immenses gisements de pétrole, mais surtout de gaz mis à jour par ENI sur le continent au cours des dernières années, en Angola, au Ghana, au Gabon, au Congo-Brazzaville, au Mozambique et plus récemment en Égypte, où le groupe a fait, en août, une découverte gazière majeure dans le champ offshore Zohr, qui renfermerait l'équivalent de 5,5 milliards de barils de pétrole.

Le français Bolloré Africa Logistics domine le portuaire

Si la France perd de son influence en Afrique, celle de ses grands groupes spécialisés dans les infrastructures reste intacte et dépasse son «territoire naturel», à savoir l'Afrique de l'Ouest et le Maghreb. En Egypte par exemple, Vinci Construction Grands Projets et Bouygues Travaux Publics, filiale de Bouygues Construction, ont été commodités pour la construction des trois lignes de métro du Caire.

Le groupe Bolloré Africa Logistics, conglomérat tentaculaire du milliardaire français Vincent Bolloré, est quant à lui présent dans une quarantaine de pays du continent. Il contrôle, seul ou avec ces partenaires, 14 ports 23 ports secs en Afrique. Il est également présent dans le ferroviaire, à l'exemple du projet de réhabilitation de la ligne reliant Abidjan et Ouagadougou, un projet d'environ 1 300 kilomètres de rail pour une valeur de 2,5 millions d'euros.

Les entreprises françaises sont tout aussi dynamiques dans le secteur des énergies, puisque Total, EDF et Engie construisent des projets de production ou d'exploitation ou/et de raffinages dans plusieurs pays du continent.

L'indien Larsen & Toubro se redirige vers l'Afrique

Nombreux sont les groupes indiens qui se sont invités sur le marché africain ces dix dernières années. Larsen & Toubro, une des plus grandes entreprises d'ingénierie et de construction en Inde fait partie de ce lot. L'entreprise, qui a remporté une série de projets ferroviaires et routiers en Algérie et au Kenya au cours des dernières années, est confrontée à un ralentissement des commandes au Moyen-Orient. Les grandes lignes de sa stratégie pour l'année en cours se résument au renforcement de son activité  en Afrique et  en Asie centrale. Deux régions qui driveraient générer 10 % de son chiffre d'affaires.

Le turc Yapi Merkez accapare les projets de tramways

Encore inconnues il y a dix ans, les entreprises turques, comme Yapi Merkez, sont devenues des prestataires de renom en Afrique, notamment dans les pays du Maghreb. Après avoir participé à des projets routiers, Yapi Merkez, champion en infrastructures, est en train de réaliser des circuits de tramway à Casablanca et à Rabat au Maroc, et à Sétif en Algérie. Il prend également en charge la construction de la première ligne de 13 km du tramway de Sidi Bel Abbès, en Algérie, pour 430 millions d'euros. Après avoir marqué sa présence en Afrique du Nord, le groupe répond depuis quelques années à des appels d'offres dans plusieurs autres régions du continent. C'est ainsi que la Tanzanie l'a choisi, avec l'entreprise portugaise Mota-Engil SGPS SA, pour construire un chemin de fer d'un montant de plus d'un milliard d'euros (1,1 milliard de dollars). Une infrastructure qui reliera le pays au Burundi et au Rwanda. L'entreprise, bien que de droit privé, profite de l'influence du gouvernement de Tayyip Recep Erdogan pour remporter ou garantir le financement de projets dans certains pays africains. C'est le cas dudit projet en Tanzanie, pour lequel le groupe a demandé l'intervention de l'Etat. Celui-ci répondra présent et le président Erdogan effectuera lui-même une visite de deux jours dans le pays...

Le portugais Mota-Engil réalise 34 % de son CA en Afrique

Les entreprises portugaises ne sont pas étrangères aux grands travaux en Afrique. L'une des expériences les plus concluantes est sans doute celle de Mota-Engil. L'entreprise est particulièrement active en Afrique australe, ce qui la met en concurrence directe avec des challengers sud-africains aussi puissants qu'influents dans la région, notamment au Malawi, au Mozambique et en Angola. Mota-Engil est chargé entre autres de La réalisation de l'aéroport international de Bugesera, la réhabilitation de la baie de Luanda, la construction de l'aéroport de Luanda et du terminal aérien de Cabinda. En 2015, le groupe a enregistré un chiffre d'affaires de 2,43 milliards d'euros, dont 34 % en Afrique. L'entreprise est allée jusqu'à introduire sa filiale sud-africaine à la Bourse Euronext, en 2013.

Mehdi Lahdidi

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