
LA TRIBUNE - Talan est spécialiste du conseil en transformation et innovation grâce à la technologie. Or, vous être présent à Tunis pour Hirafen, l'exposition dédiée à l'art contemporain et l'artisanat textile, qui représente la dixième édition de Talan l'expo. Pourquoi une telle initiative, qui peut sembler éloignée de la mission quotidienne de Talan ?
MEDHI HOUAS - L'idée est née lorsque Talan a formalisé sa raison d'être. Notre entreprise doit être citoyenne et cela signifie donc participer à la vie citoyenne. En 2013 lorsque nous avons construit notre premier bâtiment en Tunisie, nous voulions consacrer un large espace à un événement. C'est Behjet Boussofara, le directeur de Talan en Tunisie, qui nous convainc alors de le dédier à une exposition d'art.Hirafen, l'exposition qui se tient depuis ce mois de novembre jusqu'en mars prochain, est née du constat que l'artisanat se mourrait. Il y a encore quelques années, la Tunisie comptait 700.000 artisans, ils ne sont plus que 200.000 aujourd'hui. Beaucoup de femmes délaissent l'artisanat pour aller travailler dans les usines. Or, l'artisanat tunisien est à la fois berbère, phénicien, byzantin, arabo-musulman, turc... Et il est en train de disparaître. Nous avons donc choisi une verticale pour cette exposition, celle du tissage, ce qui concerne la soie, la broderie, le tapis... L'artisanat est un savoir-faire recherché et reconnu. La Maison de l'artisanat était à l'abandon depuis 6 ans, nous l'avons réhabilitée entièrement et avons créé, durant l'été, des résidences unissant dix artisans et dix artistes. Hirafen en est une expo qui est là pour nous inquiéter car elle montre un savoir-faire menacé, ce qui n'est pas sans impact pour notre planète. Et Hirafen n'est pas si éloignée du métier de Talan puisque l'exposition est aussi présente dans le métavers.
L'artisanat, en Tunisie comme en France, retrouve une appétence. On revient également aux métiers du fil et du tissage, ne serait-ce que parce de nouvelles marques textiles recherchent ces compétences. Peut-on considérer que cela est un effet collatéral positif de la réindustrialisation ?
Oui et c'est une forme de réindustrialisation qui peut être originale. Lorsque j'étais ministre du Tourisme (Medhi Houas a été ministre du Commerce et du Tourisme de Tunisie de janvier à décembre 2011 au sein du gouvernement de Mohamed Ghannouchi puis de Béji Caïd Essebi NDLR), on me demandait la création de lits supplémentaires afin de pouvoir accueillir davantage de touristes. J'ai répondu que l'on pouvait choisir 10.000 familles installées à l'intérieur des terres et mettre au sein de leurs demeures, une chambre d'hôtes à disposition, une chambre d'hôtes qui correspondait bien évidemment, à nos standards. L'industrie n'a peut-être pas besoin de se concentrer sur un seul site, mais elle peut, en revanche, se délocaliser vers celui qui est en proximité. L'artisanat, c'est la tradition, la technologie c'est la modernité. A l'origine, ce sont fatalement deux mondes opposés, l'artisanat refuse parfois la technologie et la technologie ne pense pas toujours à s'appuyer sur l'artisanat. Or il existe des espaces communs où ils peuvent dialoguer.
Vous avez réhabilité des bâtiments liés à l'artisanat, on évoque aussi souvent celle des usines, toujours dans ce souci de réindustrialisation durable...
On construit son futur en fonction de son passé. Ce qui était bien hier ne l'est peut-être plus aujourd'hui, mais cela ne signifie pas que ce n'est pas une bonne chose. Les usines des années 20 sont des bâtisses magnifiques. Les hauts plafonds c'est, par exemple, un message pour les ingénieurs, on part d'un héritage, qui s'explique. Il faut accompagner ces usines dans la reconversion, avec des matériaux réutilisés. Il faut toujours regarder le solde positif. C'est exactement comme la crainte de voir l'IA détruire des emplois. Bien sûr, il y aura de la destruction d'emplois mais pour combien de créations d'autres emplois ?
L'exposition Hirafen valorise l'idée du « faire ensemble ». Or, aujourd'hui, le faire ensemble se fait peut-être différemment, le télétravail ayant, par exemple, profondément modifié les habitudes dans l'entreprise. Comment « faire ensemble », désormais ?
Clairement, on ne peut le nier, la crise sanitaire et le confinement nous a rapproché en nous éloignant. Nous sommes en train de retisser tous ces liens. Et on ne peut retrouver la même façon de travailler qu'il y a cinq ans. La recherche de sens dans son travail, n'est, à mon sens, pas nouveau. C'est simplement qu'aujourd'hui on l'affirme haut et fort.
Quel regard portez-vous sur la transformation de l'économie ?
Je suis optimiste. Un chef d'entreprise doit être optimiste. Et un chef d'entreprise veut sortir des sentiers battus. Nous vivons une période analogue à la révolution connue au XIXème siècle, où l'émergence de la machine à vapeur a transformé l'ensemble de l'industrie. Le nouvel or noir, c'est la data, qui lorsqu'on l'analyse permet de réinventer le monde dans lequel on vit. Certains préfèrent demeurer dans leur zone de confort, d'autres comprennent que sortir de la zone de confort permet, à terme, de retrouver une zone de confort plus... confortable. Concernant l'industrie, la chance que nous avons est que l'industrie 4.0 peut nous faire gagner le retard pris, notamment face à l'Allemagne. Mais, attention à ne pas faire deux fois la même erreur.
Quel regard portez-vous sur le développement économique de l'Afrique, sur les potentiels du continent, sachant qu'il devrait concentrer une grande part de la croissance mondiale dans les décennies à venir ?
L'Afrique est clairement le continent de demain, mais nous devons faire l'effort d'investir dans ce continent. Sa première richesse, c'est sa population, jeune. Sa deuxième richesse c'est qu'il n'a pas de legacy, il n'est donc pas nécessaire de convaincre que l'idée précédente n'est plus la bonne. Sa troisième richesse enfin, c'est la position que l'Afrique peut prendre face au duopôle Etats-Unis/Chine. L'Afrique peut, en s'alliant à l'Europe, représenter une troisième voie de poids. Le monde s'organiserait alors autour de trois verticales, l'Amérique, l'Asie et l'Europe/Afrique. Si ces trois blocs entrent dans un dialogue positif, ils peuvent s'émuler. Au-delà, je déplore que l'Europe et l'Afrique ne réussissent pas à renouer le lien. Il faut donner des perspectives aux Africains qui ont envie d'entreprendre, de changer le monde. Et cela ne se fait pas uniquement en donnant accès au micro-financement...
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