Aurélie Adam Soulé Zoumarou : « Le Bénin veut s’inscrire sur la carte des pôles de l’IA »

Entre développement du backbone, IA et Big Data, formation et lutte contre la cybercriminalité, le Bénin compte parmi les écosystèmes numériques les plus dynamiques du continent. A la manœuvre en matière de transition digitale, Aurélie Adam Soulé Zoumarou, la ministre béninoise du Numérique et de la digitalisation décrypte, pour La Tribune Afrique, la stratégie 2.0 du gouvernement.
Aurélie Adam Soulé Zoumarou, ministre du Numérique et de la digitalisation du Bénin.
Aurélie Adam Soulé Zoumarou, ministre du Numérique et de la digitalisation du Bénin. (Crédits : MND-Bénin)

La Tribune Afrique : Que représente la contribution du secteur numérique dans le PIB du Bénin ?

Aurèlie Adam Soulé Zoumarou : Cela reste difficilement quantifiable, car le numérique est tellement transversal qu'il faut mettre en place un certain nombre d'éléments pour prendre en compte l'envergure du secteur dans le PIB. Cette démarche est actuellement en cours. Depuis l'accession au pouvoir du Président Patrice Talon, si l'on se réfère au premier Programme d'actions du gouvernement (PAG1) qui couvre la période de 2016 à 2021, il était prévu que le secteur génère 90.000 emplois et nous avons dépassé cet objectif.

Dans le PAG2, avec la création d'entités importantes, comme le troisième opérateur mobile au Bénin, qui est un vrai catalyseur de l'écosystème, le nombre d'emplois créés, sera encore plus important. En effet en plus de MTN et MOOV, nous sommes désormais dotés d'un troisième opérateur mobile, CELTIIS lancé il y a 2 mois environ. Nous ne laisserons personne de côté sur le segment de la connectivité et des services numériques.

De quelle façon se structure la dématérialisation des services administratifs au Bénin ?

La plupart des services gouvernementaux sont digitalisés ou en voie de l'être. L'Agence des Systèmes d'Informations et du Numérique (ASIN) qui exerce sous le contrôle du Ministère du Numérique et de la digitalisation, assure la mise en œuvre technique et opérationnelle de la politique de dématérialisation des services publics, en accompagnant les services techniques des autres ministères sectoriels dans le développement des e-services liés à leurs métiers.

Grâce aux efforts consentis par l'ensemble des acteurs, on compte aujourd'hui sur le portail national des services publics du Bénin, 1.052 services administratifs accessibles en ligne pour lesquels des milliers de requêtes sont reçues chaque jour de la part des populations. Plusieurs actes administratifs sont délivrés aux citoyens via cette plateforme sans le moindre déplacement de leur part, grâce à la connectivité.

Ne pas disposer d'une bonne connectivité au Bénin n'est pas envisageable pour le gouvernement, donc nous travaillons pour assurer aux Béninois une connectivité de qualité, disponible et à des prix raisonnables afin de faciliter l'accès aux services de l'Etat.

Le Bénin dispose aujourd'hui d'environ 2.500 km de fibre optique, le taux de pénétration d'Internet est passé de 20 % en 2015 à 53 % en 2019. Quels sont vos objectifs actuels ?

A ce jour, le taux de pénétration Internet est de 69% et nous avons l'intention d'aller au-delà. C'est une chose que la connectivité soit disponible, il en est une autre que ceux qui sont couverts y aient effectivement accès. En la matière, le coût d'accès peut être parfois un frein. Il ne s'agit donc plus seulement de rendre disponible la connectivité, mais d'identifier les freins à l'accès.

Nous travaillons concomitamment sur la question avec tous les fournisseurs de solutions, et les partenaires au développement. Nous avons construit une approche dynamique qui ne repose pas uniquement sur l'aspect technologique. Car, faire de la technologie pour la forme ne nous intéresse pas. L'usager demeure au centre de toute notre approche. Les Béninois doivent avoir accès aux infrastructures ainsi qu'aux services.

Précisément, comment travaillez-vous pour rendre l'Internet accessible à un meilleur coût ?

Un accès à la fibre à domicile, lorsque vous êtes dans une zone éligible, coûte 30 000 francs CFA (45 euros, ndlr). L'abonnement pour l'accès ADSL revient à 17 000 francs CFA (25 euros, ndlr), auquel s'ajoutent les frais d'installation (selon les distances par rapport aux points de présence de l'opérateur), qui varient de 0 à 70 000 francs CFA, soit l'équivalent de 106 euros.

Nous avons récemment relevé le niveau du salaire moyen au Bénin (le 7 décembre, le gouvernement annonça une augmentation du Smig de 30% ainsi qu'une revalorisation des salaires des fonctionnaires de l'administration publique par catégorie, ndlr), ce qui contribuera à améliorer davantage l'accessibilité.

L'Alliance pour l'Internet Abordable (Alliance for Affordable Internet) considère qu'un citoyen ne doit pas payer plus de 5% de son salaire pour avoir accès à la connectivité. Ces ratios sont largement dépassés sur le continent africain, car nous ne sommes pas propriétaires des industries. Nous sommes pourtant sur un secteur de capital intensif qui demande beaucoup de ressources financières et qui nécessite un modèle économique pour être soutenable. Parallèlement, nous devons travailler à développer des services abordables pour les populations. C'est à cette équation entre technicité et accessibilité que nous nous attelons.

Concrètement, comment ces freins se répercutent-ils dans le quotidien des Béninois ?

Lorsqu'un usager doit venir chercher un document dans l'administration publique, et qu'il doit parfois parcourir par exemple 500km, cela lui génère des frais de transport et demande de l'énergie, sans compter les risques associés au déplacement. Il perd également du temps compte tenu de certaines lourdeurs administratives qui peuvent subsister.

