Le gestionnaire et le sociologue ou travailler en Afrique

Comment les sociétés fonctionnent-elles et se transforment-elles ? Comment les acteurs construisent-ils et coordonnent-ils leurs activités ? Comment coopèrent-ils ? Quels rapports les individus et la société entretiennent-ils ? Et tout particulièrement dans les contextes africains ? La sociologie des organisations fournit une porte d'entrée...
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Que l'on soit à Dakar, Abidjan, Addis-Abeba, Lagos ou Paris, la compréhension des contextes est indispensable aux dirigeants. Cette compréhension passe par un intérêt réel pour les pratiques locales, une écoute attentive des acteurs et un esprit sociologique. C'est s'interroger sur les fondements de l'action organisée. Comment les sociétés fonctionnent-elles et se transforment-elles ? Comment les acteurs construisent-ils et coordonnent-ils leurs activités ? Comment coopèrent-ils ? Quels rapports les individus et la société entretiennent-ils ? Et tout particulièrement dans les contextes africains ? La sociologie des organisations fournit une porte d'entrée. En s'appuyant sur des travaux empiriques rigoureux, elle offre des clés de compréhension utiles à l'action et à la prise de décision. Une telle approche nous semble essentielle pour qui veut travailler en Afrique.

Les pratiques de management sont profondément contextuelles

Quatre exemples illustrent ce point. Premier exemple : l'analyse du pouvoir dans les organisations. Le pouvoir en Afrique relève de modèles qui souvent échappent aux approches occidentales. En Afrique subsaharienne, le pouvoir fait référence à la capacité des individus à mobiliser des ressources et des attributs dans un univers invisible, accessible aux seuls initiés. Le pouvoir est ancré dans des pratiques sociales traditionnelles où culture orale et palabres, magie et paranormal peuvent être importants. Autant de dimensions du leadership à ne pas négliger.

Un deuxième exemple concerne la place du religieux dans les entreprises. Concilier le fait religieux et le fonctionnement de l'entreprise est une question que l'on retrouve en Europe et en Afrique. Toutefois en Afrique, les dimensions ethniques, politiques, économiques et religieuses sont souvent très étroitement imbriquées. Le fait religieux irrigue non seulement la vie sociale mais aussi la vie professionnelle. Ses manifestations sont visibles au quotidien, ne serait-ce que dans le « Que Dieu bénisse notre entreprise ! » des dirigeants. De même l'employé est perçu à travers son métier mais aussi son ethnie et sa religion. Autant de données à bien connaître pour la gestion des ressources humaines. Pratiques d'entraides informelles pour les recrutements, tontines pour les financements font partie du quotidien.

Un troisième exemple s'intéresse à l'emploi des jeunes diplômés en Afrique. Travailler sur cette question interroge nos catégories traditionnelles. D'une part la place de l'informel dans l'économie africaine rend l'approche par les statistiques peu fiable. D'autre part, la catégorie « jeune » s'étend, dans les faits, jusqu'à l'âge de 35 ans, voire plus. Ainsi en Côte d'Ivoire, un « jeune » c'est une personne qui, pour des raisons diverses (scolarisation, assistance familiale, prise en charge alimentaire, etc.), demeure sous la tutelle de ses parents. L'âge, plus qu'un marqueur biologique est un marqueur social. Pour qui souhaite développer des politiques et dispositifs d'insertion professionnelle des jeunes diplômés en Afrique, ce constat sociologique s'avère incontournable.

Un dernier exemple illustre de l'importance du regard sociologique et ethnologique pour le management, celui lié à l'importance de la communauté aussi bien dans la vie personnelle que professionnelle. La notion d'Ubuntu, mise en lumière par Desmond Tutu, puis largement reprise par Mandela dans ses discours, en témoigne. Ce mot, issu des langues bantoues du Sud de l'Afrique, met en exergue l'idée d'interdépendance entre les individus. L'individu n'existe que parce que les autres existent : « Je suis parce que tu es ». L'Ubuntu apparaît ainsi comme une composante singulière pour la gestion du changement et la recherche de mécanismes conciliateurs. Le management se situe au carrefour de ces dynamiques collectives.

Eviter le prêt à penser managérial

Pour les gestionnaires, être connectés au terrain, décider, gérer et comprendre, c'est en particulier garder en tête que les pratiques de management sont profondément historiques et contextuelles. C'est, au-delà des outils de gestion, emprunter aux sociologues des moyens de compréhension indispensables à l'action managériale. Eviter le prêt-à-penser managérial, la tentation, en particulier, de plaquer des approches occidentales et des solutions toutes faites sur des situations bien différentes des nôtres, est essentiel pour qui travaille en Afrique.

(*) Professeur associé - HEC Paris

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