Édito : Vers des «Gilets bleus» africains ?

Comme pour de nombreux autres sujets, l'Afrique n'échappe pas aux clichés dès lors qu'il s'agit de cybercriminalité ou de cyberterrorisme. Il suffit pour s'en rendre compte de parcourir la littérature scientifique, mais également les médias qui ont traité du sujet depuis dix ans. [...]
Abdelmalek Alaoui

[...] Forcément, dans tous les rapports et analyses, il sera question du fameux Advanced Fee Fraud (ou 419) supposément inventé au Nigéria et qui consiste à promettre beaucoup par e-mail pour recevoir un peu d'argent. Il sera également question des « Yahoo Boys », cités abondamment par le rapport établi conjointement par Interpol et le cabinet japonais spécialisé Trend Micro qui dresse un tableau presque « romantique » de ces centaines d'ouest-Africains qui pratiquent des arnaques basées sur le spam et les multiples profils sur les réseaux sociaux.

Il sera même question de « barons » de la cybercriminalité africaine, hautement sophistiqués, qui se seraient spécialisés dans les escroqueries à forte valeur ajoutée, telle l'arnaque au PDG ou au virement bancaire, qui nécessite d'allier ingénierie relationnelle et une certaine maîtrise technique, elle aussi forcément achetée à des Hackers russes sur le « dark Web ». En bref, l'Africain serait « malin » dès lors qu'il pratique la cybercriminalité, mais n'aurait que peu de maîtrise technique. C'est en tout cas ce qui ressort des écrits sur le sujet.

Ainsi, le narratif dominant dès lors qu'il s'agit de cybercriminalité en Afrique repose sur plusieurs piliers qui en disent beaucoup sur la dynamique globale que connaît le Continent. En premier lieu, l'écrasante majorité des cybercriminels africains seraient des hommes jeunes -entre 19 et 39 ans, diplômés, et sans emploi. Au sein de cette communauté, une grande majorité d'entre eux fait partie des « social hackers », ce qui signifie qu'elle dispose d'aptitudes psychologiques plus que techniques.

Or, cette quadruple caractéristique  : genre, jeunesse, haut niveau d'éducation et désœuvrement, constitue de manière globale le défi le plus important auquel est confronté le Continent.

Dans ce contexte, l'on voit mal comment les pouvoirs publics africains pourraient articuler une riposte efficace contre la cybercriminalité s'ils n'arrivent pas à augmenter le taux d'employabilité des jeunes chômeurs diplômés. En effet, bien que pratiquant une activité délictueuse, les cybercriminels sont considérés par les Etats africains dans lesquels ils sévissent comme un « moindre mal » dans la mesure où la plupart de leurs larcins ont pour victimes des Européens ou des Américains. Surtout, ces jeunes qui se sont emparés de ce « secteur » en plein essor ne font pas pression sur le politique afin que ce dernier dynamise le tissu économique ou améliore les services publics, leur seule revendication portant sur la qualité de la connexion Internet. Reste qu'avec la montée en puissance de l'arsenal réglementaire mondial et le renforcement des instruments de riposte, cette communauté est de plus en plus sous pression, de même que les gouvernements qui ont à adresser le sujet.

En effet, que se passera-t-il lorsque non seulement les cybercriminels, mais également les commerçants online africains, les « mineurs » de blockchain du Continent et les dizaines de milliers de « clandestins » du Net qui ne survivent que grâce au réseau se rebelleront ou qu'il leur sera impossible de poursuivre leur activité -légale ou pas- du fait d'une évolution du cadre dans lequel ils évoluent ?

Il n'est pas besoin d'être devin pour imaginer un vaste mouvement de « gilets bleus » africains incluant tous les déclassés de l'économie traditionnelle qui ont trouvé refuge derrière les écrans pour gagner leur vie, mais qui sont tout de même dans une situation précaire. Si la connexion avec eux venait à être perdue, c'est vraisemblablement une grenade dégoupillée qui serait entre les mains de nos dirigeants...

Abdelmalek Alaoui

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