Avec le portail national de services www.service-public.bj, il peut désormais demander son document en ligne sans se déplacer, et le recevoir à domicile. C'est une économie de temps et d'argent. Il ne faut pas seulement prendre en compte le coût relatif à l'accès, mais considérer toute l'économie réalisée sur toute la chaine.

Quels sont les premiers résultats observés suite à la construction de Sèmè City, la Silicon Valley béninoise ?

Sèmè City représente un programme phare d'innovation et de savoirs. Il comprend plusieurs volets notamment : « formation », « recherche » et « innovation ». Grâce à cette agence, le Bénin a développé des partenariats avec des Universités de renommée mondiale, qui forment les ingénieurs à Cotonou comme Epitech ou l'école de design de Nantes qui dispose d'un Campus local sur Sèmè City.

Au niveau de la recherche et de l'innovation, nous avons plusieurs projets majeurs en cours et en matière d'écosystème pour les startups, nous disposons du Made in Africa, qui favorise la création locale. Ce programme a déjà permis de sélectionner plusieurs startups et de les accompagner, notamment au niveau de leur modèle économique. Il s'agit d'en faire des entreprises pérennes. Un bâtiment nommé Sèmè One à Cotonou abrite déjà plusieurs programmes et la cité va s'étendre, avec la construction prochaine d'un grand campus dans la ville historique de Ouidah.

De quelles façons accompagnez-vous les startups béninoises ?

Le gouvernement accompagne les startups béninoises à plusieurs niveaux. Certaines startups béninoises comme REMA (la plateforme médicale qui connecte les personnels de Santé, ndlr), ont même bénéficié d'un accompagnement personnalisé lors de compétitions internationales, notamment en Tunisie en 2019. Cette startup a remporté le 2e prix du concours cette année-là. Au lendemain de cette compétition, REMA a bénéficié du soutien du gouvernement béninois pour développer ses activités (...).

En 2021, 11 startups béninoises ont bénéficié de fonds d'amorçage à travers le financement Oumandera. La promotion de nos startups à l'international est un engagement réel. Au niveau de la loi de finances, nous avons voté des facilités spécifiques pour ces startups. Elles ne payent qu'une partie des impositions par exemple. Est-ce que tout est parfait ? Pas encore, mais nous progressons rapidement.

Depuis octobre 2022, le Bénin s'est doté d'une école des métiers du numérique. Quelles sont ses ambitions ?

Effectivement, elle a formé sa première cohorte d'étudiants. Nous avons démarré avec les formations de techniciens d'intervention télécoms, car nous avons plusieurs projets de déploiement de la fibre au Bénin, qui nécessitent une main-d'œuvre qualifiée (...).

L'expertise est la clé du succès. Nous pouvons aller la chercher partout dans le monde à condition qu'elle soit couplée à un transfert de compétences, ne serait-ce que pour maintenir les infrastructures localement. C'est pour cela qu'il est important d'avoir des écoles comme celle des métiers du numérique, qui forme en 2 ou 3 mois, des profils techniques. De plus, cela nous coûte moins cher que d'importer de la main-d'œuvre qualifiée de l'étranger.

Sur quels leviers repose la lutte contre la cybercriminalité au Bénin ?

L'ex-ANSSI-Bénin (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, ndlr), qui relève de la mise en place d'un code du numérique, a permis de structurer plusieurs initiatives de lutte contre la cybercriminalité, comme la création du centre de réponse aux incidents. Nous avons récemment redéfini les contours de la stratégie nationale de sécurité numérique en fusionnant l'ANSSI avec l'Agence du développement du numérique, l'Agence des services et systèmes d'information et l'Agence béninoise du service universel des communications électroniques et de la poste, dans une structure unique, à savoir l'Agence des systèmes d'information et du numérique.

Cette agence s'occupe d'opérationnaliser des projets numériques et d'assurer la sécurité, tout en asseyant une confiance numérique nationale. Il s'agit d'un mandat régalien important que nous poursuivons à travers plusieurs actions. Nous prenons la question de la cybersécurité très au sérieux. Les menaces sont multiformes et changent au quotidien, nous n'avons donc pas le choix.

Quels sont les principaux projets infrastructurels en cours ?

Nous allons bientôt démarrer la phase opérationnelle d'un projet d'extension de la fibre optique du backbone, dans la partie ouest du pays, et assurer la sécurisation des boucles. Nous sommes aussi engagés dans la transformation numérique des collectivités locales. Il est important de décentraliser nos services pour le bénéfice du plus grand nombre (...) Nous sommes aujourd'hui dotés d'une stratégie nationale pour l'intelligence artificielle et les Big Data car le Bénin veut s'inscrire sur la carte des pôles de l'IA, avec des solutions inclusives dans l'éducation, l'agriculture ou encore les transports. Nous allons poursuivre la transformation digitale des secteurs vitaux comme ceux de la santé ou de la justice.

Nous sommes aujourd'hui à Genève aux ATDA 2022 (Assises de la transformation digitale en Afrique). Qu'attendez-vous de la Suisse sur le segment du numérique (entretien réalisé le 14 décembre 2022) ?

La Suisse est un pays qui prend la cybersécurité très au sérieux, tout comme le Bénin. Nous avons la possibilité de nouer des partenariats pour renforcer cette coopération mondiale autour de la cybersécurité. Par ailleurs, le Bénin délivre des cartes d'identité biométriques qui sont des concentrés de technologies. La question de l'identité numérique est inscrite au code du numérique promulgué en 2018 or, la Suisse a beaucoup travaillé sur la question.

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