Puissances africaines et Covid-19  : le jour d'après sur la scène des relations internationales

Comment la crise du Covid-19 pourra-t-elle remodeler l'influence des puissances régionales africaines ainsi que la compétition entre elles ?
(Crédits : DR.)

Le Jour d'Après, film sorti sur le petit écran en 1983 en pleine Guerre froide, décrit la vie de citoyens américains suite au lancement de bombes nucléaires par les Etats-Unis et l'alors URSS. Ce scénario apocalyptique interpelle sur les conséquences d'une catastrophe mondiale telle que la pandémie du Covid-19. Son impact économique, sociale, politique et humanitaire sera certain, l'étendue de son ampleur encore inconnue. L'on peut néanmoins d'ores et déjà s'interroger sur les implications en terme d'influence géopolitique des puissances régionales ou middle powers à l'échelle du continent africain. Comment la crise du Covid-19 pourra-t-elle remodeler l'influence des puissances régionales africaines ainsi que la compétition entre elles ?

Le G20 et l'Afrique

Il s'agit là d'un thème récurrent, mais il apparaît crucial, dans des situations telles que celle que nous connaissons actuellement, que le G20 étende sa liste de participants permanents en accueillant plus d'un représentant du continent africain (aujourd'hui seule l'Afrique du Sud). Bien que l'Union africaine et le NEPAD soient également invités annuellement, le statut de membre participant permanent devrait être étendu à une autre puissance régionale africaine à même de promouvoir les intérêts du continent afin de renforcer la voix de l'Afrique dans cette instance, a fortiori lorsque certains pays africains figurent parmi les plus fragilisés dans des situations de crise.Cette présence supplémentaire lui donnerait un accès privilégié aux discussions qui s'opèrent à huis clos ou en cercles restreints entre chefs d'Etats, ministres de l'Economie et des finances et gouverneurs des banques centrales, lui permettant ainsi de contribuer significativement aux initiatives émises pour remédier à la crise du Covid-19.

Un test de leadership pour l'OMS

Cette crise permettra également de tester le leadership deTedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé depuis 2017. La survenance de la crise du Covid-19 sera assurément analysée comme un test majeur de la capacité de l'OMS, et à travers elle de son directeur général, à gérer cette pandémie dans un contexte fragilisé par la décision du président Donald Trump de suspendre le financement américain. Les analystes s'interrogeront sur la capacité de cet ancien ministre de la santé et des affaires étrangères de l'Ethiopie - puissance régionale de l'Est africain - à promouvoir des solutions et une coordination multilatérales à cette crise, ainsi qu'à utiliser son réseau et ses compétences diplomatiques pour rallier chefs d'Etats et institutions multilatérales à mettre en place une solidarité globale.L'efficacité du nouveau plan mondial de réponse humanitaire établi conjointement avec les Nations Unies pour financer la lutte contre le virus dans les pays les plus vulnérables, et les appels coordonnés avec la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva, permettront une évaluation concrète du bilan de DrTedros.

Soutenabilité de la dette publique

L'assistance financière octroyée par les principaux créanciers bilatéraux et par les institutions financières de développement soulève à nouveau le sujet de la soutenabilité de la dette des pays du continent africain dans un contexte de crise. D'après un rapport du FMI publié en mars 2018, huit pays africains étaient alors en situation de surendettement et sept autres présentaient un « risque élevé » d'y basculer. Il est inévitable que la crise du Covid-19 accentuera ces risques, et que seuls une gestion efficace de l'aide au développement fournie par les créanciers bilatéraux et des plans de soutiens consentis par les institutions financières de développement pourront en atténuer les effets. A ce titre, l'appel conjoint de la Banque mondiale et du FMI le 25 mars dernier à soutenir la suspension des paiements dus par les pays africains les plus endettés aux créanciers bilatéraux est bienvenu, amenant le président sénégalais Macky Sall à plaider pour une annulation totale de la dette africaine dont l'appel semble avoir été entendu après l'annonce du G20 de suspendre le service de la dette bilatérale pour les pays les plus pauvres.

Solidarité et coopération régionale

L'impact économique de la crise du Covid-19 sur le continent africain est à double détente : d'une part les économies africaines sont affectées par le ralentissement ou l'arrêt de l'activité nationale en raison des mesures de confinement, d'autre part elles subissent l'impact de leur dépendance à l'égard des économies européennes et asiatiques. Ainsi selon les cas, il s'agit du secteur de l'automobile au Maroc avec l'exemple de l'arrêt d'activité des usines Renault et Peugeot symboles de la capacité du Royaume à attirer des investisseurs clefs, au Nigeria les exportations de pétrole représentant 86% des recettes à l'export sont fortement affectées par le ralentissement économique mondial combiné à la chute récente des cours du baril, au Kenya le hub de transport que constitue le port de Mombasa est fortement pénalisé, et en Afrique du Sud l'industrie minière (notamment les exportations de fer, de manganèse et de chrome) souffre directement de la chute de la demande chinoise. Ces conséquences attestent de l'exposition des puissances économiques régionales africaines à la demande des économies hors Afrique ainsi que de leur intégration aux chaînes logistiques mondiales. Ces conséquences traduisent tout d'abord l'impératif d'accroître l'intégration continentale des puissances régionales au commerce intra-régional africain afin d'atténuer l'impact de la chute de la demande des économies non africaines sur la chaîne logistique africaine. Cette intégration à travers la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine, fortement soutenue par certaines puissances régionales telles que l'Afrique du Sud, le Kenya ou le Maroc, est en cours et doit être poursuivie tout en mettant en place des mesures d'accompagnement.

Les conséquences de la crise du Covid-19 reflètent ensuite la nécessité pour les puissances régionales africaines et de développer des mécanismes de solidarité continentale, directement et par le biais des institutions multilatérales, à l'instar de l'initiative de l'Union Africaine de coordonner une réponse africaine à la crise à travers une task force présidée par Tidjane Thiam chargée de mobiliser le support financier des bailleurs de fonds internationaux. Il s'agit notamment de s'assurer que les entreprises publiques des puissances régionales productrices et exportatrices de matières premières telles que le Nigeria pour le gaz et le pétrole, mettent à disposition celles-ci - à titre exceptionnel et en consensus avec les membres de l'OPEP - en priorité aux autres pays africains à des conditions financières avantageuses afin d'éviter toute rupture d'accès aux ressources énergétiques de base et de réapprovisionner les réserves stratégiques.

Il s'agit également d'assurer un partage du savoir-faire lié à la gestion des pandémies, telle que la mise à disposition par les puissances régionales des ressources financières et humaines nécessaires pour capitaliser sur la gestion du virus Ebola apparu en 2014 en Guinée, Liberia et Sierra Leone, ainsi que sur la coopération sanitaire à travers l'assistance des puissances régionales disposant d'infrastructures et moyens sanitaires plus importants (hôpitaux, lits de réanimation, appareils de ventilation, laboratoires de test, équipements de protection...) ; à l'image de l'appel du 13 avril dernier du roi du Maroc Mohammed VI auprès des chefs d'Etat ivoirien et sénégalais pour établir un cadre opérationnel de partage d'expériences et de bonnes pratiques auprès des pays africains pour lutter contre la pandémie.

Le drame de la crise du Covid-19 appelle les middle powers africaines à renforcer leur rôle dans les instances multilatérales, à faire preuve de leadership, souveraineté financière et à développer des mécanismes de coopération et solidarité régionales. C'est cette résilience qui leur permettra de maintenir leur influence sur la scène des relations internationales.

(*) Amine Bennis est conseil juridique avec plus de 10 ans d'expérience en cabinets d'avocats et dans une banque multilatérale de développement. Diplômé des universités Paris II Panthéon-Assas, Sciences Po Paris et Fletcher School of Law and Diplomacy, il se spécialise en financement du développement et se passionne pour les relations internationales et la géopolitique. Il écrit ici à titre personnel.

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Commentaire 1
à écrit le 01/05/2020 à 14:06
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Tres bon article synthétique, le passage sur la solidarité est malheureusement à oublier. Irréaliste.

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