Oumar Seydi : « Nous avons besoin de leadership pour mobiliser le secteur privé »

En juillet dernier, le Sénégalais Cheikh Oumar Seydi est nommé directeur régional pour l'Afrique subsaharienne de la Société Financière Internationale (IFC), filiale de la Banque mondiale dédiée au secteur privé. Il mise sur l'emploi, la mobilisationdu privé, la réduction du « gap » en infrastructures et la relance du secteur agricole : des réformes ambitieuses pour ce « pur produit » de la Banque mondiale.
Cheikh Oumar Seydi, directeur régional pour l'Afrique subsaharienne de la Société Financière Internationale (IFC).
Cheikh Oumar Seydi, directeur régional pour l'Afrique subsaharienne de la Société Financière Internationale (IFC). (Crédits : DR)

LA TRIBUNE AFRIQUE - De quelles manière votre parcours vous a-t-il mené au poste de directeur régional pour l'Afrique subsaharienne au sein de l'IFC ?

CHEIKH OUMAR SEYDI - J'ai commencé comme chargé d'investissement dans le département chimie-pétrochimie de l'IFC il y a vingt-deux ans, avant de travailler dans les hydrocarbures et l'agroalimentaire. J'ai occupé ma première fonction sur le terrain en tant que représentant régional de l'IFC pour l'Afrique centrale, de 2003 à 2008. Depuis Douala, je couvrais nos opérations d'investissements directs et les services conseils. De 2008 à 2013, j'ai exercé comme directeur des ressources humaines au siège à Washington pour les 108 bureaux de l'IFC, avant de revenir en Afrique où j'ai eu la charge des opérations dans 26 pays d'Afrique de l'Est et australe. Originaire de l'Ouest, j'avais occupé des fonctions en Afrique centrale, australe ainsi qu'à l'est du Continent. Ma connaissance du terrain m'a permis d'accéder à cette fonction qui couvre aujourd'hui 49 pays d'Afrique subsaharienne.

Quelle place occupe le continent africain dans la stratégie globale de l'IFC ?

L'IFC représente environ 4 000 employés à travers le monde, dont 470 en Afrique, répartis entre 24 bureaux. Nous avons des hubs régionaux à Dakar, Johannesburg et Nairobi. Nos engagements annuels à long terme ont connu une nette augmentation sur les quinze dernières années, passant de 150 millions de dollars en 2003 à environ près de 4 milliards en 2017. En 2003, l'Afrique ne représentait que 3 % des engagements totaux de l'IFC. Entre 2007 et 2017, ces engagements ont augmenté de 10 % à 20 %. L'IFC en Afrique se porte très bien ! Nous cherchons notamment à combler le gap en infrastructures, car les besoins en investissements atteignent environ 100 milliards de dollars par an, mais, à ce jour, moins de 50 % de ces besoins sont comblés. 650 millions d'Africains n'ont pas accès à l'électricité et 350 millions à l'eau potable. Or, il n'y a pas de développement sans infrastructures !

Parallèlement, les financements publics et concessionnels disponibles sont limités. Il faut donc chercher à accroître la participation du secteur privé. Dans ce cadre, le groupe Banque mondiale a adopté une nouvelle approche - la « Cascade » - pour optimiser le financement du développement. Désormais, les institutions du groupe cherchent d'abord des solutions auprès du secteur privé pour répondre aux défis du développement. Parallèlement, la récente approbation du « Guichet de promotion du secteur privé » [Private Sector Window ou PSW, ndlr] permettra de réduire les risques liés à l'investissement et facilitera le financement de projets difficiles avec une grande perception du risque. Le Guichet est doté de 2,5 milliards de dollars que l'IFC et l'Agence multilatérale de garantie des investissements (Miga) vont utiliser pour mobiliser jusqu'à 8 milliards de dollars d'investissements privés au cours des trois prochaines années, notamment dans des secteurs prioritaires comme celui des infrastructures. L'IFC s'implique de façon accrue auprès des PME en participant à l'amélioration du climat des affaires, au renforcement des capacités et au financement sous forme de prise de participations et de prêts en s'appuyant sur des institutions financières bénéficiant de notre concours. Enfin, nous faisons de l'agriculture une priorité et nous lançons de nouvelles activités dans l'industrie manufacturière et les services.

En lien avec le classement « Doing Business » publié fin octobre, quels sont les pays africains qui ont enregistré le plus de réformes ?

Le Kenya avec six réformes est le pays qui a mis en oeuvre le plus grand nombre de mesures pour amél iorer son environnement des affaires. Le Malawi, la Zambie, le Nigeria et Djibouti sont également des pays qui ont fortement progressé, classés parmi les 10 pays qui se sont globalement le plus améliorés. Ils sont suivis par le Sénégal, la Mauritanie ou encore le Niger dans la région. Je n'oublie pas l'Île Maurice et le Rwanda, respectivement 25e et 41e dans l'indicateur global sur la facilité de faire des affaires. Ils occupent la première et la seconde position en Afrique. Les progrès régionaux reflètent nos programmes d'appui, car nous accompagnons une trentaine de gouvernements africains dans l'amélioration de leur environnement des affaires. Au Kenya par exemple, notre programme a collaboré avec le ministre chargé de la question et son équipe. Sur les trois dernières années, le pays a progressé de 54 places dans le classement global !

