Burkina Faso  : reprise du « procès Diendéré », entre polémiques et appréhensions

C'est dans un contexte tendu que le procès du putsch manqué de septembre 2015, qui avait fait officiellement 14 morts et 250 blessés, a repris après son renvoi sine die le 27 février dernier. A son arrivée, Diendéré s'est dit «confiant» et Bassolé «serein». La défense a de nouveau contesté la légalité d'un procès hors-normes qui devrait durer plusieurs semaines...
Le général Gilbert Diendéré (treillis militaire), le mercredi 21 mars à Ouagadougou, lors de l'ouverture du procès du putsch manqué de septembre 2015. A sa droite, Djibrill Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères et un des principaux accusés dans ce procès.
Le général Gilbert Diendéré (treillis militaire), le mercredi 21 mars à Ouagadougou, lors de l'ouverture du procès du putsch manqué de septembre 2015. A sa droite, Djibrill Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères et un des principaux accusés dans ce procès. (Crédits : LTA)

Le 19 mars dernier, les avocats de la défense ont exigé que le gouvernement burkinabé prenne des mesures de réaménagement «pour un procès équitable», lors d'un point presse à Ouagadougou.  La principale polémique repose sur le décret qui désigne la Chambre de première instance du tribunal militaire compétente, pour juger la tentative de coup d'Etat, alors que «les magistrats [sont] nommés pour occuper des fonctions dans une juridiction qu'ils appellent la Chambre de jugement », laquelle a été supprimée par la loi modificative du tribunal militaire, le 4 juillet 2017.

«Vous avez des personnalités qui ont été nommées dans une juridiction qui n'existe plus pour juger nos clients», avait dénoncé maître Birba, 48 heures avant la reprise du procès.

«Nous ne pouvons pas plaider devant vous», lança dès la reprise du procès, Me Bonkoungou, l'avocat de Bassolé s'adressant au président de la Chambre de jugement, dans une même logique.

Autre anomalie constatée, le Garde des Sceaux, Bessolé René Bagoro, s'est constitué partie civile, ce qui mène les avocats de la défense à douter de l'impartialité du jugement. «C'est un boulevard pour notre condamnation», avait déclaré Me Birba deux jours plus tôt. Enfin, «l'empressement avec lequel le dossier est programmé, alors que juridiquement, il ne devrait pas l'être», continue d'alimenter les soupçons avait-il poursuivi. De son côté, Amnesty International s'est inquiétée que des civils ou des membres des forces de sécurité soient jugés par des tribunaux militaires.

Le procès des «prisonniers stars»

Dès 8 heures du matin de ce 21 mars, les Ouagalais s'étaient réunis pour assister à la reprise attendue du procès. Marchands de sorbets ou encore vendeurs de tee-shirts à l'effigie de Thomas Sankara se sont pressés non loin de la salle des banquets de Ouaga 2000, derrière les barricades. Le quartier a été bouclé et les journalistes ont été priés de laisser téléphones, caméras et tout leur matériel audiovisuel hors de la salle.

Le 27 février, on pouvait apercevoir dans la salle les ministres Simon Compaoré et Harouna Kaboré ; le chef de l'opposition Zéphirin Diabré ; l'ancienne ministre de la Justice, Joséphine Ouédraogo ; le Haut-représentant du chef de l'Etat, Shérif Sy ou encore Pingrenoma Zagré, ambassadeur au Ghana... Le 21 mars, les personnalités se faisaient plus rares. Le procès a néanmoins réuni de «célèbres» accusés, parmi lesquels des militaires chevronnés comme le sergent-chef Kossoubé, tout sourire, dit «le touareg» ; l'adjudant-chef Nébié dit «Rambo» ou le Capitaine Dao, mais aussi des civils à l'instar du journaliste Adama Ouédraogo de l'Observateur Paalga alias Damiss.

