Le « monde d'après » a besoin d'un engagement renouvelé en faveur de l'intégrité financière

Le manque d'intégrité financière a un impact sur la capacité de chaque pays à mobiliser ses ressources et risque de compromettre la réalisation des Objectifs du développement durable à l'horizon 2030. Il pénalise d'abord les plus pauvres et les plus fragiles.
(Crédits : LTA)

La corruption, l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent représentent des fléaux à l'échelle mondiale. La lutte contre les circuits opaques contribuant au financement du terrorisme s'est imposée comme une priorité pour la communauté internationale après les attentats du 11 septembre. Dès octobre 2001, le Groupe d'action financière internationale (GAFI) est devenu un acteur central de cette mobilisation. La surveillance des flux financiers susceptibles d'alimenter les mouvances terroristes s'est encore renforcée après l'avènement du prétendu « Etat islamique » de Daech, en juin 2014.

Mais ce prisme étroitement sécuritaire assigné à la lutte contre les mouvements financiers illicites néglige un aspect pourtant essentiel du phénomène qui nous préoccupe : l'impact de la corruption « ordinaire » et de l'évasion fiscale sur les politiques de développement et de santé. Il est considérable. Des experts ont calculé que 5% du produit intérieur brut mondial était perdu à cause de la corruption. Quant à l'évasion fiscale, et son corollaire, « l'optimisation fiscale », son coût se chiffre à près de 100 milliards de dollars annuels en perte de recettes pour les pays pauvres, selon les estimations de l'ONG Oxfam.

Ces sommes, si elles étaient recouvrées, permettraient par exemple de scolariser près de 124 millions d'enfants dans le monde. Rien que pour le continent africain, le Groupe de travail de haut niveau de l'Union africaine sur les flux financiers illicites en provenance d'Afrique, présidé par ThaboMbeki, concluait en 2015 que plus de 50 milliards de dollars étaient perdus à cause des malversations. Un montant équivalent aux flux de l'aide publique au développement !

Notre système international présente des failles qui permettent à des centaines de milliards de dollars de fonds publics d'être détournés, presque en toute impunité. La culture de la corruption reste malheureusement profondément enracinée partout. Il suffit, pour s'en convaincre, de se remémorer quelques-uns des scandales les plus retentissants de ces dernières années : la révélation des « Panama Papers », suivie par celle des « Paradise Papers », qui ont mis en évidence de façon irréfutable le rôle toxique des paradis fiscaux ; le scandale de corruption qui a ébranlé la Fédération internationale de Football (FIFA) et abouti au départ de ses dirigeants, ou encore le scandale du Fonds souverain malaisien 1MDB, qui a occasionné au moins 4 milliards de dollars de détournements...

Les pays en développement sont parmi les plus exposés au risque de malversations financières. Ils ont des capacités plus faibles. Leurs systèmes fiscaux manquent à la fois de personnel qualifié, de matériel et de logiciels adaptés pour faire respecter leurs propres lois législations, et pour mettre en œuvre les normes internationales.

Le président de l'Assemblée générale des Nations Unies et le président du Conseil économique et social des Nations Unies nous ont fait l'honneur de nous nommer, conjointement, à la présidence d'un Groupe de travail de haut niveau sur la responsabilité, la transparence et l'intégrité financière internationale, le FACTI PANEL. Le manque d'intégrité financière a un impact sur la capacité de chaque pays à mobiliser ses ressources et risque de compromettre la réalisation des Objectifs du développement durable à l'horizon 2030. Il pénalise d'abord les plus pauvres et les plus fragiles.

La crise du Covid-19 s'est propagée à l'ensemble de la planète, menaçant à la fois des millions de vies et l'économie mondiale. Dans l'urgence, gouvernements, institutions multilatérales et opérateurs économiques se sont mobilisés pour réagir. Cette urgence ne doit pas se faire au détriment des principes d'intégrité financière, mais doit au contraire entraîner leur renforcement. Tout doit être mis en œuvre pour empêcher que l'aide indispensable ne soit en partie détournée.

Nous vivons une crise d'une ampleur inédite.Le manque de ressources internes pour assurer un accès universel aux soins et des filets de protection sociale basiques à ceux qui ont perdu leurs moyens de subsistance à cause de cette pandémie rendent encore plus condamnable la perpétuation des pratiques de corruption, d'évasion fiscale et les profits illicites. Les Etats, surtout les plus fragiles, ont besoin d'assiettes fiscales stables pour leur permettre de financer leurs dépenses sanitaires et sociales.

L'ensemble de la communauté internationale se mobilise. Nous devons agir collectivement, car en matière de fraude fiscale et de corruption, les flux illicites se jouent des frontières. En agissant à l'échelle mondiale et en renforçant la coopération internationale, nous pouvons trouver les moyens de mettre en place des systèmes financiers plus solides et imperméables à ceux qui sont tentés d'exploiter les lacunes ou les failles des règles existantes.

Plus que jamais, le Panel que nous présidons est déterminé à poursuivre ses travaux. Nous sommes déterminés à contribuer à la création de systèmes financiers mondiaux et nationaux qui soient intègres, justes et équitables. La pandémie offre un argument de poids pour améliorer la bonne gouvernance et l'Etat de droit. Elle doit nous inciter à renforcer notre détermination collective à lutter contre les abus financiers dans un contexte où les marges de manœuvre budgétaires sont réduites. Cette crise peut constituer un tournant majeur.

(*) Ibrahim Mayaki, Secrétaire Exécutif du NEPAD, est ancien Premier ministre du Niger  et co-président du FACTI-PANEL.

(**) Dalia Grybauskaitė, ancienne présidente de la République de Lituanie, est co-présidente  du FACTI-PANEL.

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