La guerre en Ukraine s'invite sur les stands africains du Salon de l'agriculture de Paris

Du 26 février au 6 mars 2022, les saveurs africaines étaient de retour au Salon de l'Agriculture de Paris. Malgré de grands absents, la République démocratique du Congo a fait une première apparition remarquée. Entre dégustations et festivités, l'événement n'a pas occulté le contexte géopolitique. Dans l'hypothèse d'un prolongement du conflit russo-ukrainien, les agriculteurs africains anticipent.
(Crédits : RwandaAgriExpo)

Le Salon de l'Agriculture faisait sa réapparition après une année d'interruption pour cause de pandémie de COVID-19. Dans le pavillon 5.2 consacré à l'agriculture du monde et de l'Outre-mer, les délégations africaines présentaient les saveurs du continent. Les stands colorés et l'ambiance animée, ont attiré plusieurs centaines de visiteurs.

Cette année, la Côte d'Ivoire était largement représentée. La délégation avait misé sur l'excellence de ses entrepreneurs et notamment sur ses producteurs de chocolat. Le soir venu, des musiciens assuraient le show peu avant la fermeture des portes, à la satisfaction des curieux qui n'ont pas hésité à s'improviser au coupé-décalé.

L'heure est à la transformation des matières premières sur le continent et les délégations venues de Tunisie, du Maroc, d'Algérie, mais aussi du Mali, du Sénégal, du Nigéria ou du Rwanda avaient dépêché leurs représentants pour exposer des gammes de produits souvent originaux. Ici ou là, des gâteaux épicés, des gommes de baobab à mâcher venus du Mali ou des  biscuits nigérians au poulet : il y en avait pour tous les goûts.

Des hôtesses aux larges sourires, proposaient thé ou café made in Rwanda dans une ambiance feutrée, tandis que des exposants tunisiens offraient des jus d'orange fraîchement pressés aux visiteurs...

Présence de la République démocratique du Congo, une première en 58 ans

Face au pavillon rwandais, le stand de la République démocratique du Congo (RDC) bien moins spacieux tranchait par ses couleurs vives et son agitation. Des jus toniques aux saveurs du Congo, 100 % naturels, étaient distribués à tour de bras sur le stand de Bilengi Bio tenu par Pascal et Cécile Leroy, un jeune couple franco-congolais. Pour eux, l'aventure a commencé en 2019. « Nous avons gagné un jeu à la télévision française avec un voyage au Vietnam à la clé », explique Pascal. « Pendant ce voyage, nous avons découvert des méthodes que nous pouvions appliquées au Congo et c'est que nous avons fait en créant notre marque qui commercialise des jus de fruits 100 % naturels à Kinshasa ». Les visiteurs se sont bousculés devant le stand et Cécile ne ménagea pas sa peine pour presser les jus à un rythme cadencé. « Aujourd'hui, nous voulons nous doter d'un site qui permettra la conservation de nos produits. Pour cela, il nous faut lever 120.000 euros », précise Pascal.

Nana Manwanina Kiumba, ministre congolaise auprès de la présidence, avait elle aussi fait le déplacement pour l'occasion. « Notre stand n'est peut-être pas très grand, mais nous nous félicitons d'être ici aujourd'hui. C'est la première fois en 58 ans que nous sommes présents au Salon de l'agriculture de Paris. Nous avons le projet de mettre en place une structure de certification internationale qui permettra à nos produits agricoles d'être exposés ici sans problème à l'avenir », assure-t-elle. En avant-goût, les visiteurs du parc des expositions de la Porte de Versailles ont pu découvrir du chocolat, du café, de l'arachide de foumboua et des jus de fruits naturels venus directement de RDC.

