Le Nigeria et la lutte contre le terrorisme islamiste  : une priorité de stabilité étatique

"L'ampleur de cette tâche pluridisciplinaire est considérable dans un pays régulièrement secoué par les tensions ethniques, identitaires et religieuses, entre une moitié sud, fortement chrétienne, et une moitié nord, musulmane (majoritairement sunnite)." Une Tribune de Pascal Le Pautremat.
Pascal Le Pautremat est Géopolitologue, Président (PhD) de la société Actiongeos.
Pascal Le Pautremat est Géopolitologue, Président (PhD) de la société Actiongeos. (Crédits : DR)

Depuis mai 2015, le président Muhammadu Buhari dirige le Nigeria (923 768 km²), premier pays producteur de pétrole d'Afrique, fort d'une population de plus de 195 millions d'habitants.

Général de formation, acquise en partie en Grande-Bretagne, Muhammadu Buhari témoigne d'une longue carrière politique au service de son pays. Comme il a toujours fait tout au long de ses responsabilités successives, et conformément à ses principes, ce dernier s'applique à poursuivre sa lutte - qui dérange - contre la corruption, véritable gangrène dans le pays et notamment au sein de l'armée nigériane. Conjointement, il s'efforce de lutter contre le terrorisme islamiste. Une lutte qui s'inscrit dans la durée.

Pérenniser les efforts de lutte anti-terroriste...

L'ampleur de cette tâche pluridisciplinaire est considérable dans un pays régulièrement secoué par les tensions ethniques, identitaires et religieuses, entre une moitié sud, fortement chrétienne, et une moitié nord, musulmane (majoritairement sunnite).

Aussi, le président Muhammadu Buhari brigue-t-il un nouveau mandat lors des nouvelles élections prévues en février 2019. Il est en effet déterminé à poursuivre sa politique globale. Il compte ainsi maintenir le cap en matière de lutte contre le terrorisme islamiste qui, depuis la fin des années 2000, mine le pays. Car, si les multinationales pétrolières ont toujours à cœur de pérenniser leurs partenariats avec le Nigeria, le président veut miser sur une diversification géographique du développement économique du pays. D'où l'importance de conforter la pression sur les katibas jihadistes de Boko Haram et alii (ndlr. autres groupes assimilés), qui enveniment le climat socio-politique dans le nord-est du pays.

Les forces armées nigérianes ont ainsi enregistré des résultats tangibles dès 2015, même si les attaques à leur encontre se sont intensifiées à partir de l'été 2018. En accentuant leur pression, les djihadistes cherchent stratégiquement à décrédibiliser la politique sécuritaire en vigueur. Mais les experts savent combien une guerre irrégulière ne se remporte pas à court terme ; de surcroît face à un adversaire aux effectifs disséminés qui pratique la guérilla, elle-même garantie par leur extrême mobilité.

... face à des jihadistes implantés dans le nord-est du pays

Boko Haram a perdu du terrain avant de se scinder à partir d'août 2016, en deux factions : l'une est dirigée par Abubakar Shekau et rayonne sur la zone forestière de Sambisa qui couvre quelque 6 millions d'hectares. L'autre faction, plus radicale, a prêté allégeance à l'Etat islamique, d'où son nom d ISWAP (Islamic State's West Africa Province - Organisation de l'Etat islamique en Afrique de l'Ouest). L'ISWAP répond aux ordres d'Abou Mosab al-Barnaoui, Nigérian de 25 ans, originaire de l'Etat de Borno, fils du fondateur salafiste de Boko Haram Mohammed Yusuf, tué en 2009. Elle constitue la frange désormais la plus combattive des terroristes islamistes. Ses éléments jouissent d'un bon équipement, de réels savoirs-faire en matière de guérilla, usant même du piégeage d'itinéraires par le biais des IED (improvised explosive devices), et de solides capacités d'autofinancement. Autant de facteurs qui font de l'ISWAP un adversaire sérieux pour l'Etat nigérian - de l'aveu même de l'Organisation des Nations unies -. Bien implanté sur les rives du lac Tchad, l'ISWAP, à l'approche des élections présidentielles, multiplie ses attaques contre les forces de sécurité nigérianes dans l'Etat de Borno, dans le nord-est du pays.

Aussi, les pays voisins du Nigeria doivent-ils conforter, avec le régime Muhammadu Buhari, leur partenariat sécuritaire transfrontalier lancé en 2015, afin d'empêcher les djihadistes de gagner en influence dans la région du Lac Tchad qu'ils cherchent toujours à contrôler.

L'important stratégique de la cohésion des Etats d'Afrique pansahélienne

C'est en effet en 2015, que la Commission du Bassin du lac Tchad (CBLT), créée en 1964, concrétise une démarche d'action collégiale avec la mise sur pied de la Force multinationale mixte (FMM). Composée de près de 10 000 hommes d'unités nigérianes, tchadiennes, nigériennes et camerounaises, outre quelque 150 Béninois associés, la FMM est mandatée par le Conseil pour la paix et la sécurité de l'Union africaine. Elle redouble d'efforts, depuis trois ans, pour contenir et vaincre les katibas islamistes.

Certes, il y a toujours des voix pour considérer que le bilan de l'Etat nigérian n'est pas suffisant, à ce jour. Or la réalité des conflits est là pour rappeler qu'une guerre ne se gagne jamais sur le court terme. Et qu'au-delà du champ strictement opérationnel, visant à l'attrition de la menace, il s'agit surtout pour l'Etat de pouvoir œuvrer sur le champ économique et social afin d'ôter aux jihadistes les opportunités de recruter parmi les plus défavorisés...

La France soutient les efforts multiples de la FMM, même si celle-ci témoigne d'un manque d'homogénéité opérationnelle et qu'il lui faut renforcer ses capacités de renseignement. Car l'adversaire jihadiste témoigne d'une démarche visant à forger une association de circonstances avec divers groupes islamistes de l'Afrique pansahélienne. Au point même que l'on constate le jeu d'influence de l'ISWAP jusqu'en Libye. Vraisemblablement, il va donc falloir renforcer les interrelations et partenariats entre la FMM et la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) pour circonscrire les menaces d'expansion de la pandémie jihadiste.

La FMM peut également compter sur l'aide financière de l'Union européenne, à hauteur de 50 millions d'euros, convaincue de la nécessité d'opérer collectivement contre le terrorisme et la détermination à faire valoir les droits de l'homme.

En dix ans, la guerre contre le terrorisme islamiste a causé la mort de près de 27 000 personnes dans le Nord Nigeria. On dénombre actuellement plus de 200 000 réfugiés et près de 2 millions de personnes déplacées afin de se soustraire aux exactions des jihadistes. Les enjeux sécuritaires sont donc cruciaux pour le président Buhari qui veut poursuivre la lutte coûte que coûte, en corrélation avec les pays d'Afrique de l'Ouest.

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*Pascal Le Pautremat est Géopolitologue, Président (PhD) de la société Actiongeos

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