Pierre Vimont : «La frontière entre les politiques intérieure et extérieure devient de plus en plus difficile à discerner»

Le diplomate français, Pierre Vimont, est l'auteur du premier rapport annuel des «Leaders pour la Paix», révélé à la presse le 15 mai dernier. L'ancien ambassadeur de France aux États-Unis est revenu sur l'aspect multidimensionnel des crises en soulignant la mince frontière qui sépare l'aide internationale de l'ingérence...
(Crédits : DR)

Think-tank ou Do-tank : comment présenteriez-vous l'initiative de Jean-Pierre Raffarin, les «Leaders pour la paix» ?

Pierre Vimont : C'est une Organisation Non Gouvernementale (ONG) qui constitue à la fois un centre de réflexion et un lieu où peuvent s'élaborer des conseils destinés aux autorités en place. L'association «Leaders pour la paix» recouvre une activité d'influence mais aussi un rôle d'alerte auprès des médias internationaux (...) Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus amenés au mélange des genres et des statuts juridiques qui étaient autrefois très cloisonnés.

Dans quelles circonstances avez-vous rejoint les «Leaders pour la Paix» ?

Jean-Pierre Raffarin m'en avait parlé il y a près d'un an. L'idée était de réunir d'anciens dirigeants qui ont traité d'affaires géopolitiques pour que leurs expériences respectives réunies, puissent servir aujourd'hui.

Nous voulions moins traiter des crises existantes que de celles à venir. Il nous a semblé important de prévenir les conflits et de nourrir une réflexion autour de la capacité des anciens responsables à redéfinir un système multilatéral plus efficace dans la gestion des crises. C'est sur cette base que Jean-Pierre Raffarin m'a demandé si j'acceptais de rédiger un rapport qui servirait de référent aux discussions des responsables.

Quelles sont les principales conclusions du premier rapport ?

Il pose les problématiques à venir. Il interroge à la fois sur la multiplication des crises, sur la difficulté de les prévoir et ensuite de les maîtriser. Je me suis donc penché sur les axes d'amélioration des capacités de gestion de crise. J'ai été missionné pour étudier 3 cas particuliers. Premièrement, la situation à la frontière entre la Libye et la Tunisie, ensuite la criminalité à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique et enfin, une réflexion plus générale sur l'Asie concernant les dérèglements climatiques.

Dans la partie problématique du rapport, je me suis penché sur la dichotomie entre la profusion d'informations reçues et notre capacité à les traiter afin d'éviter l'émergence de nouvelles crises.

Ensuite, l'interrogation a porté sur le règlement des crises: pourquoi est-il si complexe de les maîtriser dès lors qu'elles ont commencé ? J'en suis arrivé à la conclusion que nous avons peut-être encore trop souvent recours à des mécanismes qui les font perdurer plutôt que d'y apporter des solutions rapides...

Enfin, le rapport s'intéresse aux natures des crises actuelles. Les défis auxquels nous sommes confrontés sont de plus en plus sophistiqués. Nous n'avons pas de réponse face à la nature multidimensionnelle des crises telles qu'on les observe aujourd'hui, mêlant les affaires intérieures et extérieures mais aussi les affaires de gouvernance, de corruption ou encore de crime organisé.

Avec ce premier rapport des «Leaders pour la Paix» qui représente une base de réflexion, j'attends des «leaders» qu'ils attrapent «la balle au bond» pour avancer...

Comment réagir face à ces crises protéiformes qui relèvent souvent de la souveraineté nationale ?

Effectivement, à travers les 3 études de cas, j'ai été frappé par le fait que la frontière entre la politique intérieure et la politique extérieure devient de plus en plus difficile à discerner...

S'agissant du crime organisé qui se développe de manière assez préoccupante dans les villes et les campagnes du Mexique, il existe une conjonction de plusieurs facteurs : l'immigration illégale, le trafic de drogues, l'extorsion, la prise d'otages (...) qui gagnent peu à peu tous les centres de pouvoir : du pouvoir judiciaire aux Gouverneurs des grandes provinces mexicaines. Si le système multilatéral veut venir au secours du Mexique, il se trouve face à la frontière entre la politique intérieure mexicaine et la politique étrangère. Aussi nous faut-il désormais trouver de nouvelles manières de travailler ensemble.

Peut-on transposer l'aspect multidimensionnel de la crise mexicaine et le risque d'ingérence sur le cas de la frontière entre la Tunisie et la Libye ?

Précisément, il s'est développé une forme d'économie parallèle et clandestine dans la zone frontalière entre la Tunisie et la Libye, vis-à-vis de laquelle le pouvoir tunisien a besoin de l'aide de la communauté internationale. En effet, tout comme au Mexique, cette zone est exposée à la criminalité, à la corruption et à des flux migratoires importants. La question est également de trouver les moyens de travailler utilement ensemble tout en respectant la souveraineté de l'Etat tunisien.

Développer une nouvelle réflexion, une nouvelle méthode et de nouveaux instruments sont les défis qui s'imposent à nous.

Comment différencier les «Leaders pour la Paix» parmi les ONG spécialisées dans la promotion de la paix et la gestion de crise qui militent parfois depuis plusieurs années ?

La qualité des participants représente une vraie valeur ajoutée pour LPP. Grâce à ses fonctions antérieures, Jean-Pierre Raffarin a été en relation avec de nombreux Premiers ministres ou ministres des Affaires étrangères. Ensuite, «Leaders pour la Paix» recouvre un caractère très international car l'une de nos préoccupations était de s'intéresser à tous les continents. Les problèmes sont divers selon les régions mais en réunissant des expertises différenciées, le brassage d'idées n'en est que plus fécond.

Vous avez accordé une place importante à l'information et à la sensibilisation des opinions publiques à travers les médias : n'est-ce pas anachronique à l'heure du digital ?

Nous sommes dans un monde où les images et l'information circulent énormément. Le problème demeure : comment les traiter ? Comment recentrer le débat politique là où il le faut ? Les images parfois, orientent l'opinion publique dans un sens qui n'est pas forcément celui qu'il faut trouver à la fin...

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