Le sulfureux discours de Kaïs Saïed pourrait coûter cher à la Tunisie

Entre une économie exsangue et une opposition muselée, la Tunisie traverse une période contrariée de son Histoire, que la récente vague de violences contre des Subsahariens, n'a pas arrangée. Bien que la tension soit retombée, ce scandale pourrait avoir de coûteuses conséquences sur son économie, tout en écornant son image de marque sur le continent.
(Crédits : Reuters)

Lors d'une rencontre organisée au centre de promotion des exportations de la Tunisie (CEPEX), le 17 février dernier, le conseiller au développement économique, Chakib Ben Mustapha, affichait l'ambition de renforcer les exportations nationales vers l'Afrique, pour atteindre jusqu'à 7 % des exportations en 2027 et 20 % à moyen terme. Quatre jours plus tard, les ambitions tunisiennes en Afrique noire se crispaient, suite à la déclaration de Kaïs Saïed qui entendait prendre des « mesures urgentes » contre l'immigration clandestine des Subsahariens. Subitement devenus sources de « violence, de crimes et d'actes inacceptables » et porteurs d'un projet visant à « changer la composition démographique de la Tunisie », les Subsahariens de Tunisie, ont été arrêtés par dizaines et frappés d'une amende de 25 euros par jour de clandestinité. Certains ont été renvoyés de leurs entreprises, d'autres de leur logement. Des vidéos d'étudiants subsahariens frappés par des « milices » ont enflammé les réseaux sociaux, avant de se calmer quelques jours plus tard.

Les propos du président Saïed ont provoqué l'indignation de l'Union africaine (UA) qui, dans une déclaration datée du 25 février, a appelé ses États membres à « s'abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes ». Dans la foulée, les autorités guinéennes, maliennes et ivoiriennes organisaient les rapatriements de leurs ressortissants.  « Il n'y a pas eu de réaction officielle des présidents africains, sans doute parce que la ligne rouge n'a pas été franchie et parce que les actes de violence se sont rapidement calmés », explique Samir Bouzidi, un entrepreneur tunisien basé à Dakar et expert en ethnomarketing, à la tête d'Impact Diaspora.

Le 8 mars, Umaro Sissoko Embalo, président de la Guinée Bissau et président en exercice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en visite éclair à Tunis, calmait les esprits en déclarant que les propos du président Saïed avaient été mal interprétés.

Le secteur privé tunisien tire la sonnette d'alarme

Le couscous Diari, la compagnie aérienne Tunisair, les pâtes Randa, les produits hygiéniques Lilas ou le chocolat instantané Chocoline, sont autant de marques tunisiennes qui ont fait l'objet d'appels au boycott sur Internet. Parallèlement, plusieurs événements tuniso-subsahariens ont été reportés. Le 2 mars, un réseau panafricain reportait sine die, sa conférence relative aux flux financiers illicites en Afrique qui devait se tenir en Tunisie mi-mars. Quelques jours plus tard, le Tunisia Africa Business Council (TABC) annulait ses missions d'affaires prévues au Cameroun et au Rwanda en mars, estimant que la situation actuelle ne s'y prêtait pas.

« Blocage des marchandises tunisiennes dans certains ports Africains, annulation de commandes et même de marchés, campagne de boycott des produits tunisiens dans certains pays africains, réorientation des malades vers d'autres destinations, retour de dizaines d'étudiants dans leurs pays pourtant en situation régulière, annulation de voyage de plusieurs hommes d'affaires subsahariens, annulation de missions, salons, forums... Grande inquiétude des milliers de Tunisiens qui travaillent partout en Afrique ! Voilà les constats recueillis auprès des opérateurs économiques par notre cellule de crise durant le weekend », avertissait Anis Jaziri, le président du Tunisia Africa Business Council (TABC), sur sa page Facebook le 5 mars dernier.

Au pays de Senghor, pour échapper au boycott du label tunisien Jadida, la société qui commercialise une brique de beurre très prisée par les Sénégalais, s'est récemment fendu d'un communiqué on ne peut plus clair sur l'origine du produit. « Suite aux informations qui circulent, la SENICO informe son aimable clientèle que JADIDA est un produit 100 % sénégalais. Nos équipes produisent localement tous les différents produits de la gamme JADIDA dans notre usine, sis à Diamniadio » (un message également traduit en Wolof).

