Christophe Paquet, épidémiologiste : «L’approvisionnement en équipements est devenu une jungle ! »

Christophe Paquet, médecin épidémiologiste et responsable de la Division santé et protection sociale de l'Agence française de développement (AFD) revient sur les mécanismes de soutien déployés par le groupe sur le continent, tout en soulignant les atouts de l'Afrique pour faire face à l'épidémie de Covid-19.
Christophe Paquet, médecin épidémiologiste et responsable de la Division santé et protection sociale de l'Agence française de développement (AFD).
Christophe Paquet, médecin épidémiologiste et responsable de la Division santé et protection sociale de l'Agence française de développement (AFD). (Crédits : AFD)

La Tribune Afrique - Quelles sont les principales mesures prises par l'AFD pour répondre à la crise du Covid-19 en Afrique?

Christophe Paquet - Le « Plan Covid-19 : Santé en commun » a été lancé afin de répondre aux besoins d'un certain nombre de pays africains prioritaires en termes d'aide française. Nous avons choisi de soutenir des projets déjà en cours d'exécution, afin d'agir le plus vite possible. Dans l'Océan indien, nous appuyons aujourd'hui un réseau régional de surveillance des maladies auquel nous allons allouer 2 millions d'euros, pour mutualiser les résultats des laboratoires ou acheter des équipements de protection. A Kinshasa, nous soutenons 3 hôpitaux à but non lucratif, d'excellente qualité médicale, et situés dans des régions périphériques où l'on trouve des populations particulièrement vulnérables. Nous allons également leur attribuer 2 millions d'euros afin de permettre à ces structures de monter en gamme pour prendre en charge les cas de Coronavirus. L'hôpital de Monkole a d'ailleurs été identifié par les autorités congolaises, comme l'un des centres de référence du Coronavirus.

De quelle manière collaborez-vous avec les acteurs de la santé déjà présents en Afrique ?

Nous travaillons avec une ONG française, Alima, qui s'est positionnée très tôt face au Covid-19. Nous avons décidé de leur accorder 2 millions d'euros afin que les équipes locales puissent accompagner les personnels médicaux sur place. Alima interviendra au Sénégal, au Burkina Faso, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et au Cameroun. Nous collaborons également avec l'Institut Pasteur afin de renforcer les capacités de diagnostic du Covid-19 des structures nationales. Ils ont besoin d'équipements, de consommables de laboratoire et de matériel de protection pour les personnels médicaux. Nous les soutiendrons à hauteur de 2 millions d'euros [...] Nous ne sommes qu'au début de cette crise en Afrique et le travail se construit progressivement. Nous réfléchissons à la meilleure façon d'accompagner les Etats qui ont des besoins d'aide budgétaire pour faire face aux dépenses additionnelles liées à la prise en charge du Covid-19, notamment au Sahel. Plusieurs pays ont déjà élaboré des plans de riposte budgétés qu'ils présentent auprès des bailleurs.

Précisément, vous avez décidé d'appuyer un certain nombre d'Etats, notamment dans le Sahel, dès la fin du mois de mars, à travers l'initiative Aphro-Cov. En quoi consiste cette dernière ?

Nous avons lancé cette initiative avec l'INSERM, le programme Aphro-Cov [un budget de 1,5 million d'euros, ndlr] piloté par REACTing ciblera les laboratoires, le dispositif d'alerte précoce, les services cliniques au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Gabon, au Mali et au Sénégal. Le choix de ces pays découle directement de la présence de nos réseaux partenaires dans ces pays.

Comment mesurez-vous la propagation du virus sur le continent ?

Malheureusement, nous ne disposons pas d'une cartographie précise de la maladie en Afrique. Selon l'OMS, il y aurait plus de 11 000 cas déclarés aujourd'hui [entretien réalisé le 10 avril, ndlr] avec près de 500 décès. Cela ne représente pas la réalité de l'épidémie sur le continent. Actuellement, 52 des 56 pays africains sont touchés par le Covid-19 et dans les pays qui ne sont pas officiellement affectés, le virus circule certainement sans que l'on ait de données, comme au Soudan du Sud par exemple. Avec quelle ampleur circule ce virus en Afrique ? On ne le sait pas. Il faut donc renforcer la capacité de diagnostic des pays africains, qui reste concentrée autour des grandes capitales [...] Nos informations sont toujours très parcellaires et si l'Afrique du Sud est le pays le plus touché par le Coronavirus, cela reflète aussi sa capacité à réaliser un grand nombre de tests. Plusieurs paramètres influeront sur la propagation du virus. Dans les pays sahéliens où la moitié de la population a moins de 15 ans, le facteur de l'âge peut peser en leur faveur, car la maladie touche davantage les plus anciens. En revanche, la malnutrition ou d'autres problèmes de santé pourront aussi faire pencher la balance. Nous devons donc rester attentifs à l'évolution de l'épidémie.

Quelles sont les capacités réelles des pays africains pour affronter l'épidémie de Coronavirus ?

Personne ne peut réellement avoir une vision précise des moyens techniques dont disposent ces pays. Il existerait au maximum, une dizaine de respirateurs dans les pays les mieux pourvus. Néanmoins, au-delà de l'équipement, il faut des équipes médicales et paramédicales disponibles en qualité et en quantité suffisantes et pas uniquement dans les grands pôles urbains. Il faut aussi un environnement global qui intègre plusieurs indicateurs de mesures et d'analyses. Cela touche directement à la fragilité d'un certain nombre de systèmes de santé africains et à la difficulté de faire face aux problèmes de fonds qui s'ajoutent à la crise actuelle. Pour répondre à cette crise, il est nécessaire d'investir sur du long terme, notamment en matière de formation professionnelle.

Comment faire face à la demande africaine en équipements (tests, protection, etc.) qui s'arrachent déjà entre grandes puissances ?

L'approvisionnement en équipements est devenu une jungle ! Nous sommes tous confrontés à cette question. Pour prendre l'exemple des Instituts Pasteur, ils sont confrontés au problème depuis le début de la pandémie, en particulier en Asie. Toutefois, avec leur réseau mondial et leur capacité à tirer profit de l'expérience passée et des modalités mises en place en Asie, l'Institut Pasteur dispose d'un certain avantage... Parallèlement, les équipes de l'Institut de recherche pour le développement qui réalisent actuellement des mises au point de tests sérologiques disposent aussi de leurs propres réseaux, qui peuvent permettre de faciliter l'accès aux équipements même si en terme d'approvisionnement, la logistique reste aléatoire...

De quelle manière vous prémunissez-vous de tout détournement des aides envoyées ?

Le principal élément de réassurance repose sur les opérateurs avec lesquels nous avons l'habitude de travailler. Concernant notre partenaire Alima par exemple, nous avons la plus grande confiance, car cette organisation est récemment intervenue pendant l'épidémie d'Ebola et a démontré ses capacités opérationnelles en Guinée et en RDC. Il existe également plusieurs mécanismes de contrôle au sein de l'AFD. Toutefois, personne ne pourra jamais tout contrôler, notamment dans les zones les plus reculées, mais c'est le prix à payer pour intervenir dans ces situations d'urgence. Il ne faut pas que ce besoin d'hyper-contrôle devienne un prétexte pour ne pas intervenir.

Selon vous, l'Afrique pourra-t-elle s'appuyer sur son historique récent dans la gestion de l'épidémie d'Ebola pour affronter la crise du Covid-19 ?

L'Afrique dispose de vrais pôles d'expertise comme l'Institut Pasteur de Dakar qui est l'un des laboratoires de référence mondiale accrédités par l'OMS. Ensuite, les épidémies comme Ebola ont permis de former de nombreux personnels médicaux. Forts de leur expertise, les Guinéens sont d'ailleurs venus aider les Congolais pendant la crise d'Ebola. En matière de contrôle de l'infection, Ebola a permis d'avancer sur le continent où l'on sait se protéger et respecter un protocole strict, en cas d'épidémie. Ensuite, on retrouve un grand pragmatisme en Afrique. Alors qu'il est difficile de se procurer des masques sur le marché international, des entreprises africaines commencent déjà à en produire.

Comment expliquez-vous que le recours au traitement à base d'hydroxychloroquine génère une adhésion de plus en plus importante et sans grand débat en Afrique ?

Il existe un certain nombre de polémiques en France autour de l'utilisation de l'hydroxychloroquine, mais ce n'est pas le cas en Afrique. Plusieurs pays ont d'ailleurs décidé d'y recourir, que ce soit le Maroc, le Sénégal, le Burkina Faso, le Cameroun ou la RDC... Les autorités considèrent que si ça ne fonctionne pas, ce n'est pas très grave et dans le cas contraire, c'est une option très intéressante. Il y a donc un vrai pragmatisme sur le continent, dont chacun peut s'inspirer. Par ailleurs, bien que je ne me prononcerai pas sur l'efficacité du traitement, car les débats sont toujours en cours, force est de constater que l'Afrique connaît bien ce médicament qui a longtemps été utilisé pour lutter contre le paludisme...

Comment évaluez-vous la faisabilité d'une mise en place d'un confinement strict en Afrique, qui a récemment été remis en question par le président béninois Patrice Talon et qui n'avait d'ailleurs pas été instauré pendant l'épidémie d'Ebola ?

Pour qui connaît les conditions de vie d'un certain nombre de populations africaines et la place de l'économie informelle, il est difficile d'instaurer un confinement strict. Dans les quartiers précaires, on ne peut retenir les populations dans des logements exigus. Par ailleurs, en France, notre système social nous permet d'encaisser les conséquences du confinement à travers différents dispositifs comme le chômage partiel, mais ce n'est pas le cas dans la plupart des pays africains. Toutefois, il faut savoir adapter une stratégie de prévention dans chaque pays. Cela pourrait passer par un dépistage qui permettrait d'isoler uniquement les cas de Covid-19 positifs. Pour ce faire, il faudra bien sûr bénéficier des capacités de dépistage nécessaires...

La prise en charge du Covid-19 ne pèsera-t-elle pas sur celle des autres pathologies ?

Le risque d'éviction sur d'autres maladies est réel. Les problèmes de santé sont nombreux sur le continent or, nous ne pouvons pas abandonner les programmes de vaccination ou la prise en charge du VIH-Sida et de la tuberculose. Les hôpitaux doivent rester ouverts à d'autres pathologies ou aux accidentés de la vie. Au niveau de l'AFD, nous cherchons à identifier de nouveaux partenaires afin d'intervenir sur différentes thématiques et dans un maximum de pays. Nous collaborons déjà avec Alima et avec Médecins du monde qui va travailler sur un projet soutenu par l'AFD dans les hôpitaux de RDC, mais il faut que davantage d'ONG médicales se mobilisent.

Quel regard portez-vous sur la levée de boucliers provoquée par la proposition faîte par deux médecins français de réaliser des tests de vaccins en Afrique ?

Nous sommes sur un terrain très inflammable, car le contexte est hystérique. Face à cette situation exceptionnelle, les réactions sont exacerbées. Bien évidemment, ces propos sont scandaleux et extrêmement maladroits.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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