Libye : les dégâts provoqués par le cyclone Daniel se chiffrent à plusieurs milliards de dollars

Dans la nuit du 10 au 11 septembre, la ville de Derna est dévastée par un torrent de boue, suite à l'effondrement consécutif de deux barrages, provoqué par la tempête Daniel. Au-delà du coût humain qui se chiffre à plusieurs milliers de morts, quelles sont les conséquences économiques de cette catastrophe naturelle qui a viré au cauchemar humanitaire ?
(Crédits : ESAM OMRAN AL-FETORI)

Une première guerre en 2011 qui a mis fin à 42 ans de pouvoir sans partage du colonel Kadhafi, suivie d'une seconde guerre entre 2014 et 2020 ont durablement affaibli l'économie d'une Libye divisée, aujourd'hui dirigée par le Gouvernement d'unité nationale (GNA, pour Government of National Accord ou gouvernement d'entente nationale) d'Abdelhamid Dbeibeh et le Haut Conseil d'État basés à Tripoli d'une part, et par le Gouvernement de stabilité nationale (GNS, pour Government of National Stability) basé à Syrte, dirigé par Fathi Bashaga et soutenu par la Chambre des représentants, d'autre part. Dans l'attente de la tenue d'élections générales, reportées sine die fin 2021, la Libye fait encore l'objet de sanctions internationales.

Depuis 2011, l'économie nationale vit au rythme des conflits armés et des crises politiques qui font fluctuer la production nationale de pétrole. Plusieurs projets lancés au début des années 2010 par les partenaires internationaux avaient été abandonnés dès 2011. Mohamed Hwej, le ministre de l'Économie et du commerce libyen indiquait en août 2021 qu'entre 2011 et 2020, le PIB national avait chuté de 90 milliards de dollars par an à 40 milliards de dollars. En 2020, le PIB enregistrait une baisse historique de -31,3 %, selon les institutions de Bretton Woods.

Dans un contexte volatile où le chômage touche plus de 20 % de la population (2022) la redistribution des richesses liées aux hydrocarbures qui représentent 60 % du PIB et 97 % des recettes d'exportation d'après la Banque mondiale, cristallise les tensions. À l'est, les hommes du maréchal Haftar contrôlent les ressources en or noir, mais c'est à l'est, depuis Tripoli, que les recettes pétrolières sont gérées par la Compagnie nationale de pétrole (NOC) et par la Banque centrale.

Depuis début 2023, la Libye surfait sur la conjoncture mondiale d'un marché des matières premières perturbé par la guerre en Ukraine et annonçait de nouveaux projets portés par Sonatrach, BP et ENI. En janvier, le géant italien ENI signait pour un investissement record de 8 milliards de dollars dans le développement des sites gaziers offshore, au nord du pays, afin d'exploiter à terme, jusqu'à 850 millions de mètres cubes de gaz par jour. Enfin, début août, la mise en place d'un mécanisme de répartition des recettes pétrolières était adoptée par les 2 parties, sous les encouragements de l'ONU. Tous les feux étaient au vert, mais au lendemain de la catastrophe naturelle, les premières tensions entre clans opposés se font sentir, menaçant un équilibre fragile.

Un fonds d'urgence libyen de 2 milliards de dollars

Aujourd'hui, ce ne sont ni les combats entre clans rivaux, ni le cours du pétrole, qui inquiètent les Libyens, mais les conséquences des intempéries, qui ont fait entre 3 800 morts selon les autorités libyennes et 11 470 victimes d'après le Croissant rouge libyen, et 43.059 déplacés selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). « Il est trop tôt pour établir un chiffre définitif des victimes », estime Alexandre Chatillon, co-fondateur de Super Novae, une ONG française co-financée par l'Union européenne et présente en Libye depuis 2021. Spécialisée dans la consolidation économique, Super Novæ accompagne notamment d'anciens miliciens dans leur réinsertion professionnelle.

Dans la nuit du 10 au 11 septembre, la tempête entraîna la rupture de 2 barrages construits dans les années 1970. Les eaux se sont répandues dans les localités environnantes. Près de 10 000 personnes ont disparu autour de Derna, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). La ville côtière située à 290 kilomètres de Benghazi a été balayée par des torrents de boue.

Super Novæ a dépêché une équipe sur place, quelques jours après le passage de la tempête, pour répertorier les besoins urgents. « Pendant 3 jours, nous ignorions l'étendue des dégâts. Une seule route était accessible à la ville, après le passage de Daniel. Sur le terrain, le système de gouvernance bicéphale libyen a compliqué la coordination des opérations », explique Alexandre Chatillon.

« La ville a été divisée en trois parties : une première, totalement ravagée et interdite d'accès, une seconde fragilisée où seule la présence des chefs de famille est autorisée, et une troisième, dite « sécurisée » où les habitants peuvent encore s'installer et circuler », explique Mohammed Elalj, rédacteur en chef adjoint du média digital libyen El Kul, peu après la catastrophe.