Le 6 mars, la Banque mondiale (BM) suspendait son partenariat avec la Tunisie en précisant que « la sécurité et l'inclusion des migrants et minorités font partie des valeurs centrales d'inclusion, de respect et d'antiracisme sous toutes ses formes » de la banque. « C'est un très mauvais signe envoyé aux partenaires internationaux, comme le FMI par exemple », regrette Samir Bouzidi qui redoute l'effet « boule de neige » au Sahara.

Quel sera le prix à payer pour le discours du président Saïed ?

« Contrairement au Maroc, la Tunisie échange peu avec l'Afrique qui représente environ 3 % de ses exportations et 1,5 % de ses importations. Le secteur de la santé et les universités privées très prisés par les Subsahariens, pourraient néanmoins être impactés par cet épisode », estime Samy Ghorbal, journaliste et expert de la Tunisie. « À plus long terme, elle risque de contrarier le déploiement des entreprises tunisiennes sur les marchés francophones d'Afrique de l'Ouest, et d'Afrique centrale. Or ces marchés pouvaient être des relais de croissance, et des opportunités de diversification, pour les services et pour l'industrie tunisienne », regrette-t-il.

Depuis plusieurs années, le secteur privé tunisien multiplie les initiatives au sud du Sahara, à l'instar de la compagnie Tunisair qui a investi plusieurs millions de dollars pour développer des lignes directes vers les principales capitales africaines, tandis que les formalités d'entrée étaient facilitées pour une majorité de Subsahariens. La Tunisie se positionne aussi comme l'un des nouveaux providers de compétences technologiques en Afrique subsaharienne.

« Nous étions sur la construction d'une marque, car les Subsahariens ne connaissaient pas vraiment notre pays. Pour eux, le nord de l'Afrique : ça reste le Maroc ! Or, maintenant ce type de discours vient ruiner nos efforts en alimentant les propos de partis extrémistes comme le FRAPP au Sénégal (...) Il touche aussi aux diasporas qui ont un poids économique et politique important dans certains pays, comme la Guinée par exemple », ajoute Samir Bouzidi.

Entre inflation, difficultés d'accès au financement et charge d'une administration publique en pleine expansion, la dette publique est passée de 40,7 % du PIB en 2010 à 84,5 % en 2021, d'après la Banque mondiale. Durant les 8 premiers mois de 2022, la hausse des prix des produits de base a entraîné un creusement de 61 % du déficit commercial, qui a atteint 11,6 % du PIB. Pour Samy Ghorbal, les Subsahariens ont servi de « boucs émissaires » dans un contexte de crise protéiforme. « Le pays n'a pas réussi pour l'instant à conclure un accord avec le FMI pour un prêt de 1,9 milliard de dollars. La dette avoisine les 100 % du PIB et la question de son financement se pose. Le budget 2023 table sur 14,8 milliards de dinars (4,4 milliards d'euros, ndlr) de financements extérieurs. Dans les conditions actuelles, on voit mal comment ces sommes pourront être réunies » prévient-il.

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Commentaires 5
à écrit le 17/03/2023 à 19:48
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Le discours du Président Kaies SAID a pris une proportion et interprétation inadéquate par rapport à la réalité. Tout d'abord,il convient de rappeler que le respect de la dignité humaine ,les libertés fondamentales et les droits fondamentaux sont de...

le 20/03/2023 à 8:45
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…….à l’Europe d’assumer ses responsabilités……bien sûr.Demandez à Macron d’organiser un pont aérien avec Paris mais vous prenez chez vous les 10 premiers.Vous ne trouvez pas que la France en particulier est déjà submergée et qu’on n’arrive pas à loger...

à écrit le 17/03/2023 à 18:18
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Donc pour vous ile faut accepter sans bronches tout les clandestins subsahariens aux non de quelques serviettes hygiénique lilla ile faut baissé ne pantalons est les laisser voler violet est détruire la tunisie non mr nous tunisien de France nous n'...

à écrit le 17/03/2023 à 18:10
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Sa ne coûtera rien les gesticulations stérile de certains pseudo partie politique ou les propos sur les subsaharien ne changera rien la tunisie à une position géographique qui lui permet de rebondir en se qui conserne le boycott des produits tunisien...

à écrit le 17/03/2023 à 6:40
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Le président sadique s enfonce et la Tunisie avec

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