« L’Afrique a été trop longtemps tributaire des bonnes intentions des autres»

Le Secrétaire général adjoint de l’ONU et secrétaire exécutif de la commission économique de l’Afrique (CEA), Carlos Lopez qui quitte son poste en fin de mois est à Lomé dans le cadre du Sommet sur la sécurité et la sûreté maritime. Alors qu’il a participé aux échanges avec les délégations et les experts en prélude à la signature de la Charte, il nous livre son regard expert sur l’enjeu de la sécurité maritime dans une interview exclusive.

LTA:  Certains estiment que l'organisation d'un sommet sur la sécurité maritime ne constitue pas une urgence pour les pays africains. Votre avis est tout autre...

Carlos Lopez : La sûreté et la sécurité maritimes sont primordiales pour le développement de l'Afrique. En raison du développement des économies africaines, conjugué à une croissance démographique et à une urbanisation rapide, la pression exercée sur les côtes et les ressources marines, s'intensifie. Le trafic portuaire par exemple, devrait connaître une forte augmentation, passant de 260 millions de tonnes en 2009 vers 2 milliards de tonne vers les années 2040. Alors, des ports plus sûrs et plus efficaces pourraient d'une part, permettre de renforcer l'intégration régionale en Afrique, et d'autre part, jouer un rôle crucial dans la mise en place de la zone continentale de libre-échange. Ils permettraient également de renforcer l'industrie manufacturière émergente, de fournir d'importantes recettes aux gouvernements et de créer des emplois pour de nombreux Africains.

Justement, quelles sont les menaces qui pèsent sur les ports du continent?

Les menaces qui pèsent sur la zone maritime africaine sont bien connues. La criminalité transnationale organisée (CTO), notamment le trafic d'armes et de drogue, la piraterie et le vol à main armée en mer, le mazoutage illégal, le vol de pétrole brut le long des côtes africaines, le terrorisme maritime, la traite d'êtres humains et le transport illégal parfois maritime de demandeurs d'asile, la pêche et la surpêche illicite non réglementée et non déclarée (INN), les crimes écologiques tels que les naufrages délibérés, les déversements intentionnels d'hydrocarbures et l'immersion de déchets toxiques, tout cela constitue des sujets de préoccupation majeure. Le trafic de conteneurs (7 millions par jours sont utilisés dans le monde) constitue un autre problème de taille. L'expérience récente indique que des conteneurs, sont utilisés pour toute sorte de transport clandestin allant des terroristes aux produits interdits. Il faut que tout cela soit contrôlé.

 La sûreté et la sécurité maritime se heurtent à la vulnérabilité des cadres juridiques existant, au manque ou à l'insuffisance d'aide à la navigation, ainsi qu'à l'absence d'étude hydrographique moderne, de carte nautique à jour et d'information sur la sécurité maritime dans plusieurs états Africains

A quoi est dûe cette recrudescence de ces menaces?

En fait, la sûreté et la sécurité maritime se heurtent à la vulnérabilité des cadres juridiques existant, au manque ou à l'insuffisance d'aide à la navigation, ainsi qu'à l'absence d'étude hydrographique moderne, de carte nautique à jour et d'information sur la sécurité maritime dans plusieurs états Africains. Même là où ces lacunes n'existent pas, force est de reconnaître qu'en haute mer, l'administration du domaine océanique est extrêmement difficile, et qu'à l'échelle régionale l'ensemble hétéroclite de réglementation peut s'avérer d'une complexité qui n'est guère propice à leur application.

Lire aussi : "Les Etats Africains doivent simplement apprendre à travailler ensemble""

 Non seulement ces menaces entraînent un affaiblissement du transport maritime vers l'Afrique, mais elles affectent aussi directement le flux de trafic portuaire, étant donné que les navires évitent les itinéraires considérées comme risquées. Leur impact a été particulièrement négatif sur la forme d'une réduction de trafic en provenance et en destination des ports africains, situés entre la Mer rouge et l'Océan indien, près des côtes somaliennes et dans le golfe de Guinée.  Bien que les actes de piraterie commis dans le détroit du Malacca aux larges de la Malaisie et de Singapour soient beaucoup plus nombreux qu'aux larges de la Somalie, l'idée qui prévaut est tout autre.

Pour réaliser le plan potentiel de l'économie bleue, et faire face aux menaces et aux vulnérabilités d'aujourd'hui, il faut une approche globale et intégrée, fondée sur des indicateurs combinés de mesures de la croissance et du progrès, qui soit conçu, de façon à établir un lien entre les succès économiques et la gestion de nos ressources naturelles

Quelles sont vos recommandations aux Etats qui participent au sommet de Lomé?

L'importance stratégique de la sécurité de nos zones maritimes ne saurait être sous-estimée. Pour réaliser le plan potentiel de l'économie bleue, et faire face aux menaces et aux vulnérabilités d'aujourd'hui, il faut une approche globale et intégrée, fondée sur des indicateurs combinés de mesures de la croissance et du progrès, qui soit conçu, de façon à établir un lien entre les succès économiques et la gestion de nos ressources naturelles. Lors de l'élaboration de cette approche, il faudra garder à l'esprit quelques idées fondamentales.

Lire aussi : Sommet de Lomé : suivez le fil des faits marquants

 En premier lieu, il nous faut évaluer nos richesses bleues, dans le but de protéger cette importante ressource et d'optimiser sa mise en valeur et sa gestion au fond d'une transformation structurelle et d'un développement durable inclusif. En deuxième lieu, il nous faut privilégier la coopération régionale pour lutter efficacement contre les menaces qui pèsent sur la sécurité maritime. Il faut renforcer la coordination et la réglementation à l'échelle transnationale, pour combattre les diverses activités illégales menées sur de vastes zones et à travers les frontières, en prenant en compte la disparité des juridictions régissant les eaux territoriales, les zones économiques et exclusives, la haute mer, dans le contexte d'une mauvaise démarcation des frontières maritimes. Pour ce faire, il faudra renforcer les moyens d'observation, de contrôle et de surveillance dans ces différents espaces. Le rôle des organismes régionaux et sous-régionaux, tels que l'Union Africaine, les commissions économiques régionales, est crucial, tout comme le serait celui des autres mécanismes de coopération régionale.

Je suis convaincu que le sommet débouchera sur des recommandations utiles qui aideront l'Afrique à réussir ses paris. Il le faut, pour nos enfants.

Au vu de toutes ces menaces, qu'attendre de ce sommet ?

Ce sommet se tient à un moment opportun en ce qu'il constitue une occasion unique et stratégique pour examiner en profondeur quelques uns des principaux défis que les pays africains doivent relever pour évaluer et exploiter de manière optimale le potentiel qu'offre l'économie bleue en matière de transformation. Pour peu qu'elle soit bien sécurisée et judicieusement exploitée, notre économie bleue peut contribuer de manière significative à la transformation et à la croissance de nos pays. Je suis convaincu que le sommet débouchera sur des recommandations utiles qui aideront l'Afrique à réussir ses paris. Il le faut, pour nos enfants.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.