Hosni Zaouali : de mésaventures en métavers

Hosni Zaouali s'appuie sur la matière grise de la Silicon Valley pour révolutionner les codes de l'enseignement. Grâce à son métavers pour l'éducation, son entreprise, Adaptika, est en pleine montée en puissance depuis l'arrivée de la pandémie... Retour sur le parcours de ce « self-made man » né en Tunisie au début des années 1980.
(Crédits : Adaptika)

Un physique d'acteur et une décontraction à l'américaine ne laissent transparaître aucun stigmate d'une enfance à la Dickens. Pourtant, Hosni Zaouali revient de loin... En 1980, l'entrepreneur voit le jour à Moknine, un petit village de pêcheurs et de potiers, situé non loin de Monastir en Tunisie. Rêvant d'un avenir meilleur, la mère au foyer et le père qui boucle des fins de mois difficiles avec des contrats « à la petite semaine » décident de s'embarquer pour la France avec leurs enfants, alors qu'Hosni n'a qu'un an. Il est le second d'une fratrie de six frères et sœurs. Les Zaouali s'installent dans le quartier défavorisé du Stade à Chalon-sur-Saône. « La violence faisait partie du quotidien et je me battais tous les jours », se souvient Hosni. A la maison, la situation n'est pas meilleure et l'enfant grandit dans un environnement familial dysfonctionnel. On ne parle pas le français chez les Zaouali et l'école n'est pas une sinécure.

A l'adolescence, les violences de rue tournent mal et Hosni expédie un enfant du quartier à l'hôpital. Déféré devant la justice, « pendant plus d'un an, je partais au tribunal avec ma mère qui ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait », se souvient-il. C'est un tournant décisif. Il est envoyé en école sport-étude (natation et athlétisme) où il apprend la discipline. Il finira par obtenir un baccalauréat scientifique (série S) à l'âge de 17 ans. Ses professeurs nourrissent de grands espoirs pour le jeune homme et le poussent vers des études de médecine. « C'était un peu trop ambitieux, car cela demandait une rigueur que je n'avais pas », reconnait-il rétrospectivement.

A la fin de cette première année de médecine, la mère de Hosni tombe gravement malade. « Je décide de rentrer à Chalon-sur-Saône pour me rapprocher de ma famille et je m'inscris en IUT de Génie industriel et nucléaire », précise-t-il. Deux ans plus tard, la santé de sa mère s'améliorant et son DUT en poche, il décroche le concours de Sup-de-Co à Toulon. Les deux premiers élèves de la promotion avaient accès à une bourse d'études supérieures pour suivre un 3e cycle en Amérique du Nord. Il ne ménage pas ses efforts pour obtenir le sésame et atterri en 2008 au Canada qu'il ne quittera plus.

L'Amérique du Nord ou le champ de tous les possibles...

Peu après son arrivée au Québec, Hosni fait une rencontre décisive dans le cadre de son Master en Développement international. A l'Université de Laval, il croise le chemin d'un enseignant iconoclaste qui avait jadis traîné ses guêtres en Afrique, répondant au nom de Gérard Verna. « Nous n'étions que cinq Africains dans la classe et il nous menait la vie dure », se souvient-il. « Un jour, il nous convoqua dans son bureau pour nous dire que nous n'avions pas d'autre option que d'être les meilleurs de la promotion, sans quoi c'était l'échec assuré, du simple fait de nos origines ». Le discours est incisif mais porte ses fruits. « Finalement, on a tous réussi », concède-t-il amusé. « Quand je rentrais voir mes parents en Bourgogne, ils ne comprenaient pas ce que je faisais encore à l'école et pourquoi je n'avais toujours pas de voiture... ».

