« L’industrie du paiement reste très prometteuse sur tous les continents » (Abdeslam Alaoui Smaili, HPS)

ENTRETIEN - Actif dans plus de 95 pays dans le monde, HPS est un major de l’industrie du paiement qui revendique fièrement son encrage africain. Opérant depuis quatre continents, la firme vient de se loger en Océanie, juste après son expansion européenne avec le rachat de la société irlandaise CR2. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Abdeslam Alaoui Smaili, CEO de HPS, revient sur ces grandes actualités et jette un regard analytique sur l’avenir d’un secteur qui s’appui sur la tech.
Ristel Tchounand
« Le terme monétique va disparaître au fil des évolutions que nous connaissons dans le monde », Abdeslam Alaoui Smaili, CEO de HPS.
« Le terme monétique va disparaître au fil des évolutions que nous connaissons dans le monde », Abdeslam Alaoui Smaili, CEO de HPS. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE AFRIQUE - Vous êtes une multinationale marocaine de premier plan active dans plus de 95 pays à travers le monde. En Europe où vous être notamment implanté en France, vous avez récemment élargi votre voilure avec l'acquisition de la société irlandaise CR2. Quelle est la portée de ce deal pour HPS ?

ABDESLAM ALAOUI SMAILI - CR2 est une entreprise que nous suivions depuis plusieurs années. Elle a presque le même âge que nous et nous a beaucoup intéressée à deux titres : primo, les axes qui drivent notre croissance externe aujourd'hui sont notamment l'acquisition d'une technologie toute faite qui obéit à nos règles, ce qui nous permet d'aller plus vite ; secondo, nous accordons une importance stratégique à l'acquisition de parts de marché sur des zones géographiques ou des segments où nous sommes absents comme les telcos, la grande distribution, les distributeurs d'énergie, etc. Un segment extrêmement intéressant pour nous et sur lequel CR2 a développé une expertise reconnue, c'est bien le digital banking, lequel permet aux banques de distribuer leurs services à travers les différents canaux (mobile, guichet automatique, internet, montre connectée...). Etant donné que chez HPS nous sommes plus dans une logique de B2B -nous sommes considérés comme un grossiste-, nous sommes donc très complémentaires avec CR2.

Par ailleurs, cette acquisition s'inscrit exactement dans nos trois règles en matière de technologie : simplicité, sécurité et fluidité. De plus, CR2 est fort présent en Afrique dans des marchés où notre présence n'est pas très prononcée. Je pense à l'Ethiopie, au Nigeria ou à l'Egypte. De ce fait, nous insistons pour que le rapprochement entre les deux entreprises ne soit pas vécu comme une acquisition, mais vraiment comme une association afin de continuer, ensemble, notre petit bout de chemin.

Après l'Afrique, l'Europe, l'Amérique et l'Asie, HPS vient de signer son entrée sur un autre continent, l'Océanie, en déposant ses valises en Australie. De quelle manière est née l'idée de cette expansion ?

Déjà, lorsque nous avons démarré 1995, notre premier objectif était de nous internationaliser et nos premiers clients ont été d'abord à l'étranger, puis en Europe et en Afrique. Nous avons ouvert notre premier bureau international en 2003 aux Emirats arabes unis. Tout au long de la construction de notre croissance, la notion de proximité est devenue très importante pour nous, qu'elle soit géographique, culturelle ou liée à la connaissance de marché. C'est ainsi que nous avons pu convaincre et gagner la confiance de nos différents clients. Très vite, nous nous sommes rendus compte que l'Asie commençait à prendre beaucoup de poids dans notre bureau de Dubaï, nous avons alors décidé de faire un spin off, en ouvrant un bureau à Singapour afin de travailler sur l'Asie depuis cette région et laisser le bureau de Dubaï travailler sur le Moyen-Orient.

Par la suite, l'aventure Singapourienne ayant bien pris, nous avons décidé de séparer l'Asie-Pacifique du reste du sous-continent indien. Nous avons donc ouvert un bureau à Pune qui s'occupe de l'Inde, du Sri Lanka et du Bangladesh, laissant le bureau de Singapour s'occuper de l'Asie-Pacifique. Cette séparation a permis de se concentrer sur des pays en particulier. L'Australie étant un marché extrêmement grand et porteur pour l'industrie de paiement, nous avons eu la chance de convaincre deux clients en Australie et en Nouvelle-Zélande. C'est alors que nous avons décidé d'avoir un peu plus de proximité avec ces marchés en installant une équipe à Sydney. Nous espérons que cette aventure australienne aura un effet très marqué sur nos chiffres.

Comment constituez-vous vos équipes sur de nouveaux marchés comme celui-ci ?

