Sonangol : Bras de fer déclaré entre Isabel Dos Santos et son successeur

Quatre mois après son limogeage à la tête de la Sonangol, Isabel Dos Santos est accusée par son successeur d’avoir mené par sa gestion la compagnie pétrolière nationale d’Angola à la faillite. Outrée par la sortie médiatique surprise du nouveau patron, la femme d’affaires lui a répondu dans une longue et sanglante interview avec un journal portugais. Préparant déjà une plainte au pénal, elle le met au défi de prouver toutes ces allégations ou de rendre son tablier.
Ristel Tchounand
(Crédits : DR)

Tension à Luanda. Un véritable bras de fer judiciaire s'ouvre entre Isabel Dos Santos et son successeur, Carlos Saturnino, à la présidence du conseil d'administration de Sonangol.

Dans une longue interview accordée au journal portugais Negocios et publiée dans l'édition de ce lundi 5 mars, l'ex-PCA de la compagnie nationale pétrolière d'Angola dénonce des «déclarations et allégations diffamatoires» de la part de son successeur visant à ternir sa réputation et entend porter plainte.

La taillade de Saturnino

Tout commence mercredi 28 février dernier. Le Conseil d'administration de Sonangol tient sa conférence de presse au cours de laquelle Saturnino présente la situation financière de la compagnie et l'état d'avancement de l'audit des comptes lancé en décembre dernier après le changement de présidence.

Pendant de longues minutes, Saturnino revient sur le mandat de Dos Santos qu'il critique farouchement, énumérant plusieurs dysfonctionnements présumés constatés au sein de l'entreprise. Il évoque notamment la «manifestation des travailleurs qui n'avaient pas perçu leurs salaires» le jour de sa prise de fonction, le 16 novembre 2017, le lendemain du départ de la «princesse». Selon le nouveau PCA en outre, la société aurait dépensé 135 millions de dollars en services de conseil entre novembre 2016 et novembre 2017, soit la période pendant laquelle Dos Santos dirigeait la compagnie.

Saturnino va plus loin et dénonce d'importants virements occultes présumément opérés sous la précédente administration par le truchement de Banco BIC, une banque basée à Luanda dont Isabel Dos Santos est membre du conseil d'administration.

«Nous sommes en mesure de prouver que l'ancien directeur financier a ordonné le transfert de 38 millions de dollars [28 millions d'euros] vers une société basée à Dubaï», a-t-il déclaré.

Au lendemain de ces «révélations», le parquet de Luanda a ouvert vendredi une enquête sur la gestion de la Sonangol par Isabel Dos Santos.

«Bouc émissaire»

De son côté, la femme la plus riche d'Afrique ne décolère pas. Ce qui la fâche, ce n'est pas l'ouverture d'une enquête sur sa gestion qu'elle considère d'ailleurs comme «normale». En revanche, Dos Santos réfute toutes les allégations de Saturnino à son encontre. Se disant «étonnée» par cette sortie médiatique, elle accuse son successeur de «chercher un bouc émissaire pour cacher le passé obscur» de l'entreprise à l'origine d'une crise qui perdure depuis plusieurs années déjà.

«Maintenant, ce n'est rien de plus qu'une manœuvre de diversion pour tromper les gens sur ce qui a vraiment noyé Sonangol et ce n'est certainement pas ce conseil présidentiel de 18 mois qui a conduit Sonangol à la faillite».

«Comme indiqué par le conseil d'administration actuel, le résultat de ma gestion effectuée jusqu'au 15 novembre 2017 a entraîné une augmentation des bénéfices de Sonangol de 177% et a atteint 224 millions de dollars, et la dette a été réduite de 50%».

La businesswoman conteste également le transfert d'argent de 38 millions dollars au lendemain de son limogeage, soulignant que les factures d'un total de 38,1 millions de dollars figurant dans les comptes de l'entreprise représentent une partie des dépenses en consulting pour toute l'année 2017. Isabel Dos Santos dit n'avoir justement pas fait d'énormes dépenses en consulting pendant son mandat comme l'affirme l'actuel conseil d'administration, citant un extrait d'un rapport de son prédécesseur, Francisco Lemos, signé de mai 2015 : «Le modèle d'exploitation de Sonangol a échoué et est en faillite. Nous avons cessé d'apprendre à "savoir faire" et appris à "embaucher / sous-traiter"».

Sur la base de ce postulat selon elle, Sonangol aurait dépensé jusqu'à 254 millions de dollars en consulting en 2014, 115 millions en 2015, alors que la firme est à 79 millions en 2016 et 90,5 millions de dollars en 2017.

De plus, Dos Santos rejette également les allégations de sur-paiement des administrateurs, assurant que ceux-ci n'ont été payés que pour les 18 mois travaillés et ce, «en kwanzas et non en dollars, comme l'a déclaré M. Carlos Saturnino».

Règlement de comptes ?

Les accusations de l'actuel PCA sont nombreuses et la femme d'affaires y répond point par point. Mais au-delà de cette querelle, Saturnino, présenté lors de sa nomination par le président Laurenço comme l'ancien secrétaire d'Etat au Pétrole, est également ancien directeur de Sonangol P&P, la filiale spécialisée dans l'exploration pétrolière. Il est limogé par Isabel Dos Santos en décembre 2016, alors nouvellement arrivée à la tête du groupe. Celle-ci justifie à l'époque : «Sonangol P & P est la société du groupe Sonangol qui, lors de l'évaluation réalisée, a eu les plus grandes faiblesses de gestion et par conséquent des écarts financiers».

Naturellement, la décision met Saturnino hors de lui. «Il n'est ni correct ni éthique d'attribuer la faute à l'équipe qui dirigeait l'entreprise entre la deuxième moitié d'avril 2015 et le 20 décembre 2016», réagissait-il face aux médias.

Preuves ou démission, le défi de Dos Santos à Saturnino

Quoi qu'il en soit, Isabel Dos Santos ne compte pas en rester là. Régulièrement critiquée pour sa nomination à la tête de Sonangol par ses détracteurs criant au népotisme, il semble que la sortie de Saturnino ait été, pour Dos Santos, la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Ses avocats se penchent déjà sur l'étape suivante.

«Je vais déposer une plainte pénale. Je travaille actuellement avec des avocats dans ce sens et je formulerai cette plainte à la lumière des déclarations et des allégations formulées. Ils sont diffamatoires. Sans aucun doute».

En attendant, la femme d'affaires met Saturnino au défi de prouver toutes les allégations tenues à son encontre ou de démissionner.

Ristel Tchounand

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