Maroc : ce que révèle le tragique évènement de Rayan sur la force des réseaux

Rayan, cet enfant de cinq ans, qui, au grand dam de ses concitoyens et du monde, a péri dans un puits creusé par ses parents dans un flanc montagneux rifain du Maroc, malgré les efforts déployés pour le sauver, a tenu le monde entier en haleine pendant cinq jours. Il n'en a pas moins laissé de multiples enseignements, dont celui de l'importance de communiquer juste en temps de crise, et de tenir compte pour cela, de la réalité du monde moderne, celui de « l'âge des réseaux ».
(Crédits : LTA)

Anne-Marie Slaughter affirme que « Le monde ne peut plus être représenté uniquement par une carte faite de séparations, mais par une carte faite de connexions, ignorant les frontières nationales » (The chessboard and the web : strategies of connection in a networked world, Yale U.P, 2017).

Les réseaux, « ces groupes de personnes réunies de façon continue par une multitude de liens et de nœuds, visibles ou informels », sont désormais incontournables pour comprendre les multiples défis et menaces contemporains, de toutes natures, et pour y faire face. Ce vaste réseau de connexions mondiales, cet « âge des réseaux », englobe les flux commerciaux et financiers, les flux logistiques, les réseaux criminels et terroristes, le monde des artistes et de la culture, ou encore les médias sociaux. Ces réseaux connectés qui renforcent la complexité du monde moderne s'ajoutent à ce qui a pendant très longtemps été décrit comme un simple échiquier mondial empreint de compétition entre nations.

Ces réseaux qui fonctionnent aux niveaux national et mondial, et entre lesquels il y a des liens continus, instantanés, malgré leur diversité et éparpillement, permettent de résoudre, selon Slaughter, trois types de problèmes globaux qui collent parfaitement au cas de Rayan : les problèmes d'exécution qui « nécessitent la mise en œuvre d'un ensemble de tâches spécifiques par des individus ou des organisations pour accompagner un objectif concret » ; les problèmes d'échelle « qui se posent lorsque les défis nécessitent d'avoir recours à des réseaux de réplication, de coordination et de cumul » ; et les problèmes de résilience, qui « impliquent d'éviter ou d'affronter une crise d'origine humaine ou naturelle, et qui peuvent être résolus par les réseaux de défense, de réponse et de stabilisation ».

Les étudiants en gestion et autres disciplines, savent dès leur première année, que plus on est connecté à des réseaux, mieux on est audible et susceptible de bénéficier d'une intelligence collective et, in fine, d'influencer. Ils savent aussi que la gestion de crise est une science et une pratique à part entière.

L'incident Rayan, qui aurait pu passer inaperçu, a pris une ampleur mondiale, grâce aux réseaux sociaux. Il a parmi les multiples dimensions qu'il revêt, mis au-devant de la scène l'importance de la gestion de la communication de crise, volet central de la gestion de crise.

Deux positions avaient été possibles en ce cas d'espèce. Soit, prendre en mains de manière autoritaire, la communication en écartant tout « intrus », pour se mettre à distiller des messages-communiqués officiels, savamment contrôlés. La méthode « Hard ». Soit, privilégier la méthode « soft », celle qui correspond à ce que le Maroc est, un pays libéral et ouvert. Laisser les gens suivre en direct les évènements, s'exprimer, s'émouvoir, critiquer s'il le faut. Tout en veillant à l'essentiel, agir pour l'essentiel.

Non que la communication de crise n'y fût pas. Elle y était tout en souplesse. Surtout, qu'il n'y avait rien à cacher. En plus, les réseaux sociaux, et par la suite les chaines nationales et mondiales, y étaient, et on ne pouvait ni on ne devait empêcher, tout ce monde, journalistes professionnels et relais occasionnels, d'effectuer librement leur travail.

Le Maroc a, ainsi, réussi sur l'essentiel : « Déplacer une montagne pour essayer de sauver un de ses enfants », message poignant relayé par les réseaux sociaux ; communiquer juste en se plaçant dans l'âge des réseaux ; et laisser le monde apprécier combien le lien social est fort dans un Maroc stable et ouvert.

De fait, les réseaux se sont mobilisés, à travers les médias sociaux, permettant d'abord d'alerter sur l'incident, de mobiliser les acteurs concernés, y compris des acteurs de la société civile (le professionnel « Ammi Ali » et d'autres), et de suivre le déroulé des évènements en informant à large échelle le monde entier en continu.

Rappelons juste les b.a.-ba infrastructurels de cette crise : l'école, la route, l'électricité, le téléphone et internet. Le Maroc a fait preuve de résilience sur toute cette chaine. Les chemins montagneux sont fonctionnels, l'électricité disponible, et internet irrigue suffisamment les montagnes du Rif sans coupures. Quant à l'école, elle était prête à accueillir Rayan, son cartable bleu faisant foi. Un effort à faire encore, la sœur de Rayan a été sevrée de scolarité par le choix de sa famille pour des considérations de tradition et de moyens.

Reste, aussi, le problème à la base de l'incident, la rareté de l'eau qui frappe le pays entier, y compris sa zone nord la plus pluvieuse et que l'année sèche en cours accentue davantage. Le stress hydrique aigu nécessite une mobilisation générale, tant la priorité absolue est de mettre l'eau à la disposition des populations. On a encore des marges de manœuvre, un potentiel mobilisable, un rééquilibrage entre les usages actuels, une lutte contre les pertes et les gaspillages. Des sources novatrices devraient être mobilisées, en sus de la désalinisation de l'eau de mer, à travers les énergies renouvelables et nucléaires.

Peut-on aller jusqu'à dire que les réseaux vont finir par remplacer les Etats ? En tout cas, les Etats à fort leadership, ceux qui mobilisent tout leur potentiel, y compris les réseaux, pour des considérations humaines et sociales, comme l'a fait le Royaume du Maroc à cette triste occasion, et contre Covid, méritent des égards. Qui plus est ont suscité l'admiration et la reconnaissance mondiales. En Etat, ouvert et non autoritaire, le Maroc a su laisser faire les réseaux sociaux, qui ont renforcé encore plus le lien social qui unit les Marocains. Des dépassements ont eu lieu. Il faudrait les traiter.

Pour la Région et le monde, Rayan a envoyé un message encore plus fort aux dirigeants des pays qui croient que fermer des frontières, construire des murs, creuser des tranchées, peuvent les prémunir des influences d'outre-frontières. Ils se trompent lourdement. « Open up ! », dixit feu Rayan !

(*) Economiste, fondateur de l'Association marocaine des économistes d'entreprise (AMEEN) et chercheur à l'Institut marocain d'intelligence stratégique (IMIS)

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Commentaire 1
à écrit le 10/02/2022 à 19:44
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"L'Age des réseaux" donne aux communiquants, marketiciens et politiques, bien des soucis.

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