Dans le cadre de mes fonctions, je rencontre les acteurs des secteurs public et privé qui ne parlent pas toujours le même langage. Pourtant, la volonté des autorités publiques est essentielle pour parvenir à construire un écosystème favorable à la croissance. Je prendrai l'exemple de la Guinée, qui a enregistré une progression de 18 places sur les deux dernières années. Cela tient notamment à l'implication personnelle d'Alpha Condé. Nous avons besoin de leadership pour mobiliser le secteur privé !

À la veille du Sommet UA-UE à Abidjan, quels sont les projets phares de l'IFC en Côte d'Ivoire qui, malgré sa 139e place au classement, reprend le chemin de la croissance ?

Je citerai Azito et Ciprel. En 2011, peu après la fin du conflit, il était quasiment impossible pour un acteur privé d'y mener un projet en infrastructures. Il y avait trop de risques : situation politique volatile, secteur en déséquilibre financier, etc.

L'IFC a été le chef de file de 9 institutions pour fournir le financement à long terme qui a permis de réaliser une expansion de 139 MW (mégawatts) de la centrale. L'IFC a également financé l'expansion de la centrale thermique Ciprel. L'extension à cycle combiné des centrales Azito et Ciprel a donné lieu à une augmentation de 50 % de la capacité de ces centrales, sans gaz additionnel. Ces projets permettent à la Côte d'Ivoire de répondre à la demande croissante en énergie et à l'amélioration de la qualité de la distribution.

Comment peut-on réunir les conditions nécessaires pour favoriser la création d'emplois en Afrique subsaharienne ?

Un des piliers de notre stratégie consiste à appuyer le secteur réel, à travers le financement des PME et de l'agrobusiness. Le secteur de l'agriculture fournit environ 60 % des emplois en Afrique et représente la principale tranche du PIB des pays. Par ailleurs, la demande en produits alimentaires devrait croître de 70 % en Afrique d'ici à 2 050. Dès lors, développer l'agrobusiness offre l'opportunité d'améliorer le bien-être des populations en créant un marché de plusieurs milliards de dollars qui garantira la sécurité alimentaire. Pour que cela se réalise, il faudra améliorer l'accès aux financements dans cette filière, mettre en place les infrastructures appropriées, intégrer les nouvelles technologies et enfin améliorer l'automatisation et l'irrigation. Il reste donc beaucoup à faire !

En Côte d'Ivoire, notre appui à l'entreprise Cargill et à la Société Ivoirienne de Banque (SIB) a permis de financer les coopératives de cacao pour acquérir du matériel lourd, en mettant à leur disposition un financement à moyen terme et ce, pour la première fois. Traditionnellement, Cargill fournit une assistance prérécolte aux producteurs pour l'acquisition d'intrants, mais les coopératives ne disposaient pas de financements à moyen terme, ce qui rendait impossible l'acquisition des équipements nécessaires à la collecte du cacao. Parallèlement, les banques n'étaient pas désireuses de prêter à moyen terme à des coopératives dont les capacités de gestion n'étaient pas assurées. Avec son outil Business Edge, pour renforcer les capacités des PME, l'IFC a soutenu la « Coop Academy », un programme qui forme les coopératives en gestion, en finance et en techniques agricoles. Elle a permis aux coopératives d'acquérir les techniques de gestion pour réduire leurs coûts et améliorer leur profitabilité, donc pour augmenter leurs revenus et leurs capacités à rembourser les prêts bancaires obtenus de la SIB. Ce programme a déjà formé 320 responsables de coopératives, sur les trois dernières années.

Selon un rapport de la FAO datant de novembre 2017, 25 % des 815 millions de personnes qui ont faim dans le monde vivent en Afrique. Quelle est votre stratégie pour stimuler l'investissement privé pour réduire l'extrême pauvreté ?

Depuis sa création en 1956, l'IFC figure parmi les principaux acteurs du développement du secteur privé. Elle collabore avec des entreprises multinationales, régionales et locales pour accélérer la croissance et permettre aux populations d'échapper à la pauvreté.

L'exercice budgétaire 2 017 a été pour nous, une année remarquable : nous avons investi des montants record, tout en privilégiant les régions et les marchés les plus difficiles. Près d'un quart des financements que nous avons accordés au niveau global ont bénéficié aux pays les plus pauvres. Mais pour atteindre les Objectifs de développement durable, il faudra accroître considérablement le volume des financements. L'IFC est idéalement placée pour mobiliser le secteur privé à investir davantage dans les marchés émergents grâce au savoir-faire accumulé depuis sa création et son nouveau cadre stratégique appelé « IFC 3.0 ». Intégré dans la vision d'avenir du groupe Banque mondiale, le programme reflète le fait que, pour augmenter notre impact et intensifier notre action dans les sites les plus difficiles, il nous faut non plus répondre à la demande, mais l'anticiper, en exploitant les atouts de l'ensemble du groupe et des autres partenaires de développement, pour créer des marchés et mobiliser les ressources du secteur privé sur une plus grande échelle. Dans ce cadre, nous avons développé de nouvelles démarches et de nouveaux outils analytiques et financiers qui joueront un rôle clé dans la stimulation des investissements privés et dans la réduction de l'extrême pauvreté...

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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