Politique africaine de la France : que va dire Macron dans son discours de Ouagadougou ?

Les analystes lancent leurs supputations. Les journalistes tendent l’oreille et les micros. En tout cas, pour l’heure, même en « off », les hommes du président se refusent à dévoiler les contours –même du brouillon– du discours de politique africaine qu’Emmanuel Macron prononcera à l’Université de Ouagadougou. Au sein de l’Elysée où l’on choisit les mots à placer sur les dernières lignes du discours à affiner, on se borne à souligner que l’approche Macron va trancher par rapport à ses prédécesseurs. Pour autant, quels sujets le président français va aborder dans son grand oral en terre africaine? La Tribune Afrique livre certaines pistes de ce discours très attendu.
Ibrahima Bayo Jr.

C'est le secret du moment  le mieux gardé du « Château » à Paris. Devant un millier d'étudiants de l'Université de Ouagadougou, Emmanuel Macron prononcera ce 28 novembre, son discours de politique africaine. Mais le contenu de ce speech préparé par les équipes de Philippe Etienne et de Franck Paris tisonne tous les fantasmes. Que va dire le nouveau président français au Continent ?

Beaucoup de précautions pour se démarquer de ses prédécesseurs

« Dans tous les cas, il faudra éviter les travers du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande à Bamako », prévient d'emblée un observateur ouest-africain de la politique française. A l'Université de Dakar en juillet 2007, le lyrisme du discours de Nicolas Sarkozy s'est fracassé sur ce bout de phrase qui a scandalisé l'Afrique : « L'homme noir n'est pas assez entré dans l'Histoire ». Rien que ça !

En 2013, à la foule venue l'acclamer sur la place de l'Indépendance de Bamako pour le lancement de l'opération Serval contre les djihadistes dans le Nord-Mali, François Hollande confie qu'il vient « sans doute de vivre le jour le plus important de [sa] vie politique ». Un jour de guerre en Afrique !

Pour éviter de marcher dans ces traces difficiles à effacer dans l'opinion publique africaine, le Discours de Ouagadougou va puiser son contenu dans les propositions du Conseil présidentiel pour l'Afrique (CPA) mis en place en août dernier. Pour fignoler, les plumes élyséennes vont tremper dans l'encre des échanges lors des visites à Paris à un jour d'intervalle d'Alpha Condé, le président en exercice de l'Union africaine, et de Moussa Faki Mahamat, le président de la commission de l'UA.

Dernière précaution présidentielle, Emmanuel Macron a pris soin de qualifier de « crime contre l'Humanité », l'esclavage de migrants subsahariens en Libye, pour éviter sans doute que cette actualité brûlante ne dilue un discours que l'on veut inscrire dans l'originalité et la postérité. Cela permet aussi au président français d'anticiper les effets de sa déclaration fracassante sur la surnatalité africaine lors du dernier Sommet du G20 qui l'a fait passer pour un disciple du malthusianisme.« Les thèmes qui seront évoqués devraient ainsi trancher avec les prises de paroles de ses prédécesseurs », souligne Emmanuel Dupuy, président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).

Franc CFA, migration, terrorisme et des questions qui fâchent...

Ces thèmes, poursuit l'analyste devraient aller dans le sens du « devenir du Franc CFA, européanisation de la participation à la lutte contre le terrorisme, approche plus globale pour juguler les vagues migratoires nées des crises économiques et tensions sécuritaires au sud de la Méditerranée, focalisation sur une approche d'aide au développement et d'assistance technique transnationale et transfrontalière, décloisonnement des investissements économiques par zone géographiques subrégionales plutôt que par aire linguistique, dynamique diplomatique franco-allemande, témoignant d'une approche plus européenne que purement bilatérale»

Seul bémol sur cette copie que l'Elysée veut lisse et épurée, avec sa prise de parole qui intervient 24 heures en amont du Sommet UA-UE, les 29 et 30 novembre à Abidjan, Emmanuel Macron semble voler la vedette aux 80 chefs d'Etat et de gouvernements attendus sur les bords de la Lagune Ebrié. « Emmanuel Macron rejoindra après Ouagadougou, à Abidjan, ses 81 collègues africains (55 de l'UA) et européens (27 de l'UE + GB), pour beaucoup hélas absents, pour la 5ème édition du Sommet Union européenne - Union africaine. Ce sera pourtant la dernière occasion de se réunir avant la rénovation en 2020 de l'accord de Cotonou datant de 2000, régissant les relations euro-africains », souligne encore ce spécialiste

Son discours à la veille de ce sommet crucial entre les deux Continents devrait en effet permettre au président français d'imprimer sa marque dans la « rénovation » de la relation eurafricaine. Le pendant critique de cette approche est son aspect hautain voire paternaliste du président d'une grande puissance. En politique,la coïncidence n'existe pas! Au sein de l'opinion publique sur le Continent, « deux sujets sont très attendus par les Africains et les africanistes : celui du devenir du Franc CFA et son arrimage a l'Euro, d'une part, et, d'autre part, les solutions proposées pour éradiquer le terrorisme dans la bande sahelo-saharienne », souffle Emmanuel Dupuy.

... et matrice africaine pour marquer un retour de la France

Dans tous les cas, Emmanuel Macron ne devrait pas s'éloigner d'une matrice de politique africaine « sécuritariste » à laquelle vient s'ajouter des sujets qui fâchent comme le Franc CFA, les ingérences avec sa dualité soutien/condamnation des dictatures. L'offensive Macron sera aussi économique à l'heure où la France se fait bousculer sur le Continent par des pays comme la Chine, les Emirats Arabes Unis, la Turquie, Israël, ou encore le Maroc. Mais pour l'heure, après le retrait de Centrafrique et bientôt du Mali avec le lancement du G5 Sahel, la France est désormais dans le schéma d'avoir une présence militaire -donc visible- plus discrète tout en maintenant une présence économique.

« Les sommets de Ouagadougou d'octobre 2017 et de Dakar de début novembre 2017 ont confirmé que la France entendait progressivement diminuer son dispositif militaire engagé dans la bande sahélo-saharienne engagée depuis 2014, sur les 5 pays qui constituent désormais le G5-Sahel », subodore encore Emmanuel Dupuy.

« La question demeure cependant entière de savoir qui des partenaires occidentaux de la France notamment l'Allemagne et l'Italie ou les Etats-Unis qui ont décidé de renforcer leur action militaire ou des Africains eux-mêmes à travers la force militaire conjointe du G5-Sahel, la Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (CARIC, crée en juillet 2013 au niveau de l'UA) ou encore la Force mixte multinationale engagée depuis 2015 contre Boko Haram - assumeront le rôle de gendarme de l'Afrique » !

Ibrahima Bayo Jr.

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Commentaire 1
à écrit le 28/11/2017 à 14:01
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Je suis étonné par la dernière question : "qui assurera le rôle de gendarme de l'Afrique" ...? Parce que les africains seraient incapables d'assurer ce rôle eux même ?

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