Le 12 septembre, Hussein Suwaidan, chef du Département des routes et des ponts du Gouvernement d'unité nationale, annonçait que le réseau d'infrastructures routières était détruit et que le pont menant à Derna s'était « complètement effondré à la suite de la tempête », ajoutant que « le coût de sa reconstruction s'élève à 300 millions de dinars libyens (67 millions de dollars, NDLR) ». Quelques jours plus tard, le Gouvernement libyen d'unité nationale révélait qu'environ 5 000 maisons s'étaient effondrées dans la région de Jabal al-Akhdar. Le 14 juin, la Chambre des représentants libyenne approuvait un budget de 10 milliards de dinars libyens (2 milliards de dollars) pour répondre aux premières urgences.

L'ONU appelle à la mobilisation internationale

« La tempête Daniel a fait des milliers de victimes, causant des dégâts considérables et anéantissant les moyens de subsistance dans l'est de la Libye », twittait Martin Griffiths, secrétaire général adjoint de l'ONU aux Affaires humanitaires et coordonnateur des secours d'urgence sur le réseau X, annonçant mardi 12 septembre, une allocation de 10 millions de dollars débloquée par le Fonds central d'intervention pour les urgences humanitaires afin de soutenir les victimes des inondations.

Le lendemain, le Royaume-Uni promettait une enveloppe de 1 million de livres sterling (1,2 million de dollars). Peu après l'annonce de la catastrophe, la mobilisation s'est mondialisée. Le 14 septembre, le Bureau de coordination humanitaire des Nations unies lançait un appel pour réunir « 71,4 millions de dollars afin de venir rapidement en aide aux 250 000 personnes ciblées sur les 884 000 personnes dans le besoin, au cours des trois prochains mois ».

Cinq jours après le lancement du pont aérien, les Émirats arabes unis (EAU) avaient envoyé 17 avions transportant 450 tonnes de vivres, de matériaux d'abris, de colis sanitaires et de trousses de premiers soins vers la Libye.

De son côté, l'Union européenne activait son mécanisme de protection civile et envoyait vivres, tentes, réservoirs d'eau et générateurs aux sinistrés, promettant un financement humanitaire initial de 500 000 euros, avant de débloquer 5,2 milliards d'euros d'aide supplémentaires, quelques jours plus tard. Des pompiers espagnols et italiens sont dépêchés sur le terrain, tandis que les secours français arrivés avec plus de 30 tonnes de matériel construisaient dans l'urgence un hôpital de campagne à Derna. La Turquie a également envoyé « Sanjakdar » et « Bayraktar », deux navires de la marine nationale, transportant quelque 360 membres du personnel spécialisés dans la gestion des catastrophes.

Les partenaires d'Égypte, de Jordanie, de Tunisie, du Koweït et d'Algérie ont rapidement apporté leur aide logistique, envoyant des équipes médicales et du matériel de premier secours. « De la Turquie à l'Égypte en passant par les Palestiniens : les pays voisins ont affiché leur solidarité avec les Libyens et leur ont apporté une aide technique, sanitaire, logistique ou financière », explique Alexandre Chatillon. « Il nous faut simultanément agir sur les urgences sanitaires, alimentaires, mais aussi scolaires. Les autorités souhaitaient rouvrir les écoles début octobre, mais au vu des travaux à réaliser, l'échéance a été difficile à tenir ».

Pour répondre à ce triple objectif, Super Novæ a mis en place une structure d'assistance polyservices à Derna, dotée d'un centre de santé et de son personnel médical, mais aussi d'un relais scolaire.

En août 2021, dans un entretien accordé Bloomberg, Al-Ghwel, Salama Al-Ghwail, ministre d'État libyen aux Affaires économiques, estimait que le pays avait besoin de 111 milliards de dollars sur les 10 prochaines années pour se reconstruire, misant sur l'augmentation substantielle de production pétrolière pour réunir les fonds. « La Libye produit actuellement environ 1,3 million de barils de pétrole par jour, une quantité qui pourrait atteindre trois millions si la situation sécuritaire se stabilise », envisageait-il.

Aujourd'hui, la production n'a pas évolué. Elle se situe autour de 1,2 million de barils par jour. Aussi, et malgré les 17,5 % de croissance prévus par le Fonds monétaire international (FMI) en 2023, le coût des réparations devrait peser lourdement sur la facture de la reconstruction nationale.

Enfin, au lendemain de la catastrophe, la colère monte. « Des voix s'élèvent de plus en plus pour qu'une enquête soit ouverte sur les conditions dans lesquelles les deux barrages s'étaient effondrés et pour définir les éventuelles responsabilités de chacun », explique Mohammed Elalj, rédacteur en chef adjoint d'El Kul.

De son côté, Fatma Ghandur, journaliste libyenne, essayiste et enseignante universitaire, rapporte que « la mauvaise gouvernance et la corruption sont pointées du doigt dans cette catastrophe », précisant que « depuis plusieurs années, les élus comme l'Exécutif faisaient la sourde oreille face aux voix qui alertaient sur l'état de délabrement des infrastructures, notamment des deux barrages qui se sont effondrés ». À l'heure du bilan, les Libyens réclament des comptes.

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