Sûr de son destin, Hosni s'obstine. « Une fois diplômé, j'ai voulu  améliorer mon niveau d'anglais. Je suis parti avec 300 dollars en poches à Toronto. Pendant trois mois, assis dans le métro, j'écoutais les discussions des passagers et je répétais automatiquement ce qu'ils disaient ». Il renforcera ensuite son niveau d'anglais grâce à des cours d'acting, dont il conserve aujourd'hui une certaine aisance lors de ses prises de parole en public.

« A l'occasion d'une soirée organisée par une amie qui m'hébergeait sur son canapé, l'une des invitées m'a proposé d'enseigner l'anglais à des francophones. C'était insensé, car j'étais moi-même en plein apprentissage de l'anglais, mais j'ai accepté ». Ainsi naissait la vocation du Franco-tunisien (qui obtiendra la nationalité canadienne à l'âge de 30 ans)

Deux ans plus tard, sollicité par des parents d'élèves pour enseigner la langue de Molière à des élèves anglophones, il décide de structurer son offre et crée Voilà Learning, une école dématérialisée de tutorat en français, qui deviendra vite un point d'atterrissage pour les primo-arrivants de l'Hexagone à Toronto.

« Simultanément, j'ai créé Voilà Community Help, un fonds de solidarité qui permettait aux familles les plus aisées de contribuer au financement des cours des élèves les plus modestes (frais d'inscription et achat d'équipements pédagogiques, ndlr). Cette solution offrait la possibilité aux élèves d'interagir avec des professeurs canadiens, quel que soit l'endroit où ils vivaient », explique-t-il.

Reconnexion avec l'Afrique et cap sur Somaliland !

« Chaque été, jusqu'à l'âge de 16 ans, je retournais dans mon village natal où je retrouvais une certaine liberté. Mais à mon arrivée au Canada, il n'y avait bien que les Canadiens pour me rappeler mes origines africaines », admet-il. La reconnexion avec le continent passera par l'entrepreneuriat dans l'éducation, à travers Tuteurs of Toronto (TofT), une antenne régionale de Voilà Learning. Une fois de plus, Hosni ne choisit pas la facilité et opte pour Somaliland. « J'avais entendu le discours d'un représentant des Nations Unies qui expliquait que la Somalie était l'enfer sur terre pour les enfants âgés de moins de 12 ans », précise-t-il. Cette déclaration fait écho à son enfance traumatisée. Exemple de méritocratie élevé à l'école de la République française, « c'est par l'école que je m'en suis sorti et c'est par l'éducation que je cherchais à développer mes activités pour aider le plus grand nombre d'enfants, en particulier en Afrique », ajoute-t-il.

En 2012, il part donc pour Hargeisa, la capitale d'un pays (non reconnu par les instances internationales) qui vient à peine de voir le jour, situé à plus de 1 000 km au nord de Mogadiscio, en dépit des avertissements des autorités consulaires françaises et canadiennes.

Pendant plusieurs semaines, il met en place un projet pilote de tutorat virtuel et distribue des tablettes numériques aux élèves somaliens. Il s'agit d'une opération à petite échelle qui touche 200 élèves, mais qui lui vaudra à son retour au Canada une popularité inattendue. « Je suis soudainement sollicité par les plus grands médias de BBC à Radio Canada ».

Stimulé par cette épopée, il renouvellera l'expérience au Ghana, en Afrique du Sud, au Nicaragua et en Haïti, parfois à ses risques et périls. « C'est grâce aux conseils de mon ancien professeur Gérard Verna que j'ai échappé au pire ». Menacé en pleine jungle haïtienne par des hommes munis d'armes blanches venus le détrousser, il reproduit un exercice d'auto-défense enseigné jadis par l'ancien professeur décidément peu ordinaire...

En 2017, il comprend que le modèle économique de Voilà Learning atteint ses limites et cherche à consolider ses acquis en développant une nouvelle offre. C'est un autre tournant dans la vie de Hosni Zaouali qui entre temps est devenu père de famille, marié avec une chirurgienne d'origine somalienne rencontrée au Canada.