La diversité est extrêmement importante pour nous et nous avons aujourd'hui des offres de mobilité en interne. Étant un groupe africain à l'origine, forcément la source de l'expertise provient de nos bureaux de Casablanca, de Maurice ou de Cape Town et à partir de là, nous plantons les graines un peu partout. C'est beaucoup moins visible aujourd'hui puisque nous avons de l'expertise en France, aux Emirats ou à Singapour. Dans ces pays, nous avons quelques collaborateurs africains qui sont partis de l'un de nos trois bureaux africains. Après, sur Cape Town, nous sommes encore en demande, parce que nous n'avons pas eu, pour l'instant, des talents issus d'Afrique du Sud.

Se développer dans un secteur est toujours fait de challenges, lesquels peuvent se décupler quand on évolue sur le marché mondial. Quels sont les principaux défis d'une multinationale dans l'industrie du paiement ?

Un de nos plus grands défis en tant que groupe technologique, ce sont les ressources humaines. Nous sommes consommateurs de ressources humaines qualifiées, talentueuses que nous ne trouvons pas forcément en grand nombre partout dans le monde. En raison de la taille que nous prenons en tant que groupe, nous sommes de plus en plus exigeants. En diversifiant le sourcing de nos ressources, nous puisons beaucoup dans les écoles africaines (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Maurice, Afrique du Sud) et ceci n'est malheureusement pas suffisant. Nous puisons aussi en Europe, en Inde et là nous allons aussi commencer à puiser au Canada et en Australie.

Le deuxième défi important pour nous est celui de la conformité. Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus exposés à des pays où la conformité est de plus en plus rigide. Nous avons des clients qui sont de plus en plus gros et donc eux-mêmes sujets à de la réglementation extrêmement sévère de leur banque centrale, d'organismes internationaux et nous avons à faire des réglementations transfrontalières qui peuvent parfois faire en sorte que nous soyons confrontés à un peu de surprises. Et nous avons l'obligation d'être conformes aux différentes réglementations. Avec la croissance que nous avons, ce sont des défis que nous relevons au quotidien. Nous avons la chance d'avoir anticiper ces sujets avec nos équipes de compliance, mais cela reste en effet un défi.

A l'ère de 4.0 où la technologie avance à la vitesse lumière, ouvrant la porte à un monde de plus en plus dématérialisé, à quoi pourrait ressembler, selon vous, l'avenir de la monétique ?

Vous utilisez le terme monétique et avec les évolutions que nous connaissons dans le monde, l'une des choses qui va peut-être arriver à ce terme, c'est qu'il va disparaître. Et ce, tout simplement parce qu'on parlera plus généralement d'industrie du paiement, le terme monétique ayant aujourd'hui beaucoup plus une connotation de monnaie.  C'est en effet une industrie qui s'appuie sur la technologie. Aujourd'hui, le paiement se fait de manière tellement fluide, parce qu'il est intégré dans les cas d'usage. Chez Uber à titre d'exemple, l'utilisateur a l'impression de ne jamais payer alors qu'il paye tout le temps. Le paiement est complètement intégré dans l'usage qu'on en fait.

Évoquer l'avenir du paiement c'est relever trois éléments essentiels. Le premier est que le paiement va de plus en plus se cacher dans le cas d'usage de telle sorte qu'on ne le verra plus. Et en marketing, il n'y a pas mieux que de cacher la dépense. Le deuxième élément, c'est l'intégration de l'intelligence artificielle (IA) qui va accentuer la simplicité et la fluidité des cas d'usages, mais aussi la sécurité au niveau de l'authentification de la personne, la gestion de la fraude et de l'hyper-personnalisation de l'offre... Le troisième élément important sur ce sujet est la convergence des sujets d'identité et de paiement. On le voit déjà dans certains pays où la carte d'identité est la carte de paiement. On verra que celui qui détient l'identité d'un client va pouvoir lui permettre d'effectuer le paiement à l'instar de certaines transactions en ligne aujourd'hui qui sont activées en mettant le visage sur la caméra de l'ordinateur.

Tout ceci fait qu'on assiste à une fragmentation de cet écosystème de paiement. Alors que ce secteur est longtemps resté la chasse gardée des grandes banques, l'industrie connaît de nouveaux entrants que sont les fintechs. Elles s'incrustent dans la chaîne de valeur afin d'offrir un cas d'usage adapté à un métier particulier (le transport, la livraison à domicile...) et cette tendance a également pour effet de dynamiser l'investissement. De plus, nous avons la chance d'être dans une industrie qui fonctionne, quel que soit le pays ou le continent. Pendant la période Covid à titre d'exemple, l'industrie du paiement, outre l'industrie pharmaceutique, était certainement la plus dynamique et a fait un boom dans plusieurs pays, boostant l'usage du paiement sans contact. A mon avis, le futur de l'industrie du paiement reste très prometteur sur tous les continents.

