Ce qu'il faut retenir du Sommet de l'Elysée pour un « New-Deal » en Afrique

En 2020, l'Afrique a enregistré sa première récession depuis 25 ans, suite à la pandémie de Covid-19. Selon le FMI, l'Afrique subsaharienne aura besoin de 285 milliards de dollars d'ici à 2025 pour contrer la crise. C'est dans ce contexte que le président Macron a fait appel à la solidarité internationale en réunissant chefs d'Etat et de gouvernements africains et européens, aux côtés des bailleurs multilatéraux. Malgré d'ambitieux objectifs, le Sommet s'est achevé sur un bilan en demi-teinte...
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

Stations de métro fermées, accès aux grands hôtels perturbés, la capitale française était sous haute surveillance en début de semaine, car près d'une trentaine de dirigeants africains et européens (dont une quinzaine de chefs d'Etat) étaient présents à Paris, dans le cadre du Sommet pour financer les économies africaines, organisé par l'Elysée.

De nombreux représentants d'organisations internationales, à l'instar de Félix Tshisekedi, le président en exercice de l'Union Africaine (UA), d'Azali Assoumani le vice-président en exercice de l'UA, de Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l'UA, de Vera Songwe, la secrétaire exécutive de la Commission économique pour l'Afrique de l'ONU, ainsi que de nombreux bailleurs multilatéraux (FMI, Banque mondiale, BEI, BAD, AFD notamment), s'étaient réunis le 18 mai, au Grand Palais éphémère installé sur le Champ de mars, à deux pas de la Tour Eiffel.

Selon le FMI, l'Afrique subsaharienne a enregistré une récession de -1,9% en 2020 et la reprise en Afrique, avec une croissance cumulée du PIB par habitant estimée à 3,6 % sur la période 2020-2025, serait bien inférieure à la reprise mondiale (14 %). Pour l'heure, 29 millions de personnes sont menacées de tomber dans l'extrême pauvreté (avec moins de 1,9 dollar par jour) et la lutte contre la pandémie patine. L'annonce récente de la levée des brevets sur les vaccins par le président Biden, devrait néanmoins, permettre d'augmenter les capacités de production pharmaceutiques, y compris en Afrique, avec l'objectif annoncé lors du Sommet, de vacciner 40 % de la population d'ici à la fin 2021. Au niveau économique, le Sommet s'est fixé deux objectifs prioritaires: apporter d'une part, une réponse au sous-investissement structurel qui touche le secteur privé africain et élaborer d'autre part, une réponse financière multilatérale pour stopper les cycles de surendettement.

Emmanuel Macron ambitionne de tripler le montant des DTS destinés à l'Afrique

« Il y a un besoin en financement entre aujourd'hui et 2025, qui est estimé à environ 285 milliards de dollars. Tout ne sera pas réglé aujourd'hui, mais c'est aujourd'hui un changement de paradigme qui devra être poursuivi au G7, au G20, et que nous entendons poursuivre sous la présidence française de l'UE » a déclaré Emmanuel Macron, le 18 mai. Le président français cherche en effet, à entraîner ses partenaires européens dans les affaires africaines, s'éloignant de la traditionnelle relation France-Afrique, de plus en plus contestée sur le continent, sur fond de crise sahélienne.

L'augmentation des droits de tirages spéciaux ou « DTS » (panier de monnaies internationales créé par le FMI en 1989) est apparue comme l'une des pistes pour « trouver de l'argent frais ». Quelques 650 milliards de dollars devraient être émis par le FMI, dont plus de 33 milliards de dollars pour l'Afrique (23 milliards de dollars pour l'Afrique subsaharienne). Emmanuel Macron mise sur 100 milliards de dollars, après la réallocation d'une partie des DTS des pays riches vers les pays les plus pauvres. Au sujet des 33 milliards de dollars, « ce n'est pas encore l'objectif poursuivi, mais c'est déjà ça », estimait Félix Tshisekedi, président en exercice de l'Union Africaine (UA), à l'issue du Sommet.

Se pose enfin, la question des conditions de réallocations des DTS : sur quels critères reposeront-elles ? Il sera difficile d'exiger la rigueur des pays africains, dans une période où les déficits publics se creusent dans la plupart des pays développés pour faire face à la crise (appuyés par des plans de relance massifs de 750 milliards d'euros en UE et plus de 2 000 milliards de dollars aux Etats-Unis).

Ce qu'il faut savoir sur la dette africaine

« Il nous faut combler le gap de financement en Afrique, et cela passe par un effort sur la dette. Plusieurs pays ont demandé la restructuration de leur dette publique comme le Tchad, l'Ethiopie et la Zambie notamment », explique Rémy Rioux, le Directeur général de l'Agence française de développement (AFD), à la veille du Sommet. En dix ans, la dette africaine a doublé selon l'AFD, passant de 650 milliards de dollars en 2010 à 1 400 milliards de dollars en 2019. Plusieurs mesures ont été prises pour accompagner les pays les plus fragiles à traverser la crise liée à la pandémie. En avril, le G20 annonçait l'initiative de suspension de service de la dette (ISSD) qui a permis à la moitié des PMA de différer le remboursement de leurs emprunts.