Entrepreneur à succès et devenu président du Conseil de la coopération de l'Ontario (CCO) (2017-2021), Hosni Zaouali développe son réseau jusqu'à la Silicon Valley californienne. Depuis 2021, il est missionné par le Fonds international de développement agricole (FIDA) des Nations Unies pour élaborer l'architecture d'une plateforme de formation online à destination des agriculteurs africains.

Adaptika ou le métavers au service de l'éducation universelle

Devenu consultant pour la prestigieuse Université de Stanford (par laquelle sont passés une vingtaine de Prix Nobel et les fondateurs de Google, Tesla & SpaceX, Yahoo, LinkedInd, Snapchat ou Instagram), il vit aujourd'hui entre Toronto et la Silicon Valley« C'est là que tout se passe. On y trouve aussi bien les génies de l'informatique que les meilleures capacités opérationnelles. C'est aussi dans la Silicon Valley que se réalisent 55% des deals en capital-risque aux Etats-Unis », précise-t-il.

Fin 2019, il fonde Tech-AdaptiKa Solutions Inc., la formule améliorée de Voilà Learning, avec Carrie Purcell (spécialiste de la transformation numérique passée par Oxford University, dotée d'une solide expérience en recherche et innovation dans l'enseignement supérieur).

« Je voulais sortir des connexions unidirectionnelles comme Zoom ou Skype qui isolent les élèves et conduisent trop souvent à la démotivation. Depuis la nuit des temps, les hommes apprennent à travers l'enseignement collaboratif (...) J'ai donc investi tout ce que j'avais dans Adaptika pour pallier cet écueil grâce à notre métavers pour l'éducation sur lequel nous travaillons depuis 2017 », explique-t-il.

En partenariat avec l'Université de Toronto George Brown, le campus de réalité virtuelle d'Adaptika où circulent des avatars personnalisés voit le jour en novembre 2019. Etudiants et enseignants peuvent interagir à leur guise, circuler dans la bibliothèque, échanger à la cafétéria, assister aux cours et à des conférences ou même visiter une exposition. Les cours sont entièrement gratuits pour les élèves et disponibles sur Youtube Creator Academy.

Peu après la création de la société, une partie du monde se retrouve confiné. L'arrivée de la pandémie de Covid-19 vient bouleverser les usages et favorise le développement d'Adaptika qui passe d'une dizaine à une cinquantaine de collaborateurs en quelques semaines. « D'un seul coup, avec la fermeture des campus, de nombreuses écoles et universités nous ont sollicités, car elles se sont vite rendu compte que les formats utilisés ne fonctionnaient pas. Notre campus virtuel qui propose plusieurs points de contact a fait mouche et nous avons multiplié nos clients par 10 », se réjouit Hosni Zaouali.

Les services proposés par Adaptika intéressent également les entreprises pour le développement de leurs formations internes, mais Hosni Zaouali assure que son objectif premier reste l'éducation pour tous et notamment en Afrique. « Le continent africain doit faire face à l'urgence de la formation avec les 2,4 milliards d'habitants attendus d'ici 2050 selon l'ONU », explique-t-il. « Cette solution permettra notamment de freiner la fuite des cerveaux du continent dont je suis moi-même l'exemple », poursuit l'entrepreneur.

En pleine campagne de recrutement, Adaptika cherche à lever 725 millions de dollars auprès des investisseurs américains. A ce jour, la société compte déjà entreprises et institutions de premier plan parmi ses clients (sur lesquels le fondateur préfère rester discret) dont le nombre devrait vite augmenter, suite à la nouvelle dénomination de Facebook devenu il y a quelques jours « Meta », propulsant le métavers (« réalités augmentée » et « réalité virtuelle ») au cœur des intérêts stratégiques de la tech mondiale. « Il est clair que cela a renforcé l'intérêt des investisseurs américains pour Adaptika », confirme Hosni Zaouali qui entend bien décloisonner le monde de l'éducation sur la base d'un métavers qui fait de plus en plus parler de lui...

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.