La Tribune Afrique - De quelle manière votre parcours vous a-t-il conduit vers l'entrepreneuriat ?

Guy Kamgaing - J'ai grandi à Douala avant de rejoindre Paris pour mes études. En 1995, j'ai quitté la France pour les Etats-Unis où j'ai obtenu un MBA à l'Université de Californie. J'y suis resté depuis. J'ai suivi un cursus d'Ingénieur avant de devenir auditeur chez PwC. À cette époque, j'étais déjà attiré par l'entrepreneuriat et j'ai eu la chance de travailler dans le conseil en nouvelles technologies et en télécoms où mon intérêt est né. Dès le début des années 2000, les besoins générés par le secteur des télécoms au Cameroun étaient considérables, notamment en matière d'équipement. J'en ai profité pour me lancer dans l'entrepreneuriat, avec un pied sur chaque continent. C'était une aventure passionnante qui a pris fin en 2006, quand les Chinois sont arrivés, en pratiquant des prix défiant toute concurrence. Quelque temps plus tard, l'arrivée de la 4G a suscité de nouvelles attentes et de nouveaux besoins de services à valeur ajoutée, en particulier en matière de vidéos.

Est-ce dans ce contexte qu'est née l'entreprise StarNews ?

Effectivement. Cela dit, dès 2012, j'avais décidé de me concentrer sur l'Afrique alors que je vivais à Los Angeles, « la ville » des médias par excellence. Le contraste entre ma vie aux États-Unis et ma vie en Afrique, où je retournais régulièrement, m'a permis de mesurer le potentiel du Cameroun où tout restait à faire, en termes de contenu local, alors que la demande existait déjà. Je me suis lancé dans différentes activités qui ont plutôt bien marché. Aussi, quand la 4G est arrivée en Afrique, j'étais prêt.

En 2017, j'ai créé StarNews, une plateforme digitale, qui permet de créer, de produire et de distribuer du contenu vidéo sur téléphone mobile, à nos abonnés qui rechargent leur compte avec du crédit. Nous leur proposons différentes thématiques comme le people, la cuisine, le sport, l'humour ou la beauté. La monétisation du contenu local est l'un des enjeux de notre modèle.

À ce jour, notre structure compte une quarantaine d'employés répartis entre le Canada, les États-Unis, l'Inde, la France et l'Afrique.

Comment avez-vous réussi à convaincre les créateurs de contenu de vous rejoindre ?

Ils produisaient déjà du contenu qu'ils postaient parfois sur YouTube, sans aucune démarche liée à la monétisation. Ils ont accepté de rejoindre StarNews, partant du principe qu'ils n'avaient rien à perdre... Nous avons eu la chance d'être rapidement soutenus par des artistes comme DJ Arafat, Kedjevara ou encore Serge Beynaud. Aujourd'hui, nous proposons une centaine de chaînes à nos abonnés, disponibles sur notre plateforme en Côte d'Ivoire, au Cameroun, en République démocratique du Congo et en Afrique du Sud, à travers 7 opérateurs tels que les groupes Orange et MTN. Influenceuses beauté, chanteurs, humoristes, nos chaînes proposent un contenu local qui fait encore défaut sur le continent, en dépit d'une forte demande.

Mi-décembre 2020, vous avez levé 1,8 million de dollars dont 1 million auprès du fonds d'investissement à impact I&P, à travers I&P Afrique Entrepreneurs 2. De quelle manière ces fonds seront-ils ventilés ?

J'ai commencé en janvier 2016, avec 250 000 dollars en fonds propres pour déployer la plateforme et réaliser les premiers proof of concept. Début 2018, j'ai levé 100 000 dollars dans le cadre d'un « Friends & Family Round » et durant l'été 2019, j'ai levé 600 000 dollars de plus, auprès de Business Angels basés en Californie. En décembre 2020, StarNews a levé 1 million avec le fonds I&P et 800 000 dollars auprès de Business Angels. Ces fonds vont nous permettre d'accélérer notre développement dans de nouvelles régions anglophones et d'enrichir notre offre. Nous allons diversifier notre contenu en proposant des artistes francophones comme Booba, Kaaris ou Soprano, puis viendront des contenus américains comme Kevin Hart ou Lebron James, par exemple. Nous sommes déjà présents en Afrique du Sud et nous venons d'arriver au Nigéria. Nous sommes en train de nous implanter au Ghana et nous serons bientôt au Kenya. D'ici fin 2021, nous serons présents dans 6 nouveaux pays. Nous comptons doubler le nombre de chaînes et le nombre de nos abonnés. Le Nigéria à lui seul représente 3 fois la taille du marché sur lequel nous étions présents! Nous comptons réaliser une nouvelle levée de fonds en fin d'année, car notre objectif est de lever entre 30 et 40 millions de dollars d'ici la fin 2023.

Quels sont les tarifs proposés à vos abonnés ?

Nous proposons des formules à 50 francs CFA par jour et par chaîne, des packs hebdomadaires compris entre 200 et 250 francs CFA, des packs mensuels entre 500 et 600 francs CFA. Le montant de la facture est prélevé sur le téléphone mobile de l'utilisateur. S'abonner à la chaîne de Fally Ipupa par exemple, permet de suivre son actualité, d'accéder à des exclusivités, de gagner des places de concert ou de participer à des événements liés à l'artiste. Nous travaillons actuellement pour proposer une solution qui permettra d'accéder à plusieurs chaînes à un tarif forfaitaire [...] Contractuellement, chaque dossier est différent, mais dans l'ensemble, les opérateurs récupèrent 70 % des recettes et les autres 30 % sont partagés à 50 % entre le créateur de contenu et StarNews.

Quels sont les types de contenus les plus plébiscités en Afrique ?

L'Afrique reste « le » continent du football, mais au-delà du sport, nous avons retenu plusieurs influenceurs qui surfent sur la « vague Kardashian » et qui font aujourd'hui, toute la vitalité des réseaux sociaux. Il existe aussi des thématiques qui peuvent fonctionner en Afrique comme la musique locale, les traditions, les actualités, la religion ou même la politique qui, en règle générale, n'intéressent pas beaucoup le public américain... Tous les ans, StarNews diffuse la chaîne Ramadan qui enregistre de très belles audiences.

Nous nous appuyons beaucoup sur nos collaborateurs locaux pour identifier les contenus et nous disposons d'une équipe de production. Par ailleurs, nos ressources techniques, nos data et nos 5 millions d'abonnés, nous permettent d'appréhender et de mesurer les tendances. Enfin, nous échangeons avec les opérateurs qui connaissent très bien leurs clients. La sélection des programmes représente un travail collégial.

Dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a-t-elle impacté vos activités ?

Globalement, la pandémie a influencé le marché de façon assez positive, car davantage de personnes se sont retrouvées confinées chez elles, devant leur téléphone. Elles avaient plus de temps pour enregistrer du contenu. En parallèle, plusieurs personnalités et artistes, privés de concerts ou d'événements publics, nous ont rejoints, comprenant que nous étions un moyen de monétiser leur contenu, en particulier pendant cette période de pandémie [...] Nous enregistrons une croissance moyenne de 10% par mois depuis avril 2020. Tout cela a grandement facilité les discussions avec les opérateurs.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard