"La facilitation des procédures est tributaire de la volonté politique"

Les rapports d'organismes internationaux sont unanimes :  en Afrique, beaucoup reste à faire pour simplifier le commerce et le climat des affaires. Le président de l'UN/CEFACT, un organisme des Nations unies chargée de la Facilitation des Procédures Commerciales et le Commerce Électronique, estime que la problématique n'est pas qu'Africaine. Pour Lance Thompson, la volonté politique est indispensable pour la facilitation des procédures et leur dématérialisation qui sont des leviers majeurs de lutte contre la corruption. Interview.
Mehdi Lahdidi
Lance Thompson,président de l'UN/CEFACT, organisme des Nations unies chargée de la Facilitation des Procédures Commerciales et le Commerce Électronique.

LTA : Le dernier classement du Doing Business montre que beaucoup de pays, africains surtout, n'adoptent toujours pas les guichets uniques. Il en résulte des lenteurs administratives qui représentent des freins pour le business. Quels sont les principaux freins en la matière ?

Lance Thompson : Je ne pense pas que ce n'est pas une problématique propre à l'Afrique. Des freins existent dans tous les pays. Le problème récurrent, c'est qu'on appelle guichet unique, des choses qui ne le sont pas. Il faut revenir à la base et définir ce que c'est un guichet unique. Il s'agit d'un portail unique pour les opérateurs économiques avec le gouvernement. Donc, l'opérateur économique au lieu de visiter plusieurs agences gouvernementales, ne devrait s'adresser qu'à un seul interlocuteur. Dans beaucoup de pays, y compris la France, le système douanier ne fédère pas nécessairement les autres administrations. L'opérateur peut effectuer toutes ses opérations pour le commerce international via le guichet unique français, mais il ne peut pas y produire son certificat d'origine, ou encore ses certificats pour le matériel de guerre. Donc, c'est ça le plus grand frein, c'est de fédérer les agences gouvernementales.

Selon vous, qu'est ce qui explique le retard qu'accusent les pays africains dans  l'adoption de ce genre de processus ?

Il est vrai que c'est lent. Mais c'est le même cas partout. Aux Etats-Unis, le programme ACE de la douane, n'a été lancé qu'il y a 3 ans et par mandat spécial de l'administration Obama qui a donné à la douane l'autorité pour forcer les autres administrations de travailler avec elle, et être ainsi le seul portail pour recevoir les informations. On soupçonne souvent la corruption de bloquer l'adoption de ces systèmes. Or, les douaniers, par exemple, qui sont en position de demander des ristournes ne sont pas en pouvoir de bloquer ce type de système. Mais ce sont plutôt d'autres administrations dont l'autorité se voit amoindrie qui peuvent bloquer les réformes. Le Maroc, par exemple, n'a eu aucun mal à mettre en place son système Portnet (plateforme de de dématérialisation des flux documentaires et qui traite les formalités entre les différentes parties prenantes au commerce extérieur au Maroc). Pareil au Sénégal. C'est parce qu'il y avait une véritable volonté politique, du coup la résistance est moins prononcée. La volonté politique est d'ailleurs une condition nécessaire pour installer ce genre de système.

La mise en place du guichet unique peut-elle être considérée comme un levier de lutte contre la corruption ?

Evidemment. L'Indonésie a adopté un système similaire à Portnet justement dans le but d'éradiquer la corruption. Mais il ne faut pas se leurrer. L'adoption de systèmes informatisés supprime certaines possibilités de corruption. Pour être sûr de mettre un terme à la corruption, il est indispensable de supprimer tout contact ou intervention humaine dans les processus.

Justement, comment juger l'efficacité de ce système ?

Il faut regarder l'impact et la facilité que ça offre aux opérateurs. Ce n'est pas juste un gadget à la mode. C'est sensé donner des facilitations. Si l'opérateur doit aller dans plusieurs agences, ce n'est plus un guichet unique. Mais il est vrai aussi que ce n'est pas un « big bang ». Ça ne se fait pas du jour au lendemain. C'est quelque chose qui doit se construire petit à petit. Mais il ne faut pas rater son objectif en veillant à établir un seul guichet représentant tous ses opérations.

La commission que vous présidez a publié des recommandations dans ce sens...

L'UN-CEFACT publie un certain nombre de recommandations qui touchent à des thématiques variées. Par exemple, comment guider des consultations fructueuses avec le secteur privé, entre autre. Très souvent et c'est le cas notamment en Europe, c'est le gouvernement qui annonce les nouvelles règles, sans laisser au privé la possibilité de réagir ou donner ses doléances. La consultation, doit être du donnant/donnant et permettre de travailler ensemble pour avancer. Nous avons des "guidelines" pour réussir ce genre de consultations avec des "benchmark"s. Les Comités de facilitation de commerce sont une de nos plus anciennes recommandations et qui date depuis 1974. Le but, c'est expliquer comment mettre en place un comité, établir ses objectifs, son fonctionnement. Il y aussi les guidelines sur les messages électroniques et les procédures électroniques Edifat. La plupart des messages électroniques échangés entre les maritimes et le gouvernement utilisent cette syntaxe. Bien entendu, il y en a beaucoup d'autres, mais c'est le seul qui est suivi de manière centrale par un organisme, l'ONU en l'occurrence. Donc il y a un contrôle central sur les messages-types qui sont publiés par UN-CFACT.

Quels sont vos chantiers actuels ?

Le Comité européen de normalisation est entrain de décider comment définir et coder les factures électroniques pour les marchés publics. Il veut avoir un seul standard européen pour ce genre de facture. Le comité hésite toujours en ce moment entre deux modèles, dont Edifact. Maintenant en ce qui concerne l'Afrique, ce qu'on essaie de proposer c'est un modèle gratuit qui ouvre la possibilité à n'importe qui de participer au développement. Mais les pays africains peuvent déjà utiliser le « cross industry invoice » (un type de document), malgré qu'il soit un peu centré sur l'Europe. Des pays comme le Japon, la Chine ou les Etats-Unis ont beaucoup contribué à créer le cross industry invoice mais rien n'empêche que si ça ne correspond pas à tous les pays, on peut le changer à condition que ça reste rétrocompatible.

Mehdi Lahdidi

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