Alain-Richard Donwahi : « Dans la lutte contre la désertification, il faut penser global et agir local »

Chaque année, le désert avance de 5 km dans les zones semi-arides d'Afrique de l'Ouest sur un continent recouvert à 65 % de terres sèches, selon la FAO. Comment enrayer ce phénomène ? Alain-Richard Donwahi, président de la COP 15 contre la désertification, portera la question lors de la prochaine Conférence des Parties pour le Climat, à Sharm el-Sheikh. Entretien.
Alain-Richard Donwahi, président de la COP 15 contre la désertification.
Alain-Richard Donwahi, président de la COP 15 contre la désertification. (Crédits : LTA)

La Tribune Afrique : Quels sont les pays africains les plus touchés par la désertification ?

Alain-Richard Donwahi : La sécheresse sévère touche l'Afrique, plus que tout autre continent. 300 événements y ont été enregistrés au cours du siècle dernier, soit 44% du total mondial. Au cours des 2 dernières années, le Burkina Faso, le Niger, l'Ethiopie, la Somalie, le Soudan du Sud, mais aussi le Mali, Madagascar, le Malawi, le Mozambique, le Lesotho, la Zambie et la Mauritanie ont souffert de la sécheresse.

Quels sont les principaux mécanismes de protection des terres et de lutte contre la désertification à l'échelle mondiale ?

La COP 15 a voté plusieurs décisions qui permettent de lutter contre la désertification. L'objectif d'accélérer la restauration d'un milliard d'hectares de terres dégradées d'ici à 2030, a été fixé (...) Pour ce faire, il nous faut trouver des moyens financiers et renforcer nos capacités locales. Dans la lutte contre la désertification, il faut penser global et agir local. Nous devons renforcer le plaidoyer auprès de tous les Etats parties, sensibiliser les gouvernants, mobiliser le secteur privé et impliquer les populations. Nous ne pouvons pas tout attendre du secteur public et des organisations internationales, c'est pourquoi le secteur privé doit intervenir et pas seulement dans une logique de neutralité carbone ou de réparation des dégâts, il doit être proactif en matière d'actions préventives.

« Impliquer les acteurs privés » : c'est précisément dans cet objectif qu'est née l'initiative d'Organization for Biodiversity Certificates (OBC) qui élabore une sorte de crédit-carbone pour la biodiversité...

Cette initiative arrive à point nommé. Elle montre le lien qui existe entre les trois conventions. La biodiversité est plus palpable que des émissions de CO2. Quand la faune revient : c'est quantifiable ! L'action sur la biodiversité permet aussi de gérer la question du climat et de la sécheresse. Pour protéger la biodiversité, il faut des forêts, mais aussi des terres qui ne soient ni arides, ni dégradées. La mise en place de certificats sur la biodiversité entraînera le secteur privé à prendre en compte cette réalité. C'est une excellente initiative que nous souhaitons voir appliquée, le plus rapidement possible.

De quelle façon les populations sont-elles intégrées à la lutte contre la désertification?

Elles sont au cœur de la lutte contre la désertification, car elles sont directement impactées. Les bailleurs de fonds interviennent beaucoup auprès des communautés locales. Lorsqu'il est question de planter des arbres, les populations sont mises à contribution pour le reboisement, mais aussi pour protéger ces nouvelles forêts.

Par ailleurs, la dégradation des terres est surtout provoquée par l'agriculture. Il faut changer les pratiques pour développer une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Plusieurs plans nationaux ont vu le jour en Afrique. Le gouvernement de Côte d'Ivoire par exemple, procède de telle sorte que la reforestation soit associée à l'agriculture durable et à l'agroécologie (Alain-Richard Donwahi était ministre des Eaux et forêts de Côte d'Ivoire de 2017 à mai 2022, ndlr). Lors de la COP 15, le président Alassane Ouattara a lancé l'initiative Abidjan Legacy Program, pour établir un nouveau modèle de développement agricole, avec des composantes liées à la reforestation, à l'agriculture durable et au renforcement des chaînes de valeur dans l'agriculture.

Où en est le projet de Grande muraille verte (GMV) pour reverdir la bande sahélienne, du Sénégal à Djibouti, sur 7 600 km de long et 15 km de large ?

Le projet de GMV a besoin d'être boosté afin que les objectifs soient atteints. Les populations locales doivent être formées, car c'est ce qui leur permettra dans la durée, de préserver la barrière végétale, tout en générant des revenus. Pour l'instant, seulement 4% de la superficie totale a été couverte. En termes de réalisation, il reste donc beaucoup de travail (lancée en 2007, sur 100 millions d'hectares prévus en 2030, moins de 5 millions ont pu être correctement aménagés à ce jour, ndlr). Nous verrons de quelle façon accélérer ce processus lors de la prochaine COP pour le climat (...).

Il est important que les trois conventions se retrouvent autour d'un tel projet qui va impacter toute la planète. Il va permettre d'agir sur le climat, fixera les populations et contribuera à lutter contre l'insécurité alimentaire, mais aussi contre l'insécurité liée à l'avancée du djihadisme dans un certain nombre de pays traversés par la GMV.

En qualité de président de la COP 15, vous êtes-vous fixé des objectifs précis en matière de désertification pour la COP27 ?

Plusieurs side events seront organisés afin de mettre en avant la lutte contre la sécheresse et la désertification. En Egypte, les trois Conventions devraient faire une déclaration commune. Nous lançons un appel à l'efficacité qui passera par une coordination des Etats. Elle sera mise en place lors de la COP 27. Nous plaiderons aussi pour le développement de projets à très forts impacts.

Lors de la COP 15 en mai dernier, plusieurs pays africains défendaient la mise en place d'un protocole additionnel sur la sécheresse. Pourquoi n'a-t-il pas été validé ?

Le point d'achoppement fut l'aspect contraignant de ce protocole qui n'a pas fait l'unanimité. Il est regrettable que nous ne soyons pas parvenus à un accord, car juste avant la COP 15, un rapport des Nations unies révélait que la désertification touchait 40% des surfaces émergées, soit près d'un habitant sur deux aujourd'hui. Cependant, nous nous sommes mis d'accord sur un groupe de travail intergouvernemental afin qu'un protocole soit signé au cours de la COP 16 sur la désertification qui se déroulera dans deux ans, en Arabie Saoudite. D'ailleurs, d'ici une dizaine de jours, une réunion se tiendra à Bonn, pour faire le point sur la mise en place de ce groupe intergouvernemental.

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