Maurice : une journée à marquer d’une pierre noire

Le 25 juillet 2020, Wakashio, un des plus gros navires Capesize au monde, en provenance de Chine, traverse l'Océan indien pour gagner le Brésil. Et, tandis qu'il approche de la côte sud de Maurice, il s'échoue sur un récif corallien. Quelques jours plus tard, le gigantesque vaisseau (géré par MOL) commence à déverser son pétrole dans un paradisiaque lagon de l'île.
(Crédits : Greenpeace Afrique)

Le 25 juillet 2020, à 1 heure du matin à Tokyo, M. Junichiro Ikeda, alors PDG de la société de transport maritime Mitsui O.S.K. Lines (MOL), se trouvait probablement déjà au lit. Au même moment, à Londres, Bernard Looney, PDG de British Petroleum (BP), était vraisemblablement en train de profiter d'un agréable week-end. Ainsi, les deux hommes ont sans doute passé une journée tout à fait ordinaire. Une journée de celles que l'on oublie.

Ce n'est pas le cas des 1,2 million d'habitants de l'île Maurice. Par cette soirée légèrement nuageuse, l'île a été frappée par la pire catastrophe environnementale de son histoire.

Le Wakashio, un des plus gros navires Capesize au monde, en provenance de Chine, traversait l'océan Indien pour gagner le Brésil. Et, tandis qu'il approchait de la côte sud de Maurice, il s'est échoué sur un récif corallien. Quelques jours plus tard, le gigantesque vaisseau (géré par MOL) a commencé à déverser son pétrole (fourni par BP) dans un paradisiaque lagon de l'île.

Mi-août, après que le vraquier s'est brisé en deux, près de 1000 tonnes d'huiles fossiles toxiques se sont écoulées dans les eaux et sur les côtes de Maurice, détruisant les sources de revenus d'innombrables pêcheurs et travailleurs du secteur du tourisme. Des milliers de personnes ont mis en danger leur santé en se battant contre la marée noire, souvent à main nue, fabriquant des barrages flottants avec leurs cheveux

Le gouvernement mauricien s'est empressé de couler la partie avant du Wakashio sur le site d'une nurserie de baleines (malgré les mises en garde des organisations environnementales). Par la suite, 50 carcasses de baleines et de dauphins ont été retrouvées sur les plages mauriciennes, mais on ne saura peut-être jamais si l'échouage de la proue du Wakashio a contribué à la mort de ces cétacés, car aucune information à ce sujet n'a été divulguée. En outre, au moins trois membres de l'équipage d'un remorqueur ont perdu la vie en essayant de nettoyer la fuite de pétrole.

Hélas, le gouvernement mauricien a fait le choix de protéger les groupes industriels et de ne pas rendre publiques certaines informations vitales. Un an plus tard, on ne sait toujours pas clairement quels types d'hydrocarbures se sont échappés du Wakashio et on ne sait pas pourquoi la proue du navire a été coulée au lieu d'être remorquée et recyclée. Les résultats des autopsies des carcasses de dauphins n'ont pas été publiés. Les conséquences de la marée noire n'ont pas été évaluées. Les conditions du plan de dédommagement de MOL n'ont pas été rendues publiques. Et il existe toujours un risque d'écoulement, avec toutes ses conséquences, tant que le démantèlement du vraquier n'est pas mené à terme. Enfin, une grande partie de la zone touchée reste inaccessible aux scientifiques, aux ONG et aux médias.

Peu après la catastrophe, M. Junichiro Ikeda, de MOL, a présenté ses excuses et déclaré que "l'incident du Wakashio ne doit jamais se reproduire". Mais la triste vérité, c'est que depuis l'échouage du Wakashio, de nombreux autres "incidents" pétroliers sont survenus, depuis le Venezuela jusqu'au Sri Lanka, en passant par Israël. Et d'autres désastres semblent imminents au moment où nous écrivons ces lignes, notamment dans les eaux de la mer Rouge, au large du Yémen, où stationne le navire de stockage le Safer, dont l'état ne cesse de se dégrader. La catastrophe du Wakashio est une sombre illustration des dysfonctionnements des secteurs du transport maritime et du pétrole, et des gouvernements mondiaux dont le rôle est de les encadrer.

Malheureusement, l'extraction et l'utilisation du pétrole s'accompagnent toujours de risques, de même que son transport. Le monde industriel le sait, mais il ne ressent pas le besoin de changer les choses, alors même que nous vivons une triple crise - sur les plans du climat, de la biodiversité et de la pollution. Le secteur du transport maritime assure le transport de 90 % des biens mondiaux et, d'ici 2050, il devrait être responsable de 17 % des émissions mondiales de CO2, sortant ainsi du cadre de l'accord de Paris. Or les gouvernements du monde entier et l'Organisation maritime internationale (OMI) le laissent opérer impunément ; ils ignorent les appels à la mise en place de réglementations plus strictes et s'opposent à toute forme de décarbonisation.

L'année dernière, BP a vu ses profits d'abord chuter (principalement à cause du COVID-19) puis retrouver leurs niveaux antérieurs, tandis que MOL a confirmé sa position de deuxième plus grand propriétaire de navires au monde. Ainsi, BP et MOL ont rapidement tourné la page du 25 juillet. Nombre de Mauriciens, qui vivent encore avec les conséquences de la marée noire, ne parviennent pas à le faire. Aussi est-il vital que nous ne tournions pas la page ; le monde ne peut pas se permettre d'oublier cette tragédie.

Si nous l'oublions, les dirigeants politiques du monde entier et l'OMI continueront de se comporter avec complaisance à l'égard du secteur industriel, sans remettre en question le modèle économique de géants comme BP et MOL. Ils continueront de gérer la crise climatique à coups de tweets alors que des politiques et des actions ambitieuses s'imposent. Les marées noires continueront de polluer. Les incendies continueront de réduire les forêts en cendres. Les inondations, les cyclones et les vagues de chaleur extrêmes continueront de tuer.

Toutes ces catastrophes peuvent nous aider à choisir une voie plus verte. À Maurice, le gouvernement a demandé que ses eaux territoriales soient classées comme Zone maritime particulièrement vulnérable, comme le proposait l'an dernier Greenpeace. Autre signe encore plus encourageant, les jeunes Mauriciens se battent désormais pour protéger les zones humides, les arbres et les mangroves de leur île. Ils marchent dans les rues de Port-Louis et adhèrent à des organisations pour faire changer les choses. De plus en plus de jeunes Africains se battent contre la destruction capitaliste postcoloniale de leurs pays alors que se profile une crise climatique potentiellement catastrophique. Pour que le 25 juillet ne tombe pas dans l'oubli, nous devons les soutenir, dans leur combat et dans leur quête de vraies solutions.

- Bruneau Laurette est un militant mauricien pour les droits sociaux.

- Rama Valayden est un travailleur social et un homme politique mauricien, ex-ministre de la Justice.

Melita Steele et HisayoTakada sont respectivement directrices de programme pour Greenpeace Afrique et Greenpeace Japon.

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Commentaire 1
à écrit le 29/07/2021 à 7:58
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Battez vous les jeunes pour protéger votre île et les alentours ily à que vous qui pouvez faire quelque-chose

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