Alors que la Chine comptabiliserait à elle seule, plus de 20 % de la dette africaine, sa faible présence à Paris a été remarquée. « L'important, c'est que la machine soit lancée. Peut-être que les Chinois prendront bientôt le train en marche », déclarait Sani Yaya, le ministre de l'Economie et des Finances du Togo, non content du déplacement (240 millions de dollars promis par le FMI à la veille du Sommet), le 17 mai à l'occasion d'un point presse. « Il existe une convergence de points de vue et un engagement institutionnel pour trouver des solutions » poursuivait-il optimiste, d'autant que le Togo, actuellement engagé dans de grands travaux d'infrastructures et de profondes réformes structurelles, bénéficie des bonnes grâces des institutions de Bretton Woods et maintient le niveau de sa dette en deçà des préconisations de l'UA. Pour l'heure, la Chine reste en retrait de toutes réflexions en matière de réformes multilatérales des mécanismes financiers...

Il a été question de restructuration de la dette lors du Sommet (l'annulation pure et simple faisant craindre aux pays africains la dégradation de leur notation par les agences mondiales), mais aussi du coût de la dette qui s'établit à 799 milliards de dollars en Afrique subsaharienne, selon les perspectives économiques du FMI d'avril 2021 soit 41 % du PIB, contre 129 % du PIB aux Etats-Unis et 122 % du PIB dans la zone euro (d'après l'Institute of International Finance, IIF).

Paris déroule le tapis rouge à Khartoum

A la veille du Sommet, la présidence française organisait une conférence de chefs d'Etat et de gouvernement en appui à la transition démocratique au Soudan, en présence du président Abdel Fattah Al-Burhan. Plombé par une économie exsangue et menacé par le terrorisme, le pays doit faire face à une dette de 49 milliards d'euros. « Cette crise économique et sociale est l'épicentre du terrorisme international qui est en train de se déployer en Afrique », a averti le président Macron. En dépit du poids de la dette, le pays qui a récemment été réintégré dans le concert des nations n'en demeure pas moins une terre riche en ressources pétrolières et minières et en perspectives économiques.

Deux ans après la révolution qui a mis fin à 30 ans de pouvoir d'Omar Al-Bachir, le pays fait l'objet de toutes les attentions géopolitiques. En décembre, Washington retirait le pays de la liste des Etats finançant le terrorisme et levait les sanctions économiques associées. En janvier, il s'engageait à fournir 1,15 milliard de dollars d'aide au Soudan pour rembourser une partie de sa dette à la Banque mondiale. Début mai, Khartoum annonçait avoir obtenu un prêt de 425 millions de dollars financé par la Suède, le Royaume-Uni et l'Irlande pour solder ses arriérés auprès de la BAD. Sur la même lancée, le FMI renouvelait son soutien aux réformes le 10 mai, annonçant un plan de financement dans l'objectif d'alléger de la dette. Lundi dernier, c'est la France qui accueillait en grande pompe, les plus hautes autorités soudanaises. « La voie est désormais ouverte au plein réengagement des institutions financières internationales aux côtés des autorités soudanaises, qui pourraient recevoir à court terme près de 2 milliards de dollars de dons » indique un communiqué de l'Elysée daté du 17 mai.

La France a annoncé l'annulation des 5 milliards de dollars de dette bilatérale soudanaise et l'Allemagne 360 millions d'euros, afin de soutenir la transition démocratique. Les deux pays se sont également engagés à aider le Soudan à solder sa dette avec le FMI, à hauteur de 1,5 milliard de dollars pour la France et de 90 millions d'euros pour l'Allemagne.

Des promesses, mais pas d'engagements fermes

De nombreuses rencontres bilatérales ont été organisées entre le président français et ses homologues africains. L'organisation de ce Sommet représente un véritable tour de force pour l'Elysée, à la manœuvre dans l'organisation du premier événement d'envergure en France depuis l'apparition de la Covid-19. C'est également une belle opération séduction sur fond de solidarité internationale de l'hexagone, en direction d'un continent qui représente un marché d'un peu plus d'un milliard d'habitants.

« Il y a quelque chose de nouveau. On a habitué l'Afrique à lui concevoir des projets et des programmes, et à les lui imposer [...] Aujourd'hui, nous sommes dans une co-construction », s'est félicité Macky Sall, en clôture du Sommet, soulignant un « changement de mentalité au niveau des pays développés » face à une « responsabilité commune » pour lutter contre la Covid-19. « Il faut changer le cadre dans lequel nous évoluons depuis toujours, c'est un corset qui ne tient plus, parce qu'il n'est plus adapté », a poursuivi le président du Sénégal, non sans ajouter que l'Afrique devait disposer de ses propres mécanismes de financement. D'ailleurs, les compétences locales ne manquent pas selon Rémy Rioux. « Il y a des acteurs engagés capables et ambitieux sur le continent, en particulier les banques publiques de développement africaines, qu'il faut absolument appuyer », estime le directeur général de l'Agence française de développement (AFD).

Malgré un certain nombre d'annonces telles que le lancement de l'Alliance pour l'entrepreneuriat en Afrique (1 milliard de dollars)) ou encore l'objectif de tripler le montant de l'enveloppe des DTS, c'est sur un bilan en demi-teinte et sans engagement ferme que s'est conclu le Sommet. Au soir du 18 mai, le président Macron a déclaré que les réflexions se poursuivraient en juin, lors du prochain Sommet du G7.

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