Plus de 300 familles se sont constituées partie civile ; 45 témoins seront entendus parallèlement aux 84 accusés, dont 18 civils et 66 militaires, lors du «procès Diendéré», l'ancien chef d'état-major particulier de Compaoré, accusé d'atteinte à la sûreté de l'Etat et de violences, lors de la tentative de coup d'Etat du 16 septembre 2015. S'il prétend avoir pris la tête de l'insurrection pour éviter un bain de sang au Burkina Faso, sa version n'a pas convaincu le juge.

L'appel de Zida -exilé au Canada- a fait sourire les Burkinabè, tandis que celui de Diendéré a nourri les applaudissements. «Je rappelle à l'assistance que c'est une audience, les manifestations d'approbation ou de désapprobation sont interdites», a averti le président de la Cour, Seydou Ouédraogo.

Un tirage au sort polémique

Après les récusations successives des généraux Bayala Yua Brice, Traoré Ali ou encore d'Ibrahim Traoré, la liste des plus hauts gradés de l'armée s'est vite épuisée, la plupart étant cités comme témoins lors du procès... Le seul général retenu comme juge assesseur militaire suscite la consternation de la défense qui dénonce la «non désignation de Guiguemdé par tirage au sort». Le général de division a en effet été désigné le 27 février, alors que Seydou Ouédraogo n'était pas encore confirmé dans ses fonctions, le décret validant sa nomination n'étant pas entré en vigueur.

A ce procès exceptionnel correspond une désignation exceptionnelle des juges, reposant sur un tirage au sort. Les mains innocentes du public ont choisi les noms marqués sur des bouts de papier placés dans une petite corbeille, provoquant l'amusement de la salle et l'indignation de la défense qui conçoit mal l'hypothèse qu'un simple soldat puisse juger un général. «La justice militaire a été violée», s'indigne la défense, car elle ne respecte pas la hiérarchie de l'armée. Un colonel-major est suppléant d'un simple colonel devenu juge titulaire...

Par ailleurs, la défense a précisé que la composition du tribunal présente une autre irrégularité flagrante, car «aucun juge n'a été désigné par un décret de la Cour de première instance».

De leur côté, les avocats des parties civiles considèrent que la compétence de la cour est «un faux débat [...] que ce soit une Chambre d'appel ou de première instance, c'est une Chambre militaire», ont-ils rappelé, en dépit des vices de procédure. Guy Hervé Kam, avocat des parties civiles, a quant à lui souligné qu'il ne s'agissait que «d'une bataille de mots», compte tenu des enjeux que recouvre le procès...

Enfin, les avocats de la défense ont signalé que le président Seydou Ouédraogo avait préalablement rendu une ordonnance dans le cadre de cette même affaire, rendant sa fonction irrégulière.

Le dessous des cartes d'un procès hors-normes

L'importance de ce procès dépasse largement le cadre national. Des complicités planent sur la Côte d'Ivoire, impliquant Guillaume Soro et le Général Bakayoko, suite aux révélations d'enregistrements téléphoniques entre les personnalités ivoiriennes et les deux principaux accusés, Diendéré et Bassolé. Les mandats d'arrêt internationaux ayant été annulés en avril 2016, ni Soro, ni Bakayoko ne seront entendus.

Par ailleurs, Mathieu Somé, avocat de la défense, précisait il y a peu : «Le général avait demandé l'inculpation de certaines personnes. Des militaires, des civils aussi. Il y a le cas de l'évêque Paul Ouédraogo, celui de l'ancien secrétaire général au ministère de la Défense... Bon, il y a un certain nombre, six ou sept, dont l'inculpation a été demandée».

Enfin, la présence remarquée de Sidi Lamine Oumar, membre du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA), a été qualifiée de manipulation visant à élaborer un lien présumé entre Diendéré et les djihadistes maliens, par les avocats du général.

Les auditions commerceront dès ce jeudi 22 mars, pour un procès qui devrait durer plusieurs semaines. Les Burkinabè attendent désormais les déclarations du général Diendéré qui avait réclamé un procès public, ouvert aux médias, pour révéler au grand jour les dessous de ce coup d'Etat avorté...

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