Afrique - France : un business gagnant-gagnant ?

Au bout de 60 ans d'échanges commerciaux, la longue coopération entre l'Afrique et la France a connu ces dernières années de nombreuses péripéties débouchant sur une perte de vitesse de l'Hexagone. Désormais se pose la question du type de relations d'affaires qu'arrivent à tisser ces partenaires historiques.
Ristel Tchounand
(Crédits : Reuters)

D'après les données publiées en juillet dernier par le ministère français des Affaires étrangères, les échanges commerciaux entre l'Afrique et la France ont totalisé 48,1 milliards d'euros (environ 54 milliards de dollars). Dans la balance, les exportations des entreprises françaises sur le marché africain qui atteignent 25,5 milliards d'euros pèsent légèrement plus que les exportations des entreprises africaines vers l'Hexagone qui totalisent 22,6 milliards d'euros.

Les pays africains et la France dealent-ils dans un esprit gagnant-gagnant ? C'est le sens que les deux parties entendent donner à leurs relations commerciales depuis le quinquennat de François Hollande. Plusieurs personnalités s'en sont d'ailleurs fait les porte-voix. Lors d'une interview accordée à BBC Afrique en juin 2016, Pierre Gattaz, alors président du MEDEF, évoque le « souci de faire du gagnant-gagnant » dans la coopération française avec le Continent. En visite à Paris un mois plutôt, le président sénégalais Macky Sall soulignait la nécessité d'une coopération entre l'Afrique et la France « dans un esprit de partenariat gagnant-gagnant ».

Si les chiffres de l'année dernière donnent l'impression que l'Afrique exporte presque autant qu'elle importe de la France, dans le détail cependant, une disparité conséquente dans les échanges en fonction des pays se fait évidente. Une résultante de « la nature même des produits échangés », selon l'analyste économique Mays Mouissi. « L'analyse des exportations des pays subsahariens vers la France fait ressortir une prédominance de produits bruts et de matières premières. Les produits manufacturés demeurent sous représentés. A l'inverse, la France exporte vers l'Afrique des produits manufacturés, des équipements industriels et des produits à haute valeur ajoutée. Il en résulte que la valeur des exportations africaines vers la France demeure inférieure à celle des importations, d'où le déficit de la balance commerciale », explique-t-il dans un entretien avec La Tribune Afrique.

Le déterminant facteur concurrence

Bien que l'Hexagone pèse encore dans les échanges, lesquels -après les pics de 2008 et 2011- affichent une courbe descendante depuis 2013, comme en témoigne une étude  de la Coface publiée en juin 2018 et intitulée Course aux parts de marché en Afrique : l'échappée française reprise par le peloton européen.

L'étude met en évidence l'effritement des parts de marché de la France en Afrique au cours de ces quinze dernières années, sur fond d'une montée en puissance de la concurrence. Une concurrence non seulement européenne, mais aussi asiatique et surtout chinoise. En 2017, la Chine a détrôné la France du leadership commercial dans de nombreux pays d'Afrique francophone notamment.

Au niveau sectoriel, presque tous les secteurs clés sont concernés : automobile, machines, appareils électriques, pharmacie, combustibles, blé, etc. Seul le secteur aéronautique français s'épanouit spectaculairement sur le marché africain. « Cette progression des parts de marché dans l'aéronautique s'explique par l'avantage comparatif qu'ont réussi à conserver jusqu'à présent les constructeurs historiques sur les pays émergents », expliquent à La Tribune Afrique, Bruno Fernandes et Ruben Nizard, économistes chez Coface et auteurs de l'étude. « Ce phénomène, poursuivent-ils, peut s'expliquer par le très haut niveau de technologie du secteur. Il est ainsi nettement plus compliqué pour un pays émergent ou en développement de pénétrer le secteur de l'aéronautique que les biens d'équipement, l'automobile ou même la pharmacie, où le développement de gammes à bas coût est possible ».

C'est pour remonter la pente que la France s'est lancée dans une « reconquête » du continent africain. D'autant plus que le leadership actuel de la Chine et la montée en puissance des autres économies européennes, asiatiques (Inde) et moyen-orientales (Turquie) étaient perceptibles depuis des années. C'est d'ailleurs pour empêcher cela que Paris a fait de  l'établissement d'un « partenariat gagnant-gagnant » avec l'Afrique une de ses priorités. Une stratégie restée malheureusement tributaire des cours du pétrole.

L'Afrique progresse sur le damier

De leurs côtés, les économies africaines motivées par leurs objectifs de développement se sont non seulement rendues plus attractives, mais aussi plus ouvertes à la diversification des IDE entrants. Le contexte de mondialisation jumelé à la montée des cours des matières premières rendant toute chose favorable, les entreprises africaines boostent également leurs échangent avec le reste du monde. Pour le cas de la France en particulier, une montée en puissance des exportations africaines s'observe également. En 2017, le top dix des plus grands pays africains exportateurs vers la France donne le Maroc en tête (4,9 milliards d'euros, en hausse de 17%), suivi de la Tunisie et de l'Algérie. Madagascar a réussi à booster ses exportations vers l'Hexagone de 31% en un an, tandis qu'en Afrique centrale, le Cameroun a vu sa performance s'apprécier de 88%.

D'autres pays du Continent s'illustrent dans leur dynamique à l'export vers le marché français. C'est le cas notamment du Zimbabwe (+88%), Djibouti (+64%) et le Togo (+49%), même si la valeur de ces exportations reste souvent très faible. A l'inverse, près d'une vingtaine de pays à travers le Continent régresse. C'est le cas du Gabon dont les exportations vers la France ont reculé de 26%, le Bénin (-29%) l'Angola (-65%) ou encore la Guinée (-32%). A noter que la valeur des échanges entre l'Afrique et la France reste tributaire des cours du pétrole. Lorsqu'ils sont élevés, celle-ci est importante, et vice versa.

Mais au-delà de cette variable, c'est l'esprit de la coopération qui se veut différent. Conscients de leur potentiel -en termes de ressources et de croissance, les pays partenaires africains de la France entendent en tirer au mieux parti. Du coup, de plus en plus d'entrepreneurs africains tentent, avec succès d'ailleurs, l'expansion de leurs activités sur le marché français, investissant parfois dans des secteurs où on ne les attendrait pas, tout en bravant les obstacles qui peuvent s'imposer à eux. Sur l'autre rive méditerranéenne, les entreprises françaises opèrent une refonte de leurs stratégies d'investissement sur le Continent.

Ristel Tchounand

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