Les sociétés de paiement sont traditionnellement de grands partenaires des banques. Les changements en cours et à venir dans le secteur avec notamment la montée du mobile banking modifie-t-elle votre manière de travailler ensemble au sein de l'écosystème ?

Cette question est exactement au centre d'une transformation que nous sommes en train d'opérer. Il s'agit de la transformation de l'industrie de manière générale. Chez HPS, nous avons la chance d'avoir eu un certain flair assez tôt et avons changé notre modèle d'affaires en migrant du modèle où nous faisions de la licence un droit d'usage de notre logiciel chez le client vers ce qu'on appelle communément le SaaS [Software as a service, NDLR]. Nous vendons donc le software en tant que service et pas en tant que licence. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui dans un contexte d'innovation et d'invention sans précédent, les banques ont compris qu'elles peuvent recourir aux différentes technologies, afin de mettre sur le marché des produits qui leur ouvrent la porte du succès.

L'idée de pouvoir tester des produits sur le marché ou sur les pilotes sans forcément investir dans des machines ou l'information, mais en s'adressant à un fournisseur de services technologiques, est aujourd'hui la tendance que nous avons engendré dans certains pays, au Maroc notamment. Il y a eu un changement de l'ADN d'HPS qui est en train de s'opérer petit à petit, 35 à 40% de notre chiffre d'affaires a déjà été converti en ce modèle de service. Et cela est beaucoup plus intéressant pour nous.

Comment l'ouverture du capital aux salariés peut-elle révolutionner un grand groupe comme le vôtre ?

Il y a quelques années déjà, nous avons pensé qu'il était important dans le cadre du partage des valeurs clés avec les collaborateurs ... Nous sommes dans une industrie qui ne dépend que du bon sens, de l'intelligence et du travail des collaborateurs. Nous avons alors jugé qu'il était sain de pouvoir associer les collaborateurs à la valeur qui était créée. Nous avons la chance d'avoir une entreprise qui est listée à la Bourse de Casablanca, nous avons donc fait un travail avec les différentes entités (cabinets d'avocats, accompagnants fiscaux,...), ce qui nous a permis aussi d'identifier les talents, toutes les couches sociales. Dans ce cadre-là, nous avions accordé une augmentation de capital réservée aux collaborateurs il y a un an. Cela nous a permis de bien montrer la maturité de l'entreprise sur le marché marocain, mais aussi de pouvoir retenir un certain nombre de collaborateurs qui se sont sentis beaucoup plus impliqués. Cela s'est traduit par une réduction du turnover des collaborateurs dans un secteur où ce dernier est généralement très élevé, à l'instar de l'expérience de nos concurrents.

Je tiens à préciser aussi que nous restons également un groupe pour lequel la composante RSE revêt une grande importance. Nous avons toute une équipe chargée de ces questions au sein de notre fondation au Maroc avec des actions ponctuelles dans certains pays.

Après tous les développements que vous avez connu ces trente dernières années et après Sydney, Puna et Dublin, quelles sont vos ambitions futures ?

Aujourd'hui plus de la moitié de notre force est en Afrique (près de 40% au Maroc, nous avons un effectif de 200 personnes à Maurice, une équipe bien étoffée à Cape Town), mais aussi environ 200 personnes en France, une cinquantaine à Dubaï et autant à Singapour, une dizaine de personnes qui sont en train de s'installer à Montréal et Australie nous sommes en plein démarrage et il devrait y avoir au moins une quinzaine de personnes dans les mois qui viennent et 80 personnes en Inde dans les six prochains mois. En effet nos ambitions sont très fortes

Nous avons des clients dans plus de 95 pays dans le monde dont quasiment tous les pays d'Afrique, indirectement ou directement, à l'exception d'un ou deux mais qui ne sauraient tarder à utiliser notre technologie. Nos ambitions sont très fortes et sont portées par notre volonté d'avoir, en tant que groupe international, d'avoir toujours un impact local, lequel diffère d'une zone géographique à l'autre, mais que nous souhaitons toujours pousser un peu plus. En Afrique à titre d'exemple, nous allons accompagner l'inclusion financière dans certains pays peu avancés en matière d'accès à internet, alors que dans des économies un peu plus avancées comme l'Afrique du Sud, le Nigeria, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, l'Egypte ou le Maroc, nous proposerons des solutions adaptées à une croissance beaucoup plus forte.

Ristel Tchounand

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Commentaire 1
à écrit le 26/07/2024 à 8:09
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L'engeance financière reste très prometteuse sur tous les continents en effet, la moitié de la biodiversité anéanti avec en prochaine cible l'autre moitié.

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