Cameroun : quand révéler des « malversations financières » coûte la vie aux journalistes ?

Le meurtre du journaliste Martinez Zogo au Cameroun suscite la consternation générale. Kidnappé le 17 janvier alors qu’il venait de révéler un énième « scandale financier », l’autopsie de sa dépouille mortelle démontre qu’il a succombé à des actes de torture. Alors que le gouvernement dit avoir ordonné l'ouverture d'une enquête, les communautés nationale et internationale réclament justice et s'interrogent quant à l’avenir de la presse dans le pays.
(Crédits : DR)

Le corps mutilé à outrance de Martinez Zogo a été découvert sans vie, dimanche 22 janvier, à Ebogo, dans la banlieue de Yaoundé. Le journaliste a été assassiné après avoir été enlevé le 17 janvier. Des faits qui se seraient déroulés à proximité d'un commissariat, selon Reporters sans frontières (RSF). Le jour même, dans son émission culte « Embouteillage » sur les ondes d'Amplitude FM dont il était le directeur, il avait fait un certain nombre de révélations au sujet de « malversations financières » autour des lignes budgétaires couvrant les dépenses publiques et des interventions en investissement sur la période 2010-2021, soit 11 ans. Au total : 5 400 milliards de francs CFA, soit plus de 8,2 milliards d'euros.

« Les Camerounais suivaient assidûment son émission »

Ses révélations impliquaient souvent plusieurs personnalités des secteurs public et privé citées nommément, comme à son habitude. D'ailleurs accusé de diffamation en 2020, le journaliste avait été détenu à titre préventif pendant deux mois. Mais cela ne l'avait pas empêché de poursuivre ses investigations et de révéler d'autres affaires. « Les Camerounais suivaient assidûment son émission. J'en étais moi-même une fidèle auditrice », confie à LTA une entrepreneure d'une cinquantaine d'années.  Ce jour-là [le 18 janvier, NDLR], poursuit-elle, il disait même à l'antenne en révélant cette dernière affaire : ''vous allez seulement me tuer, mais je ne vais pas me taire''. Il le disait et appuyait son propos de plusieurs documents. Nous sommes tous choqués ».

Ce choc a été largement exprimé par l'ensemble de la profession -au niveau national et international- qui a dénoncé une « assassinat odieux ». Les journalistes camerounais ont prévu de se vêtir en noir et d'organiser une manifestation le 25 janvier. Plusieurs acteurs de la presse ont estimé que le meurtre de Zogo était un message indirect à l'endroit des acteurs des médias. Le célèbre journaliste camerounais Alain Foka exprime, sur Twitter, son inquiétude face à l'avenir: « On croyait avoir touché Ie fond, mais l'assassinat du journaliste Martinez Zogo avec des méthodes de la mafia nous fait craindre que le pire soit à venir. Jusque quand durera cette imposture ? Espérons que cette fois ci la justice qui joue la crédibilité du Cameroun fera son travail ».

Tout comme la profession, l'UE s'indigne

Les images de la dépouille de Zogo font le tour de la Toile depuis dimanche. Les résultats de l'autopsie effectuée sur sa dépouille mortelle ont effectivement confirmé qui a l'objet de torture. Le gouvernement a déclaré avoir diligenté une enquête. « Des recherches actives se poursuivent dans le cadre de l'enquête ouverte, pour retrouver et traduire devant la justice les auteurs de ce crime odieux, inqualifiable et inadmissible, et qui ne peut se justifier sous aucun prétexte », indique dans un communiqué René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement.

L'Union européenne (UE) s'est jointe, lundi, à « la vague d'indignation » et « partage les inquiétudes » des acteurs des médias dans le pays. « Il est essentiel qu'une enquête approfondie, déjà annoncée par les autorités, éclaire au plus vite toutes les circonstances de ce meurtre et que les responsables soient traduits en justice », a déclaré Nabila Massrali, porte-parole pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité de l'UE.

Depuis deux jours, une rumeur se veut persistante autour d'une prétendue liste de journalistes à abattre en circulation sur les réseaux sociaux et reprise par certains acteurs des médias. L'opposant Maurice Kamto y a réagi, tenant « l'Etat du Cameroun et ses services de sécurité pour responsable » si un journaliste était à nouveau victime de meurtre

Plusieurs estiment que le directeur d'Amplitude FM a été victime de la « guerre de succession entre clans opposés » au sein de l'actuel régime camerounais. Lors d'une rencontre avec Haman Mana, Président de la Fédération des Éditeurs de Presse du Cameroun, le ministre de la Communication aurait assuré de la disposition du gouvernement à s'engager aux côtés des journalistes.

Le patronat en appelle aux pouvoirs publics

Dans les milieux d'affaires aussi, cette affaire résonne mal. Qualifiant cette affaire de « monstrueuse tragédie » dans un communiqué, le président du Groupement inter-patronale du Cameroun (Gicam), Célestin Tawamba, rappelle que « le premier moteur de l'investissement, dans tous les pays, est la confiance qu'induit une sécurité minimale assurée aux personnes et à leurs biens par les pouvoirs publics ».

Ce mardi, René Emmanuel Sadi s'est rendu dans les locaux d'Amplitude FM pour adresser ses condoléances aux collaborateurs et à la famille proche du regretté journaliste. Mais à Yaoundé et au-delà, la suite de cette terrible affaire fait l'objet d'expectatives dans ce pays classé 118ème (sur 178) dans l'indice 2022 de la liberté de la presse de RSF. L'ONG réclame la justice dans le meurtre de Martinez Zogo : « cette exaction commise contre un journaliste qui n'a fait que son travail ne doit pas rester impunie ».

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