« Le modèle de développement durable que j'ai choisi consacre le primat de l'agriculture sur les mines », déclarait le président Félix Tshisekedi à l'occasion de son discours sur l'état de la Nation à Kinshasa 13 décembre 2019. Favorisé par la diversité des climats, le poumon de l'Afrique dispose de 80 millions de terres arables dont moins de 10 % sont exploités à ce jour. En 2020, le secteur agricole occupait 70 % de la population et représentait 36 % du PIB (selon Gérard Mutombo Mule Mule du ministère des Finances). Avec 29,9 millions de tonnes de manioc produit en 2018, la RDC était le 3e producteur mondial, juste derrière le Nigéria et la Thaïlande. La RDC est aussi le plus grand producteur au monde de banane plantain (4,7 millions de tonnes en 2018). En dépit d'atouts considérables, le manque d'infrastructures et la faiblesse des transports internes freinent encore les approvisionnements. Par ailleurs, le développement du secteur agricole tiendra aussi à la montée en compétence des ressources humaines locales, rappelle la ministre.

« Nous avons lancé des formations qui permettront de soutenir le secteur, car s'il n'est pas utile de recevoir une formation pour presser des jus de fruits, il en faut une pour créer et gérer son entreprise », déclare Nana Manwanina Kiumba. Revenant sur les répercussions du conflit entre l'Ukraine et la Russie, la ministre précise que la crise « force à l'adaptation » et qu'elle ne doit pas être synonyme de « peur profonde »...

Des exposants inquiets par les répercussions du conflit russo-ukrainien

La guerre russo-ukrainienne s'est accompagnée d'une envolée des cours des céréales qui, d'avis d'experts, pourrait provoquer une hausse de 30 % du prix du blé en cas de blocage des exportations russes. L'Ukraine et la Russie concentrent actuellement un quart du marché mondial du blé et à ce jour, 30 % du blé importé en Afrique vient de Russie. L'Egypte est en première ligne, car 70 % de son blé provient de Russie et 20 % d'Ukraine. Le Soudan qui consomme 2,4 tonnes de blé par an (dont seulement 15 % sont assurés par la production locale) est lui aussi, classé parmi leurs principaux importateurs africains.

Ali Elmigdam, le directeur de LEEN s'était positionné juste devant l'entrée du Pavillon 5.2. Son présentoir sobrement achalandé proposait toute une variété de produits destinés au bien-être à base de tamarin, de baobab ou encore de fleurs d'hibiscus. Des curieux s'arrêtaient pour tester les saveurs du Soudan. Le directeur de l'entreprise ne cache pas son inquiétude en cas d'envolée des prix de l'énergie. « Si la crise se poursuit et pèse sur le prix de l'essence, nous n'aurons pas d'autre choix que de répercuter cette hausse sur nos tarifs (...) Pour le moment, nous allons limiter les stocks et nous ne produirons plus qu'à la demande », explique-t-il.

Il n'est pas le seul à appréhender l'avenir. C'est aussi le cas de Fethi Gouhis, directeur central de l'Office de l'Elevage et des pâturages de Tunisie qui avance ses alternatives. « Nous importons près d'un million de tonnes d'orge par an d'Ukraine, destiné à 100 % à la consommation animale. Cette orge sert à nourrir 5 millions de têtes d'ovins et 500 000 têtes de bovins. Une augmentation des prix ou une rupture d'approvisionnement se répercuteraient inévitablement sur nos activités », explique-t-il. Néanmoins, la diversification est amorcée en Tunisie. « De toute façon, la conjoncture internationale n'est pas très favorable et nous avons déjà connu une montée des prix des matières premières donc aujourd'hui, nous réfléchissons à des produits de substitution comme le triticale (espèce de céréales née d'un croisement entre les blés et le seigle, NDLR). Nous allons augmenter les superficies des féveroles et de colza », ajoute-t-il. « Après la COVID-19, voici la guerre ! Nous trouverons des solutions, car notre bétail représente une sorte de trésorerie nationale », assure-t-il.

La situation géopolitique a de quoi inquiéter éleveurs et agriculteurs africains selon Alain Hespel consultant pour ADINVEST International. « L'impact en Afrique sera dramatique (...) Aujourd'hui, les céréales sont bloquées dans les silos, mais l'an prochain, quelle sera la production ? Des sociétés comme AgroGénération (dont l'activité est en grande partie centrée sur l'Ukraine, NDLR) ont arrêté les semis de printemps et ne mettent rien en terre. Les champs seront vides. L'année prochaine sera sans doute pire que cette année », prévient-il.

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